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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE

14 janvier 1858.

Au seuil de cette année qui commence à peine, que trouvons-nous tout d'abord? Les morts se pressent déjà dans la politique et dans les armées comme dans les arts. L'Angleterre perd dans l'Inde quelques-uns de ses chefs les plus héroïques. L'Autriche voit mourir son vieux soldat, le feldmaréchal Radetzky, qui figurait à Marengo il y a plus d'un demi-siècle, et qui, plié par l'âge, retrouvait encore assez de verdeur martiale pour relever la fortune des armes impériales au milieu des dernières révolutions italiennes. Rechid-Pacha, le grand-vizir du sultan, disparaît surpris par la mort au faîte du pouvoir. Mais à part ces événemens qui marquent ces premiers jours d'une teinte funèbre, sous quels auspices s'ouvre cette année? Le premier fait, si l'on peut ainsi parler, est un bruit répandu subitement et commenté par toutes les polémiques européennes. Est-il vrai que l'Angleterre et l'Autriche auraient signé, il y a quelques mois, une alliance secrète à laquelle il n'aurait manqué que l'adhésion de la Russie et de la Prusse pour devenir une véritable coalition? Autant qu'on en peut juger, c'est là bien évidemment une de ces mille conjectures auxquelles peut toujours prêter la situation de l'Europe telle que la dernière guerre l'a faite, parce que le caractère de cette situation est justement l'indécision, parce qu'en l'absence des combinaisons anciennes de la politique qui ont disparu, il est tout simple que des combinaisons nouvelles s'essaient, et qu'on prenne quelquefois pour une réalité ce qui n'est qu'une apparence. Qu'on remarque en effet que la guerre d'Orient a laissé l'Europe dans cet état singulier où tout a été interverti diplomatiquement, et où il n'est plus resté qu'un ensemble de rapports réguliers sans intimité, dans les conditions d'une indépendance mutuelle. Que l'Angleterre se soit rapprochée de l'Autriche en ces derniers temps, cela n'est point douteux; mais que ce rapprochement ait pris le caractère d'une alliance intime et invariable, c'est ce qui est plus difficile à croire. L'affaire

de l'organisation des principautés a rapproché les deux états; la question de la navigation du Danube les divise aujourd'hui. D'ailleurs n'est-ce pas une 'tradition pour l'Angleterre de ne point se lier par des alliances permanentes? Lord Palmerston particulièrement aurait-il consenti à effacer de la politique le nom de l'Italie? Si tout se réduit à une entente spéciale sur un point précis, il n'y a rien en cela qui soit en désaccord avec les données actuelles de la politique, La seule explication possible d'une telle combinaison eût été cet autre rapprochement dont on a parlé quelquefois entre la France et la Russie; mais alors il n'y avait point réellement coalition, la France n'était point isolée. L'Europe était partagée en deux. Heureusement les faits démentent ici les conjectures.

