ÆäÀÌÁö À̹ÌÁö
PDF
ePub

le lui avait décrit. Dans un cirque immense et presque nu, parsemé seulement de quelques bouquets de genêts et fermé par de sombres parois faites des altières futaies environnantes, une lumière blanche et molle se jouait sur le sol vague. C'était exquis et fantastique, un vrai paysage de rêve, grandiose et vaporeux, irréel surtout.

Aussitôt qu'il avait vu la jeune femme accoudée à la balustrade de pierre, en une pose de méditative extase, M. d'Estreville s'était avancé hors du massif où il avait d'abord cherché asile. Elle ne le vit pas tout de suite, absorbée qu'elle était dans sa rêverie. Mais son regard, attiré par l'ombre mouvante de Fabien, s'abaissa subitement vers lui. Dominant à grand'peine sa frayeur ou paralysée par le saisissement, car elle sentait son cœur comme submergé dans un bain de glace, elle resta sans crier, toute droite, les bras raidis, les mains crispées sur la pierre. Puis, elle parut tendre l'oreille et se rejeta violemment en arrière. Fabien, qui était parvenu au pied du château, pour y constater que la porte du milieu, qu'il savait donner sur une bibliothèque, était réellement entr'ouverte, ainsi qu'il en avait cru, de loin, faire la remarque, entra résolument, ou plutôt se précipita, avec une espèce de hâte frénétique, comme pour s'ôter le temps de la réflexion, dans la pièce qui lui offrait accès. Il lui sembla bien, à ce moment-là, entendre un bruit confus de l'autre côté du château; mais il n'en tint pas compte et, connaissant à peu près les êtres, il s'élança à l'intérieur.

Il s'attendait à trouver l'escalier plongé dans l'obscurité tout était éclairé. Il ne doutait pas que les portes de l'appartement de Marie-Thérèse ne fussent closes et même barricadées : elles étaient grandes ouvertes. Et, sur le seuil de cet appartement, Marie-Thérèse en personne attendait, livide, se tenant adossée au chambranle de la porte de son salon. Elle fit un geste suppliant, qui réclamait le silence, et de son doigt étendu elle désigna le bas de l'escalier. En effet, un grand bruit, des allées et venues, des claquemens de portes et de fenêtres y signalaient l'arrivée de M. de Volvereins, qui pénétra d'abord dans la bibliothèque, première pièce de son appartement particulier, trois minutes peut-être après que son gendre l'eût traversée, tout courant.

Sans paroles, Mme de Volvereins montra à Fabien la porte-fenêtre restée ouverte et donnant sur le balcon. Elle voulait, à tout prix, gagner du temps, car elle savait son mari capable de violence, à l'occasion; elle le savait surtout très épris d'elle et le devinait prompt à un retour de jalousie envers Fabien, n'ayant point oublié, notamment, certains détails de sa mimique lorsqu'il l'avait menacée de ruiner l'avenir du jeune homme. Elle avait bien songé à une entente rapide avec celui-ci, pour un mensonge provisoire qui eût rendu momentanément plausible, même à cette heure tardive, une visite du

soir. Mais les domestiques n'avaient vu entrer personne, et, outre les complications ultérieures qui eussent pu être le résultat d'une feinte de ce genre en présence de la domesticité du château, il y avait à prévoir la stupeur compromettante des valets au premier abord... Pourtant, il fallait trouver, coûte que coûte, un expédient pour amortir le premier choc. Or, ce n'était qu'en se réfugiant sur le balcon que Fabien éviterait un scandale et l'épargnerait à Marie-Thérèse.

