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les longues et vertes chenevières se succèdent, la terre élastique tremble sous le pied. La lumière du soleil lui arrive tamisée par les cimes des hauts trembles et par les longues branches pendantes des bouleaux. Tandis qu'il suit la lisière des grands bois et que le brouillard transparent domine la campagne, les oiseaux chantent paisiblement. « Que la voix argentine de la fauvette au joyeux et innocent babil se marie bien au parfum du muguet! » Le soir arrive, la rosée commence à se répandre; les arbres, les buissons projettent peu à peu de plus grandes ombres; les étoiles se montrent une à une dans le bleu gris de l'atmosphère. Il faut regagner le village, l'isba où l'on compte coucher. Là, tandis qu'on remise la téléga sous un vieux hangar, à la lueur vacillante d'une torche de sapin, l'hôte apporte une grande jatte blanche remplie de krass, des kalatch (sorte de petits pains blancs très mous), des coлcombres salés. Ou bien, si la quantité de verstes parcourues ne permet pas au chasseur de chercher un gîte dans le village voisin, il faut coucher dans la plaine auprès des grands feux allumés par des paysans qui gardent pendant la nuit leurs troupeaux de chevaux. Alors on s'enveloppe dans son manteau, on se couche sous un buisson, et, tandis qu'on respire avec bonheur l'air frais et tout chargé de parfums, l'air d'une nuit en Russie! dit l'auteur, les bergers se racontent entre eux des histoires mystérieuses: c'est le demoroï, l'esprit familier qui se cache dans la maison; la roussalka, fée malfaisante des forêts et des eaux qui soupire tristement; l'esprit des bois, le léchi, qui claque de la langue; l'esprit des eaux, le rodianoï, qui appelle les enfans, les saisit par la main et les entraîne au fond de l'eau.

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Soit par une tendance particulière à son esprit, soit par l'influence du milieu où il pose ses personnages, M. Tourguenef termine ordinairement ses petites scènes par quelques traits vagues et mélancoliques qui laissent l'âme rêveuse. En somme, les Récits d'un Chasseur sont un livre utile à la fois au philosophe et au curieux. Un profond caractère de vérité recommande ces études, que nous ne pouvons contrôler, mais dans lesquelles la traduction de M. Delaveau laisse deviner, derrière le moraliste et le conteur, un très habile écrivain.

EUGENE LATAYE.

HISTOIRE DU COMMERCE DE TOUTES LES NATIONS, par H. Scherer, traduite de l'allemand par MM. H. Richelot et Ch. Vogel (1). — On s'attend d'ordinaire à trouver dans les écrits historiques qui nous viennent de l'Allemagne une connaissance approfondie des faits, un patient exposé des documens, un grand luxe de discussions savantes : en revanche, l'ordre des idées et l'agrément de la forme y font souvent défaut. Dans l'Histoire du Commerce publiée par M. Scherer, on retrouve les qualités sérieuses qui distinguent l'érudition allemande, et l'auteur a su condenser en une œuvre bien ordonnée et d'une lecture facile les nombreux documens qu'il a dû consulter. MM. Richelot et Vogel ont donc rendu à l'économie politique et à l'histoire un véritable service en traduisant cet écrit et en joignant à leur traduction d'excellentes notes qui complètent et parfois rectifient, sur. des points de détail, le texte allemand.

(1) 2 vol. in-8, chez Capelle, éditeur, rue Soufflot 18. 1857.