Les coalitions! elles ne se nouent pas ainsi, ce nous semble; il est assez inutile de les consigner dans des protocoles qui risquent de rester une lettre morte. L'alliance qui a subsisté longtemps, après 1815, entre les principales puissances, qui a été restreinte ensuite aux trois premières cours du Nord, et qui reposait sur une identité de principes d'action, sur la solidarité dans la défense d'une certaine politique en Europe, cette alliance était une coalition permanente. Elle s'est affaiblie peu à peu pour disparaître dans le dernier conflit. La politique des alliances de principes a été remplacée réellement par une politique d'intérêts. Or les intérêts sont mobiles et se heurtent souvent. Ils font de la vie diplomatique une succession de dissidences et de rapprochemens, justement ce que nous voyons aujourd'hui. Ils ne peuvent donner naissance qu'à des coalitions de circonstance, nouées par la force des choses, ayant un but précis, et déterminées surtout par la faute d'un gouvernement surpris en flagrant délit d'agression contre la paix publique. Alors tout change, sans qu'il y ait eu de protocoles. On a eu ce spectacle il y a quelques années. Quelle est la puissance qui paraissait plus isolée que la France au lendemain de la résurrection de l'empire? Peu après cependant elle avait un des premiers rôles dans les affaires européennes. Quel pays semblait avoir de plus solides alliances et exercer un plus grand ascendant que la Russie? Bientôt pourtant la Russie avait tout le monde contre elle. Et quel était l'unique auteur de ce prodigieux changement dans la situation de l'Europe? Il n'y en avait point d'autre que l'empereur Nicolas lui-même. Les conventions secrètes n'avaient certes joué aucun rôle dans ces surprenantes évolutions. Cela veut dire qu'il n'y a de coalitions possibles aujourd'hui que contre ceux qui les provoquent par leurs fautes, en inquiétant ou en violentant tous les intérêts, et c'est une politique que la France doit peu songer à pratiquer pour elle, après l'avoir combattue chez les autres. S'il reste quelque chose à éclaircir dans ces mystères diplomatiques, M. Disraeli, à la prochaine réunion du parlement anglais, ne manquera pas sans doute d'amener lord Palmerston sur ce terrain, et on verra, nous le supposons, s'évanouir ce nouveau fantôme des polémiques actuelles.

Le plus clair au moment où nous sommes, c'est qu'en l'absence d'un principe supérieur de politique qui règle toutes les situations et auquel se subordonnent toutes les considérations secondaires, il y a des dissidences inévitables qui naissent de l'antagonisme des intérêts, comme aussi il y a des affinités naturelles. L'Angleterre n'a point partagé toutes les vues de la France au

sujet des principautés, elle a incliné au contraire vers l'Autriche. Voici une question qui l'éloigne de l'Autriche et qui la rapproche de la France: c'est la question de la navigation du Danube, qui passe aujourd'hui au premier rang, et va devenir sans doute un de ces champs de bataille diplomatiques où s'agitent tous les intérêts. C'est d'ailleurs une question des plus complexes, et s'il s'élève des difficultés qu'il est désormais assez facile de prévoir, il faut bien dire que l'Autriche aura singulièrement contribué à les créer par la façon inattendue dont elle a conduit une affaire que rien ne peut soustraire en définitive à l'arbitrage souverain de l'Europe. Le Danube, on ne l'ignore pas, n'a point été soumis jusqu'ici au régime de la liberté de navigation proclamé en 1815, par la raison bien simple que l'empire ottoman n'était point admis alors aux bénéfices du droit public européen. C'est le traité du 30 mars 1856 qui, en introduisant la Turquie au sein des puissances de l'Europe, a prononcé l'assimilation du Danube aux autres fleuves, et pour assurer l'application du principe de l'acte final de Vienne, le congrès de Paris instituait deux commissions. L'une était chargée de tout ce qui concernait l'embouchure du fleuve, les travaux à exécuter, et se composait de représentans de toutes les puissances européennes; l'autre se composait de délégués des états riverains, et avait pour mission d'élaborer des règlemens de navigation; les règlemens une fois préparés devaient être transmis au congrès réuni de nouveau et être arrêtés en commun pour devenir la loi souveraine de la navigation sur le Danube. Il résulte de ceci deux choses: premièrement, que les commissions instituées n'étaient en quelque sorte qu'une émanation du congrès de Paris, et qu'elles n'existaient qu'en vertu d'un mandat européen; en outre, les règlemens adoptés pour la navigation n'ont évidemment de valeur que par la sanction de l'Europe, qui reste libre de les examiner et de les accepter ou de les rectifier.- Maintenant comment ces prescriptions ont-elles été exécutées et respectées? La chose est bien simple: l'Autriche, selon sa coutume, a considéré la navigation du Danube exclusivement au point de vue autrichien, et elle a cherché à faire prévaloir ses idées, qui ne sont pas des plus libérales. Elle a convoqué des délégués des états riverains; de longues négociations ont été suivies, une convention diplomatique a été signée pour réglementer la liberté fluviale, et tout récemment on a su que les ratifications de cet acte entre riverains venaient d'être échangées à Vienne.