me

Il obéit à l'injonction muette qui lui était adressée. Mais, comme Me de Volvereins poussait sur lui les battans de la fenêtre, le comte atteignait le seuil de la chambre. La jeune femme était dans un tel état de trouble qu'il n'y avait pour elle aucune chance dorénavant de cacher ou de déguiser la vérité : elle n'avait plus qu'à parler. Ses forces la trahirent, son courage l'abandonna; défaillante, elle ne parvint pas à articuler un son. Mais ses regards, un mouvement peut-être involontaire de sa main indiquaient à son mari la fenêtre entre-bâillée. Le comte s'en approcha. Saisi, puis courroucé, après un coup d'œil au dehors, il se retourna vers sa femme, avec une expression terrible d'angoisse, de menace et d'interrogation. Mme de Volvereins renouvela son effort, sans réussir davantage à proférer un seul mot. Cependant, elle put, avant de tomber à la renverse, fauchée par une syncope, nier énergiquement du regard et du geste, en élevant avec force sa main vers le ciel, l'outrage dont on était prêt à lui demander compte. M. de Volvereins respira bruyamment il avait compris, en partie, la scène qui avait servi de prologue au drame. Il revint alors à la fenêtre, jeta un nouveau regard sur le balcon; puis, ayant vu Fabien acculé à la balustrade, un revolver au poing, dans une attitude farouche et résolue de bandit traqué, froidement, méthodiquement, il manœuvra l'espagnolette et ferma la croisée. Après quoi, il souleva le rideau et, sans broncher, il vit que le jeune homme armait le revolver qu'il tenait à la main, en s'assurant que les cartouches étaient à leur place. Et, sans plus broncher, le comte se vit ajuster à travers le carreau. Il eut seulement un coup d'œil de défi. Le revolver alors se retourna, comme de lui-même, contre celui qui le maniait. A cet instant, le visage de M. de Volvereins, marbré par une émotion contenue, était effrayant, à force d'énergie cruelle, avec les cavités du front, semblables à deux trous sanglans. Ce visage ne menaçait point; mais Fabien avait l'impression que ces yeux fixes et aigus, dont l'acier luisant trouait ce masque dur, étaient là pour le repousser dans la nuit, pour le pousser dans la mort, pour lui commander d'en finir, comme deux stylets dardés vers lui. Et, affolé de rage, le jeune homme fit mine de briser la fenêtre afin de sauter à la figure du comte. Mais un méprisant sourire l'arrêta net et ramena contre son cœur sa main armée : il lui avait paru que son

beau-père le raillait de sa lâcheté et, implacable, le défiait de se tuer, comme il l'avait défié d'assassiner. Pourtant, au moment précis où le coup allait partir, le bras du comte s'allongea rapide, faisant voler la vitre en éclats, et l'arme de Fabien lui fut arrachée des mains. L'homme avait-il eu, à la fin, pitié de l'enfant, ou n'avait-il jamais prétendu que lui laisser le profit d'une leçon complète? Qui le saura? Toujours est-il que, humilié, hagard, éperdu, Fabien voulut mourir quand même. Et d'un seul bond alors il se trouva debout sur la balustrade du balcon. Dressé sur le ciel clair qu'argentait la lune, son corps vacilla deux secondes, puis s'abîma, disparut, tête en avant, comme fait le corps d'un homme qui plonge...

C'est ainsi que faillit se tuer, vers la fin de l'avant-dernière année, M. Fabien d'Estreville, dont les pertes à la Bourse permirent d'expliquer autrement la tentative, comme aussi la présence chez son beau-père à une heure insolite. Il pouvait se fracasser le crâne sur le marbre dont est dallé le sol au-devant du château; il se fractura la clavicule et l'humérus, se fendant, en outre, le front : son second mode de suicide ne valait pas le premier, puisqu'il souffrit beaucoup et ne mourut pas. Il est vrai qu'on l'avait gêné; mais est-on certain qu'il eût même essayé sérieusement de se tuer, si personne ne lui eût poussé le bras?

Il vit à Paris, toutes dettes payées, raisonnable et laborieux, comme c'était sa vocation, en bonne intelligence avec sa femme, qui, accourue sur ses traces, le soigna et le veilla dès la première nuit; mais il vit à distance respectueuse de son beau-père, et surtout du ménage de son beau-père. Celui-ci a eu l'ingénieuse idée (est-ce bien lui qui l'a eue?) d'acheter Estreville fort cher, assez cher pour permettre au jeune endetté de liquider sa situation sans recevoir un cadeau en forme; puis, il a eu la délicate générosité de faire don du petit domaine à sa fille, mais sous réserve d'usufruit, afin d'éviter les inconvéniens ou les embarras du voisinage. Le << manoir » est donc assuré de retourner quelque jour à son légitime seigneur, - d'autant plus que Mme d'Estreville a un fils. Et la maternité lui a réussi, comme le suicide à son mari. - Parmi la brillante jeunesse contemporaine, il y a plusieurs individualités marquantes qui, après des phases agitées ou périlleuses, se sont étonnamment bien trouvées de l'une ou de l'autre solution, selon le

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

ÉTUDES DIPLOMATIQUES

LA SECONDE LUTTE DE FRÉDÉRIC II ET DE MARIE-THÉRÈSE, D'APRÈS DES DOCUMENS INÉDITS.

