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PEINTRES MODERNES

DE LA FRANCE

M. DECAMPS

Comme le paysage, la peinture de genre est de création moderne. Les anciens ne la connaissaient pas, et on peut douter qu'ils l'eussent appréciée. Leurs œuvres d'art étaient avant tout destinées à conserver le souvenir des grands hommes, à exalter les dieux, à orner les places publiques et les temples, à exciter le patriotisme ou la piété. En général, ils ne prirent dans la nature, pour sujet de leurs ouvrages, que la forme humaine dans ce qu'elle a de plus caractéristique, de plus élevé. Les types, les gestes, les attitudes, et jusqu'aux ajustemens de leurs personnages, sont en harmonie avec le but qu'ils poursuivent à travers des mythes et des allégories sans nombre, avec l'exaltation, la déification de l'homme. Ces préocupations de beauté élevée, de style, comme nous disons aujourd'hui, font à tel point partie de leur nature, dirigent leur goût d'une manière si absolue, qu'on les retrouve non-seulement dans leur architecture, dans leurs statues, dans leurs tableaux, mais jusque dans les compositions familières dont ils décorent les habitations et les monumens civils. En passant d'Athènes à Rome, l'art se modifia sans doute; il s'alourdit et perdit ce caractère d'extrême distinction qui place si haut les conceptions des Grecs, mais il en conserva néanmoins les traits généraux. Les murs des maisons de Pompéi sont couverts de petites scènes d'intérieur, de caricatures, que les artistes de nos jours au

raient compris par le côté pittoresque, et qui rappellent, par la composition générale, l'agencement des groupes, la pureté du dessin, la simplicité des moyens employés, le grand art dont les Noces Aldobrandines ou les vases funéraires de la Grande-Grèce portent l'irrécusable empreinte. Les figurines en terre cuite qu'on a retrouvées en grand nombre, des jouets d'enfant, des ustensiles de cuisine, des natures mortes, les dessins des mosaïques qui servent de pavé aux plus humbles maisons, les lampes même et les poteries de toute sorte témoignent de ce goût pour la beauté simple, de ce sentiment distingué qui n'était pas l'apanage de quelques connaisseurs et de quelques artistes, mais se manifestait spontanément chez des populations entières, merveilleusement douées pour créer et pour apprécier des ouvrages dont la perfection n'a jamais été égalée.

A la renaissance des arts, pendant les xv et xvi siècles, les artistes italiens ne se préoccupèrent pas plus de la peinture de genre que ne l'avaient fait les anciens. A cette époque, nourries des grands souvenirs de l'antiquité païenne qui sortait de terre et de la poussière des bibliothèques comme par une résurrection, reprises après un long sommeil d'un amour jeune et fécond pour ces luttes de la pensée et ces arts étouffés pendant tant de siècles par l'indifférence ou l'aveugle hostilité du christianisme naissant, plus encore que sous les pieds des Barbares, exaltées par les controverses religieuses, par les luttes civiles et politiques, vivant d'une vie forte, fruit de la liberté, les populations italiennes ne créèrent que de grandes choses. L'art manifeste les goûts, les idées, les préoccupations d'un peuple et d'un temps au même titre que les institutions et les lois. Le hasard ne gouverne pas autant qu'on veut bien le dire. Il y a des choses qui n'existent pas en fait, parce qu'elles sont contre la logique, et pour ma part je ne me représente pas Wouwermans ou Metzu entre Dante, Michel-Ange et Raphaël.

C'est en Flandre que la peinture de genre prit naissance, et elle y atteignit la perfection. Les grands hommes et les nobles idées n'ont sans doute pas manqué à ce pays. Il a eu ses philosophes, ses savans, de hardis navigateurs, d'illustres citoyens; mais je ne trouve dans ses ouvrages d'art ni la largeur ni le sentiment poétique et idéal qui distinguent ceux des époques dont j'ai parlé. A des habitudes mercantiles, sédentaires, économes, un peu vulgaires, ajoutez un mauvais climat, des hivers longs et brumeux, un pays plat et monotone, quoique non sans beauté, et vous aurez la clé de cette peinture dont la vulgarité (j'excepte, bien entendu, Rembrandt, Potter et d'autres) n'est rachetée que par l'excellence de l'exécution. Des appartemens étroits, commodes, proprets, exigeaient

d'ailleurs des tableaux de petite dimension, minutieusement achevés, et qu'on pût regarder de près. Des gens qui ne voyaient guère au-delà de leur horizon borné devaient demander à leurs peintres la reproduction des scènes qu'ils avaient habituellement sous les yeux, et là, comme ailleurs, les arts peuvent servir de commentaire pour expliquer les mœurs.

