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bonne heure aiguisé l'humeur satirique de Beaumarchais. Page du bon et vertueux duc de Penthièvre, son protecteur; capitaine de dragons, sans avoir fait beaucoup de campagnes; pensionné par la cour; choyé, fêté, applaudi, surtout par les femmes et les enfants dont il fait les délices; il a été toute sa vie un gentilhomme de lettres et un galant convive, jouissant des derniers loisirs et cueillant les dernières fleurs de cette société française qui finissait. Il en a vu et pleuré la chute. Sympathique aux idées nouvelles dans ce qu'elles avaient d'humain, de généreux, mais effrayé bientôt et brisé par les émotions et les douleurs d'une courte détention; au lendemain du 9 Thermidor, il se trouve emporté à trente-neuf ans, dans le naufrage des institutions et des hommes au milieu desquels il a vécu. Né pour le bonheur, il n'était pas de ceux qui résistent longtemps à l'épreuve de l'adversité.

Florian ou Floriannet, comme l'avait baptisé Voltaire, occupe un petit coin seulement dans l'histoire de la comédie au XVIe siècle : mais ce coin est bien à lui. Il y a mis tout son cœur et son esprit : un mélange de simplicité et de finesse, de candeur et de subtilité, de sensibilité et d'espièglerie, qui compose le fond de son caractère et de son talent. Le duc de Penthièvre, en le désignant par le nom de Pulcinella, exprimait bien le ton aimable et facétieux de ce gentil esprit. Rien d'étonnant que le petit Pulcinella soit devenu plus tard le compère d'Arlequin au théâtre. Nous ne trouvons plus chez lui, sans doute, ce grand flot de la verve comique qui déborde comme un torrent dans la Folle Journée. Ce ne sont plus ces orageuses représentations qui mettent en émoi la France et l'Europe entière; ces foules qui assiègent dès le matin l'entrée du théâtre

comme pour Tarare et Figaro. Le nom même d'Arlequinades, donné à ces pièces, indique assez dans quelles limites se tient ici la comédie : l'étroite enceinte du Théâtre-Italien, le cercle d'une société ou d'un salon lui suffisent.

En toutes choses, Florian a le goût des diminutifs. /< Dans le roman historique, il ne va pas au delà des minces proportions du Numa Pompilius ou du Gonzalve de Cordoue; dans la pastorale, au lieu de la manière large et simple de Gessner, il nous offre les élégantes miévreries de Galatée ou d'Estelle et Némorin; dans la fable, un de ses triomphes, il se contente généralement de légères et gracieuses enluminures ajoutées à la morale. S'il traduit Don Quichotte, il le resserre et l'amoindrit. Ainsi sur le théâtre, il rétrécit le cadre de la comédie. Aux tableaux de grande dimension il préfère les miniatures, et semble dire avec ce Dorval dont il se moque pourtant un peu ailleurs :

J'aime mieux nos petits tableaux français (à la façon de Boucher), où l'on voit une petite paysanne qui porte un petit pot de lait, et un petit berger qui joue de la flûte; c'est gracieux, c'est joli il semble que c'est peint avec des couleurs de rose et de blanc; et mes yeux sont plus flattés d'un petit tableau comme cela que de ces grands sujets de notre pays (l'Italie), où les personnages sont toujours dans de grandes affections, où tous les hommes nus sont si bruns, si noirs, où l'on voit leurs muscles, leurs nerfs, à en être effrayé.

Est-ce à dire qu'il ignore ou méconnaisse le grand art? Non sans doute. Lui-même, dans l'avant-propos de son Théâtre, reconnaît que la comédie de caractère est sans contredit le plus beau, le plus utile, le plus difficile de tous les genres. Mais il pense que ce chefd'œuvre, en tous les temps si difficile, l'est devenu plus que jamais. Il en donne pour raisons: l'épuisement

aires, en essayant de les renouveler à sa façon, et sur e point il faut avouer qu'il a réussi. Tenant à la fois e Sedaine par le sentiment, de Marivaux par l'esprit, s'est constitué un petit domaine dont il est roi. Ce qui caractérise le plus sa manière, dit Grimm, "est l'extrême facilité avec laquelle il fait de l'esprit vec du sentiment, et du sentiment avec de l'esrit. »