Dans tous les temps, même dans l'antiquité, l'histoire du commerce a été intimement liée à l'histoire générale des peuples: les migrations primitives des tribus, les guerres et les conquêtes, les établissemens coloniaux, en un mot, tous les grands mouvemens des nations, alors même qu'ils étaient inspirés par des sentimens tout à fait indépendans de l'intérêt mercantile, ont toujours eu pour effet de développer ou de modifier les relations commerciales, d'ouvrir aux échanges, de tribu à tribu, de peuple à peuple, puis enfin de l'ancien monde au nouveau, des voies nouvelles et plus larges. On comprend ainsi la difficulté que présente au premier abord la composition d'un livre exclusivement consacré à l'histoire du commerce. D'un côté, l'auteur peut être tenté d'agrandir son sujet et d'y introduire des faits et des considérations qui ne relèvent que de l'histoire politique; d'autre part, pour échapper à ce péril, il risque de commettre de graves omissions et de ne point signaler avec une attention suffisante les événemens généraux qui ont exercé sur les destinées particulières du commerce une action prépondérante. Il faut en outre, dans un travail d'ensemble, où la chronologie veut être respectée, faire marcher de front et pour ainsi dire du même pas l'histoire des différentes nations qui méritent de figurer dans le tableau du commerce universel. Or c'est là un problème difficile à résoudre. Nous possédons d'excellens travaux historiques sur l'industrie et le commerce d'une période, d'une nation déterminée; mais rarement on a essayé de comprendre dans une vue d'ensemble, assez complète cependant pour que chaque pays y tienne sa place, l'histoire générale du commerce, et plus rarement encore on y a réussi. Il n'est donc pas sans intérêt d'indiquer le plan qui a été adopté par M. Scherer; voici comment il est exposé par M. Richelot dans la préface de sa traduction : « L'antiquité, le moyen àge, les temps modernes, telles sont les divisions consacrées de l'histoire politique. M. Scherer ne pouvait que les adopter; il y a apporté toutefois une heureuse modification. Un fait considérable qui a agrandi, régénéré, transformé le commerce, la découverte de l'Amérique, lui a paru avec raison marquer le point de partage d'une histoire commerciale universelle. Les temps antérieurs et les temps postérieurs à cette découverte forment donc ses deux grandes périodes, dont chacune se divise elle-même en deux périodes secondaires. Durant la première, dont les deux divisions obligées sont l'antiquité et le moyen âge, le commerce, renfermé dans les bornes de l'ancien monde, reste avant tout terrestre, continental, et, dans ses plus grandes audaces maritimes, ne s'élève pas au-delà d'un simple cabotage. A partir de la seconde, il embrasse peu à peu le monde entier, devient essentiellement maritime, et parcourt avec intrépidité toutes les mers comme tous les continens. L'événement qui sert à diviser les temps modernes, c'est l'émancipation des colonies anglaises de l'Amérique du Nord, émancipation qui modifie les relations commerciales entre les deux hémisphères et qui coïncide d'ailleurs avec la rénovation politique de l'Europe en 1789. » Ces divisions étant ainsi établies, M. Scherer a placé en tête de chaque période des aperçus généraux; puis il a consacré des chapitres séparés aux principaux peuples commerçans; il met successivement en scène, pour les temps anciens, les Égyptiens, les Phéniciens, les Carthaginois, les Grecs et les Romains; pour le moyen âge, les Byzantins ou Grecs du Bas-Empire, les Arabes, les Italiens, les Néerlandais, les Allemands;

pour la première partie des temps modernes, les Portugais, les Espagnols, les Hollandais, les Anglais, les Français, les Allemands et les peuples du Nord de l'Europe. L'histoire s'arrête au seuil de la période contemporaine; il est vivement à désirer que M. Scherer complète son œuvre par la prochaine publication du volume consacré à l'histoire du commerce moderne.

Le plan suivi par M. Scherer est assurément le meilleur et le plus simple; il facilite singulièrement l'étude d'une histoire à la fois très compliquée et très variée, qui comprend tous les temps et tous les peuples. Les aperçus généraux lui ont fourni l'occasion de résumer à grands traits la physionomie, nous oserions presque dire la philosophie commerciale des grandes époques, et d'indiquer les constantes harmonies qui ont uni les destinées du commerce à celles de la politique et aux grands mouvemens de la civilisation. Dans les chapitres qui se rapportent à chaque pays, il a pu éviter les digressions et se renfermer strictement dans l'examen des faits commerciaux et maritimes. M. Richelot, qui estime avec raison qu'un traducteur conserve à l'égard du livre qu'il a traduit le droit de critique, reconnaît que M. Scherer n'a point suffisamment développé l'histoire du commerce dans l'antiquité, et qu'il s'est montré trop sévère à l'égard de Rome, considérée au point de vue commercial. Peut-être aussi, ajouterons-nous, l'auteur allemand n'a-t-il point toujours apprécié exactement, dans le chapitre consacré à la France, les actes de notre législation économique. Il y aurait enfin quelques réserves à exprimer au sujet de ses théories sur le régime colonial. M. Scherer, qui incline visiblement vers la doctrine du libre-échange, a parfois jugé les lois du passé d'après les idées modernes de l'école à laquelle il appartient : il aura bien jugé suivant les uns, mal jugé selon les autres, car la discussion sur le libre-échange et la protection est toujours ouverte, et plus ardente aujourd'hui que jamais. M. Richelot, qui parmi ses écrits économiques compte une traduction du Système national, de Frédéric List (1), a tenté par des notes d'interpréter dans un sens libéral et non radical les opinions de M. Scherer en matière de législation, et il voudrait le retenir sur la pente du libreéchange; mais les Allemands sont tenaces, et M. Scherer trouvera dans la suite de son ouvrage, quand il écrira l'histoire commerciale de l'Angleterre et de la France depuis la paix de Versailles, l'occasion de répondre aux observations bienveillantes de son traducteur. Quoi qu'il en soit, et sans intervenir autrement dans ce débat de famille, on peut dire que les partisans de la protection comme ceux du libre-échange tireront profit du livre. de M. Scherer, car la bonne foi de l'auteur égale son érudition, et l'on n'a pas à craindre que l'historien ait dénaturé les faits pour mieux les accommoder à ses opinions personnelles. S'imagine-t-on que, pour une histoire du commerce, on croie devoir accorder une mention honorable à l'impartialité! Il le faut bien, puisque l'économie politique a élevé ses querelles d'écoles aux proportions d'une guerre de partis.