La renaissance française, si originale, si vivante, si déplorablement interrompue et précipitée, sous François Ier, dans une décadence précoce par l'invasion des peintres italiens, ne présente point d'ouvrages d'art qu'il soit possible de rapporter au genre. Le XVIIe siècle ne le connut pas davantage. Le défaut dominant de cette époque n'est certes pas la petitesse, mais plutôt l'enflure et l'emphase, la grandeur conventionnelle et l'apparat. Watteau, il est vrai, commença à peindre pendant les dernières années du règne de Louis XIV, mais il appartient à la régence par le plus grand nombre de ses œuvres. D'ailleurs le peintre des Fêtes galantes avait une originalité de conception et une largeur de facture qui ne permettent pas de le confondre avec ses imitateurs. Il me rappelle Hamilton, dont il a la vivacité, la grâce voluptueuse, l'élégance et le goût.

Au XVIIIe siècle, tout change. Une société élégante, sceptique, devait avoir un art à son image, et elle l'eut. A Nicolas Poussin succède Boucher, à Lesueur Pater et Lancret. Si j'avais à étudier la peinture de cette époque, je relèverais des qualités excellentes dans des ouvrages qui, en d'autres mains, n'eussent été que libertins. La distinction fait presque oublier la futilité des sujets, et l'élégance atténue jusqu'à un certain point la portée de l'intention. Je pourrais surtout les montrer, comme un reproche, à plusieurs de nos peintres contemporains qui s'obstinent, par un anachronisme sans motif, à représenter, en plein xIx siècle, les scènes, les costumes et jusqu'aux manières et aux grimaces d'un autre temps, sans penser que le talent et l'adresse sont impuissans à réchauffer des sujets qui n'ont plus de raison d'être, et que tous les efforts d'étude et d'imagination ne leur feront retrouver ni la vivacité et la grâce, ni le sentiment de réalité que leurs devanciers ont mis à un si haut degré dans la représentation de scènes qu'ils avaient sous les yeux.

Le débordement de mauvais goût qui avait marqué la régence et la plus grande partie du règne de Louis XV sembla cependant s'arrêter, frappé de mort par ses propres excès. Une science sans effort, un goût exquis, une couleur forte et charmante, toutes les qualités qui peuvent se trouver réunies dans des ouvrages d'ordre moyen distinguent les scènes d'intérieur et les natures mortes de notre admirable Chardin. Je ne connais guère de tableau mieux senti, plus

naturel, plus touchant que son Benedicite, et je ne crois pas qu'on ait jamais mieux peint. Dans un autre ordre de sujets, Greuze donna une forme un peu commune, mais poignante, aux idées sentimentales et mélodramatiques qui régnaient à la fin du XVIIIe siècle. Les sentimens pathétiques et outrés, mais sincères, de l'auteur du Père de famille ne pouvaient trouver un interprète plus exact, et on s'explique, en voyant l'Accordée de village et la Malédiction, l'amitié et l'estime du philosophe pour l'artiste.

Cependant l'art, qui ne réfléchit les idées d'un temps que lorsqu'elles ont pénétré les masses, l'art, qui ne prophétise pas, mais qui constate, ne porte encore aucune trace sérieuse de la révolution qui s'opérait dans les choses et dans les esprits. Et il en a été de même à toutes les époques. Le développement des lettres a toujours précédé et dirigé celui des arts du dessin. Homère a devancé Phidias Dante et Pétrarque avaient créé les ouvrages les plus parfaits de la littérature italienne avant que Léonard de Vinci et Michel Ange eussent pu s'emparer, pour les traduire aux yeux, des idées et des sentimens nouveaux créés par ces grands esprits. Les choses se passent de même au XVIIIe siècle. La révolution était virtuellement accomplie, et la peinture se traînait encore, sans changement très notable, dans les chemins depuis longtemps parcourus. Montesquieu et Rousseau avaient écrit, que nous en étions encore à Greuze et å Chardin.