C'est un premier succès que l'Autriche a voulu habilement et vivement emporter; seulement la question n'est pas résolue, et tout semble assez étrange, on en conviendra, dans le fond et dans la forme de ce procédé. D'abord les délégués de la Servie, de la Moldavie et de la Valachie, que le congrès de Paris avait eu la précaution d'introduire dans la commission riveraine, ont été évincés; mais de plus il s'élève ici une question singulière, où l'Autriche paraît vraiment avoir oublié ses habitudes de circonspection, ses connaissances dans l'étiquette diplomatique et son respect des traditions: elle compromet sa bonne renommée dans les chancelleries. Que voyons-nous en effet? On sait ce que c'est en diplomatie qu'une convention et une ratification. La ratification est la signature du souverain qui rend un acte immédiatement obligatoire. En est-il ainsi de la convention signée et ratifiée

par tous les riverains du Danube, c'est-à-dire par l'Autriche, la Turquie, la Bavière et le Wurtemberg? Nullement; la compétence du congrès de Paris ne reste pas moins entière, et elle ne saurait être contestée, quoiqu'on en ait eu peut-être la pensée. Or que va-t-il arriver? La convention de Vienne présente ce phénomène anormal d'une transaction diplomatique dénuée de valeur réelle, bien que marquée du sceau qui la rend exécutoire. Si elle est sanctionnée par le congrès, l'acte de souveraineté accompli par les rois de Bavière et de Wurtemberg n'aura pas moins été suspendu. Ce serait bien mieux encore, si les règlemens stipulés pour la navigation du Danube étaient modifiés, et cette prévision n'a rien d'inadmissible; l'Autriche aurait exposé deux souverains à voir un acte de leur prérogative infirmé par une réunion diplomatique où ils n'ont pas de représentans, par une autorité dont ils ne relèvent pas, et dont la juridiction ne peut les atteindre. Telle est la situation bizarre créée par la précipitation du cabinet de Vienne. L'Autriche a-t-elle espéré passer à travers tous les obstacles et assurer le succès de ses vues en présentant un acte définitif revêtu d'une solennité particulière? Elle l'a cru peut-être, et elle se fonde, dit-on, sur une expression du traité qui semble laisser entendre que le congrès prendra simplement acte de la communication qui lui sera faite des règlemens de navigation à quoi il est facile de lui répondre par un autre article, stipulant formellement que ces règlemens seront arrêtés en commun, et là est manifestement la pensée, l'esprit qui a inspiré les dispositions du traité. Cela est si vrai que la Turquie elle-même, en envoyant sa ratification à Vienne, paraît avoir hésité, et a réservé la souveraine juridiction de l'Europe. Quant aux autres puissances, l'Autriche n'en est pas sans doute à savoir que, dans leur pensée, la convention signée par les états riverains du Danube n'a rien qui diminue les droits d'examen et de révision du congrès de Paris. C'est un point sur lequel la France et l'Angleterre, la Russie et la Prusse, aussi bien que la Sardaigne, ne peuvent qu'être d'accord, puisqu'il s'agit pour l'Europe de maintenir l'autorité d'un principe établi par elle, ou de l'abandonner à l'interprétation un peu intéressée, on en conviendra, du cabinet de Vienne. L'Autriche poursuit avec une invariable persévérance l'accomplissement de ses desseins sur le Danube, on ne peut absolument lui en faire un crime; de même il est tout simple que les autres puissances ne laissent point énerver la force des prescriptions libérales sous l'empire desquelles elles ont voulu placer le

commerce universel.