C. LAVOLLEE.

(1) Cette traduction a été publiée en 1851. Une seconde édition a paru en 1857.

V. DE MARS

ÉTUDES

SUR

L'INDE ANCIENNE ET MODERNE

VII.

ÇAKYA-MOUNI

LA SOCIÉTÉ HINDOUE PENDANT LA PÉRIODE BOUDDHIQUE ET L'INVASION MUSULMANE

I.

S'élever au-dessus de la terre et parvenir à un monde meilleur, tel est le problème que tous les systèmes philosophiques et religieux de l'Inde ont cherché à résoudre. Parmi les chefs des écoles anciennes, il y en eut qui prétendirent que l'homme pouvait, par la seule énergie de ses facultés morales, dompter les puissances de la nature et commander aux élémens. Il s'agissait pour eux d'arriver à bien connaître les principes de toute chose. La science était le dernier mot de cette doctrine hardie. D'autres, moins éloignés de la tradition primitive, admettaient avec des dieux secondaires une divinité supérieure, symbole de ces mêmes puissances naturelles, souvent violentes dans leurs effets, Civa, appelé aussi Mahâdéva,-magnus deus. En pratiquant de rudes austérités, en se livrant à une méditation intense, l'adorateur de Civa, pensaient-ils, devient assez fort pour soutirer l'éclat terrible qui réside dans le dieu objet de son culte, pour le désarmer en quelque sorte et arracher la foudre aux mains de ce Jupiter redoutable. Enfin d'autres penseurs, plus confians dans la bonté de Dieu, dont ils discernaient mieux les attributs, substituèrent à la science l'amour et la foi: ils se prirent à aimer

TOME XIII.

15 JANVIER 1858.

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avec tendresse et à invoquer avec espérance les incarnations de la Divinité, qui se manifestait visiblement aux enfans de la terre. A Civa qui détruit, ils opposèrent Vichnou qui conserve.

Cette dernière croyance se montra dans l'Inde après les deux autres. Appartient-elle en propre à la race âryenne? est-elle venue d'ailleurs? L'histoire ne nous apprend rien sur cette grave question. Toujours est-il qu'on la voit se produire longtemps après le naturalisme allégorique sorti de la doctrine des Védas, et entraîner les peuples de l'Inde hors des voies que leur traçait la tradition antique. De l'amour de Dieu à l'amour de l'humanité, il n'y a qu'un pas: ce pas fut franchi lorsqu'un fils de roi, Çakya-Mouni, quittant le palais de ses pères, parcourut l'Inde en proclamant une doctrine nouvelle; mais, pour que ce réformateur trouvât à qui parler, il fallait qu'un élément étranger se fût mêlé à la race âryenne. Or cet élément, c'étaient les indigènes, longtemps qualifiés de barbares, qui avaient fini par entrer dans la société indienne, par la pénétrer avec leurs instincts plus naïfs et leurs aspirations vers le merveilleux. Était-il étonnant que l'esprit populaire réagît contre les dogmes imposés jadis par la conquête, quitte à y revenir plus tard, tant il se rencontre d'incertitude et de mobilité dans les masses?

Il y a donc lieu de signaler ce mélange des indigènes à peau noire avec les Aryens au teint blanc comme un fait important, et dont on doit tenir compte quand on parle de la société indienne. Il explique bien des contradictions apparentes, bien des modifications dans les idées religieuses. Aujourd'hui il n'y a plus dans l'Inde de purs Aryens que les brahmanes, et encore beaucoup d'entre eux, qui passent pour de faux brahmanes tardivement affiliés à la caste suprême, n'ont-ils aucun droit à revendiquer un titre de noblesse qu'ils s'arrogent sans preuves. La masse des populations indiennes se compose presque tout entière des descendans des peuples autochthones. A mesure que la race conquérante s'avançait vers le sud et vers l'ouest, des villages composés d'artisans et de laboureurs demandaient à entrer dans le système politique et religieux qui la régissait et constituait sa force. Le brahmanisme adoptait comme enfans de la famille âryenne ces utiles et pacifiques travailleurs; il leur donnait rang parmi les gens de la troisième caste, les vaïcyas, en leur conférant le cordon d'investiture comme récompense de leur conversion. Porter en sautoir le cordon fait de trois brins de laine (1), fût-on chaudronnier ou tisserand, c'est dire à la face de tous: «J'appartiens par naissance ou par adoption à la race des Aryens, à une caste

(1) Le cordon d'investure est de coton et en trois fils pour un brahmane, de trois fils de chanvre pour un kchattrya, et de trois brins de laine filée pour un vaïcya.

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