David fut le peintre de la révolution française, dont il reflète les préoccupations, les principes absolus, et aussi les travers. Doué de moins d'intelligence que de talent, il comprit mal l'antiquité, qu'il adorait. Il opéra par ses compositions emphatiques, froides et savantes, par son dessin précis, par le soin donné à la forme, qu'il mit toujours au service des idées, une réaction favorable contre les mièvreries de l'époque précédente, et dont nous devons lui savoir gré. On put croire un moment que son école allait se rapprocher de la vérité, et, en gardant ce qu'elle avait d'excellent, se débarrasser de son bagage de convention. Notre peinture eut presque un Corrége dans Prudhon, et Gros hésita à plusieurs reprises entre les enseignemens de son maître et les conseils de son propre génie; mais le caractère et la fermeté qui font les chefs d'école lui manquaient, et les élèves de David continuèrent à régner jusqu'à la fin de la restauration, en développant froidement des principes dont ils n'avaient gardé que la lettre.

Pendant l'empire, le joug des événemens pesa sur les arts, et entre de tels triomphes et de tels revers il y eut peu de place pour la peinture grande ou petite. Après la chute du régime impérial, l'esprit public se réveilla: les champs de bataille, où se dénouaient

nos destinées, cessèrent d'attirer tous les yeux, et les voix libres et longtemps solitaires de Chateaubriand et de Mme de Staël trouvèrent de nombreux échos. Un mouvement littéraire, dont l'ardeur et la fécondité nous étonnent aujourd'hui, préoccupa de nouveau tous les esprits. Un mouvement semblable se fit dans les arts. Quelques imaginations puissantes poursuivirent par des chemins différens l'art élevé, et complètent aujourd'hui leur œuvre. D'un autre côté, des jeunes gens aventureux, pleins d'ardeur, légers de bagage et ne craignant pas les hasards, se précipitèrent en foule dans les directions les plus diverses. Le seul but qu'ils se proposassent en commun était de faire autre chose que ce qui avait été fait avant eux. Le plus grand peintre du siècle, Géricault, quoique leur aîné, était dans leurs rangs. Il mourut à la fleur de l'âge, plein de pensées, d'espérance et de génie.

Seul, Géricault eût pu, par l'ascendant de son exemple et l'autorité que donnent la force et la conviction, diriger sûrement la jeune génération sur une route nouvelle. Pénétré de l'esprit des maîtres, mais n'en suivant aucun servilement, rejetant les entraves des traditions, dont il n'avait gardé que la somme de savoir et d'expérience qu'elles conservent pour légitime patrimoine à tout artiste, il rendit à la peinture la vie que l'école précédente avait laissé tarir. Son audace, sa fougue, son goût pour les sujets modernes auraient rallié autour de lui le gros de tous les partis. Agissant sur les peintres de style par ses cavaliers, son Naufrage de la Méduse et les grands ouvrages qu'il méditait, sur le genre et le paysage par ses tableaux plus modestes, son Four à plâtre, ses études de chevaux, ses lithographies, il aurait créé une peinture moderne et nationale. Le temps lui manqua. La jeune école se trouva ainsi privée de son chef naturel, que Sigalon, mort également très jeune, ne pouvait qu'imparfaitement remplacer. Ayant à dos la peinture épuisée de l'empire qu'ils fuyaient, à droite et à gauche les traditions vénitiennes et romaines personnifiées dans deux peintres déjà célèbres, ces enfans perdus de l'art marchaient devant eux un peu à l'aventure. Plusieurs sont restés en route, et n'ont pas tenu des promesses qui ne leur avaient été faites que par leur audace et leur ambition; mais, les vivans payant pour les morts, ils ont créé une peinture qui a son caractère propre, dépendant du genre, quoiqu'elle s'en écarte à bien des égards, et dont le caractère et l'originalité ne peuvent être méconnus.

C'est de cette jeune et aventureuse école qu'est sorti M. Decamps. Il dépassa de bonne heure et de beaucoup ses émules, mais son œuvre porte des traces manifestes et nombreuses de cette irrégulière origine, et ce n'est que par des prodiges de travail et de bon sens

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