III'.

NÉGOCIATIONS POUR LE CHOIX D'UN CANDIDAT A L'EMPIRE. MISSION DE LORD CHESTERFIELD A LA HAYE.

Le ministère des affaires étrangères n'offrait pas à d'Argenson l'occasion de mettre en application ses vues de réforme intérieure. Il avait bien, à la vérité, tracé aussi dans ses momens perdus un vaste plan de politique étrangère fondé sur cette idée que la France, étant parvenue à un point de puissance qui lui permettait de renoncer à toute idée d'agrandissement et à toute visée d'ambition, pouvait jouer, à elle seule, le rôle du tribunal international rêvé par Henri IV, et se faire l'arbitre impartial de tous les différends qui diviseraient les autres états d'Europe. Mais au cours d'une guerre engagée, et avec des conquêtes inachevées en Flandre et en

(1) Voyez la Revue du 15 avril et du 1er mai.

Italie, il n'était guère possible de s'élever, du soir au lendemain, à ce rôle suprême de médiateur; d'Argenson devait donc, bon gré mal gré, laisser ses projets tout rédigés en portefeuille et ajourner l'expression complète de ses idées. Il n'en tint pas moins à signaler son avènement par un certain nombre de déclarations solennelles, rendues sous forme sentencieuse, qui étonnèrent un peu les gens du métier. C'est ce qu'il nous raconte lui-même. J'ai tort de dire lui-même, car ce n'est pas lui, c'est son secrétaire, qui, dans un rapport à lui adressé, a soin de lui rappeler quelles furent ses premières paroles à ce moment solennel de son existence.

Je ne sais, en effet, si c'est pour ressembler davantage à Sully que d'Argenson, à cette date de son journal, croit devoir recourir au procédé de composition employé par le ministre d'Henri IV dans ses Economies royales, et qui consiste, comme on sait, à se faire raconter par des serviteurs bien appris les faits et gestes de sa propre administration. Et au fait, pour un homme politique qui veut faire connaître sa vie à la postérité, ce détour n'est peut-être pas sans quelque avantage; c'est un moyen ingénieux de se décerner à soi-même, par un intermédiaire dont on est sûr, des temoignages d'approbation et même des hommages d'admiration qui, exprimés sous la forme directe et à la premiere personne, pourraient paraître trop dénués de modestie. Laissons donc parler un moment le client, fidèle interprète de la pensée de son patron.

« La première vue que vous vous proposâtes, dit-il, ce fut de rétablir cette réputation de bonne foi et de candeur qui ne devrait jamais abandonner notre nation. La couronne de France est aujourd'hui trop grande, trop arrondie, trop bien située pour le commerce, pour préférer encore les acquisitions à la bonne réputation: elle ne doit plus viser qu'à une noble prépondérance en Europe, qui lui procure repos et dignité. Toutes nos maximes politiques devraient se réduire aux plus justes lois de la morale et de la générosité, de relever les faibles, d'abaisser les tyrans, de faire du bien, d'empêcher le mal, de ne faire aux autres que ce que nous voudrions qui nous fût fait à nous-mêmes; enfin, de ne régner en Europe que par la justice et par les bienfaits. Il est démontré que, par là, la France parviendrait à une grandeur et à une abondance dont il y a peu d'exemples dans le monde. Rempli de ces maximes, vous ne les avez pas assez dissimulées, vous allâtes peut-être jusqu'à l'exagération. Le siècle et la nation n'y sont point encore accoutumés, et l'on prit facilement pour manque d'habileté ce qui n'était que le fruit de profondes réflexions... Autre scandale pour les courtisans: vous souteniez qu'il n'y avait point ou qu'il n'y avait que peu de mystères d'état;.. vous prétendiez qu'on pouvait négocier

« ÀÌÀü°è¼Ó »