Arlequin est le héros de ces petits drames bourgeois, à l'auteur se plaît à reproduire les scènes de la vie e famille, les émotions et les joies du foyer domestiue, à la façon de certaines toiles de Greuze. Ce serait ne histoire curieuse à retracer que celle d'Arlequin armi nous, depuis le jour où Marie de Médicis lui crivait de sa royale main pour l'inviter à venir en rance avec sa famille, et devenait marraine d'un de es enfants1. Florian nous raconte ainsi l'origine afriaine et la légende d'Arlequin. « Un petit nègre orphen se trouvant abandonné dans les rues de Bergame, est secouru par trois enfants, tous trois fils de marhands de draps, qui, pour habiller leur protégé, vont chacun à leur père une aune de draps de couleur fférente. » De ces trois morceaux se compose le preier habit d'Arlequin. En même temps, pour complér son costume et l'armer chevalier, on lui donne une tte en guise d'épée. Et c'est ainsi qu'Arlequin entre

1. Lettre datée de Fontainebleau, 26 mai 1613.

tuel, malin, crédule, dupeur et dupé, grâce à sa putation de balourdise et de naïveté, il se tr chargé des hardiesses et des médisances qu'on rait confier à d'autres. Les gros mots, les quoli les indécences ne l'effrayent pas. Ce rôle, il est a ses périls plus d'une fois Arlequin et Colom iront coucher au For-l'Évêque, en dépit de leurs munités.

Avec Florian, le personnage est devenu plus plus discret et de meilleure compagnie, réunissa lui le bon cœur, la bonne humeur et le bon sens lequin, c'est bien souvent Florian lui-même, co Beaumarchais est Figaro, comme Alceste était Mol c'est lui tel qu'il est ou a été, dans sa jeunesse e âge mûr, amoureux, dépensier, étourdi d'abord; calmé, assagi par l'expérience de la vie et pa conseils de son bienfaiteur le duc de Penthi L'auteur prenait plaisir à jouer souvent ce rôle d' quin sur les théâtres de société. C'est parfois tel ou tel contemporain dont il aime à reproduir traits et les opinions, sous ce masque légendaire a fait de son Arlequin, dit La Harpe, le contrai ce qu'a fait Beaumarchais de son Figaro : celuibrillant dans son immoralité, l'autre est char dans sa bonté. Toutes les pièces où il paraît pe

1. Voyez, sur la généalogie et les métamorphoses d'Arl Riccoboni: Histoire du théatre italien.

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se lire et se relire avec un plaisir pur et continu; et si le genre est petit, la louange n'est pas commune. »

Arlequin est en effet une contre-partie de Figaro : non pas que Florian ait annoncé l'intention de lutter contre l'étincelant parvenu de Beaumarchais : la chose eût été impossible. Figaro est un héros qui arrive, et Arlequin un héros qui s'en va. Or le public aime toujours à saluer le soleil levant et les nouveaux venus. Mais les deux personnages n'en offrent pas moins un contraste frappant. Autant l'un est frondeur, railleur, sceptique, défiant et rusé, âpre et mordant contre la société : autant l'autre est simple, crédule, résigné, facile à tromper, sans manquer pour cela de finesse et parfois d'une douce malice, portant gaiement le poids de la misère et jouissant modestement de l'opulence, quand un gentilhomme son maître aura fait de lui son héritier. Figaro se venge de la misère en daubant sur les heureux du monde : Arlequin n'établit pas de comparaison entre ceux qui sont mieux nés et plus riches que lui. Il ne s'écrie pas comme le Barbier raisonneur: « Et moi, morbleu ! » Il accepte le monde tel qu'il est, parce que Dieu l'a voulu ainsi. Rien chez lui qui sente le dépit ou la colère, le pamphlet ou le réquisitoire. Sa résignation philosophique est son grand remède à tous les maux :

Toujours joyeux, toujours content,
Je sais braver la misère;
Pour la rendre plus légère,
Je la supporte en chantant.
Souvent la vie est importune;
J'ai mon fardeau, chacun le sien :
Ma gaieté, voilà ma fortune;
Ma liberté, voilà mon bien 1.

1. Les Jumeaux de Bergame, scène v.

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