Cette lutte d'influences qui se prépare n'a point en vérité d'autre sens, et la forme ne serait rien après tout, si dans le fond la convention signée par les états riverains du Danube et inspirée par l'Autriche offrait une sérieuse et franche satisfaction à tous les intérêts du commerce et de la navigation. Malheureusement c'est là ce dont on peut douter. L'histoire de cette liberté des fleuves, pour laquelle les cabinets luttent en Europe et même en Amérique, au Brésil particulièrement, serait assez curieuse. On a pris pour point de départ, dans le dernier congrès, les dispositions de l'acte final de Vienne, qui consacrent le principe de la liberté de navigation. En réalité, c'est le traité de 1814 qui proclamait le premier ce principe, et il le posait dans des termes beaucoup plus larges en ouvrant les fleuves à tous les pavillons. De

puis, il y a eu une sorte de retraite successive. Les transactions de 1815 laissaient déjà la porte ouverte à plus d'une interprétation. L'acte définitif de navigation promulgué plus de dix ans après restreignait singulièrement la liberté dans la pratique; il finissait, à vrai dire, par n'admettre tous les pavillons que dans les eaux maritimes. Il y a donc une sorte de conflit entre le principe qui a été à l'origine dans la pensée de l'Europe et l'application qui en a été faite. D'un côté est la liberté des fleuves, de l'autre une tendance incessamment restrictive, cachée sous le voile d'une réglementation nécessaire. L'acte récemment adopté à Vienne est loin de revenir au principe libéral qui a été le premier point de départ dans cette question; il ne ferait que consacrer, si ce n'est aggraver le système des restrictions par des mesures habilement calculées. Il crée des facilités matérielles peut-être, mais en limitant le droit de navigation. L'objet bien évident de cet acte est de fermer le plus possible le Danube aux pavillons étrangers. Il est même un fait curieux qui ressortirait de ces arrangemens. Au moment présent, il y a un commerce de cabotage assez considérable fait à l'embouchure du Danube par des bâtimens de toute nationalité. Ce cabotage serait désormais réservé exclusivement aux riverains, de telle façon que le commerce général perdrait en réalité plus qu'il ne gagnerait. Il serait dépouillé d'un avantage existant pour le bénéfice illusoire ou affaibli dans la pratique de porvoir remonter le Danube à travers toute sorte de gênantes restrictions.. L'Autriche trouve dans ces combinaisons une garantie de l'extension de son commerce; les autres peuples n'y peuvent trouver que des améliorations douteuses ou peu sensibles. Tel serait un des résultats de la dernière guerre, et il ne laisserait pas d'être assez étrange. Voilà comment les avantages péniblement conquis se répartiraient en proportion des sacrifices de chacun des états! Les autres gouvernemens européens sanctionneront-ils ces arrangemens, s'ils sont réellement dominés, ainsi qu'on le dit, par cet esprit restrictif? La France, l'Angleterre, la Russie, la Prusse, la Sardaigne, n'ont évidemment qu'un même intérêt, qui consiste à faire prédominer le plus possible un principe libéral, et, comme on voit, s'il y a entre l'Angleterre et l'Autriche des points d'affinité, il y a aussi, même dans la question d'Orient, des points où elles se heurtent et sont en antagonisme.

A travers ces affaires communes de l'Europe, qui sont plus propres à mettre en relief des diversités de politiques et à créer des troubles passagers qu'à déterminer des combinaisons durables ou à produire des ruptures, l'Angleterre ne cesse pas d'avoir sa préoccupation de l'Inde. L'insurrection indienne est plus qu'un grand intérêt pour les Anglais, c'est une émotion patriotique et nationale. Tout semblait s'éclaircir récemment dans les choses de l'Inde. Le général en chef, sir Colin Campbell, avait dégagé la résidence de Lucknow; il avait livré des combats heureux. Des renforts arrivaient chaque jour. Dehli et Lucknow, ces deux victoires semblaient indiquer le déclin de l'insurrection. Rien n'est compromis assurément aujourd'hui, et au fond la situation reste la même; seulement sir Colin Campbell a été obligé de quitter Lucknow et de se replier vers Cawnpore. Il a délivré un moment une citadelle assiégée et sauvé des Anglais cernés par les insurgés; il n'a pas conquis une position. Le général Windham, vainqueur dans un combat sou

TOME XIII.

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