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ne faut pas oublier que, si certaines parties du texte original nous paraissent incompréhensibles, la faute peut bien en être à nous, c'est-à-dire à l'imperfection de nos connaissances historiques, à l'insuffisance de nos renseignemens sur la langue du poète et les mœurs de son temps; il ne faut pas oublier surtout qu'il vaut mieux conserver dans les œuvres de Shakspeare des passages obscurs, qui peuvent être de Shakspeare, que d'y substituer un texte clair, animé d'un autre esprit que le sien. »

Ces conseils que M. White donne aux Shakspeare's scholars, il n'aurait garde de les négliger pour son propre compte. Son livre n'est pas seulement la réfutation du travail de M. Collier, c'est aussi une étude très détaillée des corrections accomplies à différentes époques par les éditeurs les plus autorisés. Les critiques du xvIIe siècle et ceux du XIX, Rowe et Malone, aussi bien que M. Knight et M. Dyce, comparaissent devant son tribunal. Je ne sais si M. White a toujours raison, quand il accepte telle correction, quand il rejette telle autre; mais il est difficile de ne pas être charmé du talent, du savoir, de la sagacité qu'il déploie dans ces délicates matières. Il excelle à dissimuler l'aridité de son sujet, ou plutôt ce sujet se transforme entre ses mains; ces dissertations philologiques sont en même temps d'excellentes études littéraires.

La littérature américaine, par l'organe de M. Grant White, a bien tenu son rang dans ces curieuses controverses. « J'ose assurer, disait Pope il y a un siècle, que si les ouvrages d'Aristote et de Cicéron avaient eu le même sort que ceux de Shakspeare, ils nous paraîtraient, aussi bien que ceux de ce poète, n'avoir ni sens ni érudition. » On ne parle plus en ces termes de la puissante imagination à qui nous devons tant de créations immortelles, mais les admirateurs du poète n'attachent pas moins d'importance que Pope à ces études philologiques. Bien que le sens d'Othello, de Macbeth, de Coriolan, d'Hamlet, de Roméo et Juliette ne souffre pas des altérations du texte, la critique de nos jours, à la fois plus élevée et plus précise que la critique du XVIIIe siècle, voudrait retrouver les paroles mêmes employées par Shakspeare, et si elle est forcée de renoncer à son espoir, elle prétend biffer du moins les plates corrections cent fois pires que l'obscurité d'un vers estropié. L'Angleterre et l'Allemagne travaillent ardemment à cette tâche; M. White, qui représente dignement la critique littéraire à New-York, vient de marquer sa place parmi les intelligens scholars du grand William. En France, on le comprend, c'est l'inspiration de Shakspeare, et non le texte de ses œuvres, qui appelle les études de la critique; dernièrement encore, ici même, M. Taine ajoutait de vives et fortes pages à celles que M. Guizot, M. Villemain, M. Émile Montégut, Chateaubriand et Gustave Planche ont écrites sur l'auteur du Roi Lear. L'examen philologique du texte était réservé aux écrivains de race saxonne. Les Anglais et les Allemands ont commencé, les Américains poursuivent l'œuvre. Après Coleridge et Goethe, après Carlyle et Gervinus, Emerson, dans ses Representative Men, a complété l'appréciation du génie de Shakspeare; après M. Charles Knight et M. Alexandre Dyce, comme après MM. Delius et Leo, M. Grant White prépare la conclusion de l'enquête ouverte il y a un siècle et demi sur le texte mutilé du grand poète. SAINT-RENÉ TAILLANDIER.

LA COUR DE RUSSIE IL Y A CENT ANS (1). Ce livre n'est, à vrai dire, qu'un recueil de documens diplomatiques extraits des dépêches confidentielles que les ambassadeurs étrangers accrédités en Russie adressaient à leurs cours respectives. Au premier abord, une compilation de ce genre semble exclusivement consacrée aux personnes qui aiment à errer dans les labyrinthes de la politique; mais la main inconnue qui a fouillé dans ce dédale épistolaire a su en élaguer, non sans habileté, tout ce qui aurait pu lasser l'attention des lecteurs ordinaires. Les intrigues fort compliquées que les diplomates étrangers ont nouées en Russie, avec tant de succès, au dernier siècle, sont à peine indiquées dans ce volume; l'auteur s'est principalement attaché à nous décrire les scènes qui se sont passées dans l'intérieur du palais impérial sous les souveraines qui succédèrent à Pierre Ier, et il lui arrive même de nous introduire dans leur chambre à coucher, où se décidaient souvent, comme chacun le sait, les questions qui importaient le plus à l'honneur et à la prospérité du pays.

Lorsqu'on a terminé la lecture des fragmens de Jettres qui nous initient à ces annales secrètes, on se sent pris de compassion pour la Russie. A peine eut-elle été ébranlée jusqu'en ses fondemens par le génie réformateur de Pierre Ier, que la direction des affaires publiques y échut en partage à l'indigne compagne de ce monarque. Les règnes suivans ne nous offrent guère qu'une suite non interrompue de rivalités sans grandeur, de trahisons odieuses, de persécutions non moins insensées que cruelles. Le peuple ne paraît sur la scène que pour figurer, comme comparse, dans des divertissemens ruineux, ou pour acheter de son sang des victoires dont l'éclat passager est destiné à rehausser la gloire de quelques courtisans en faveur. Dans les observations généralement fort justes qui tiennent lieu de commentaires à ces correspondances parfois un peu énigmatiques, l'auteur ne fait point assez ressortir peut-être ce qu'avait de navrant le spectacle présenté alors par la Russie. Cependant on trouve çà et là dans ces pages quelques morceaux qui éclairent très vivement le contraste que formaient, sous le règne de Catherine II, les fastueuses grandeurs de la cour et l'état misérable du pays. On ne sera pas surpris d'apprendre qu'un sourd mécontentement se faisait remarquer alors, par des signes incontestables, dans les classes inférieures. L'impératrice ne l'ignorait pas, et c'est pourquoi l'audacieuse entreprise du marquis de Pougatchef lui causa un effroi qu'elle cherchait vainement à dissimuler. Il faut lire les renseignemens que s'empressent de fournir sur ce dernier point à leurs souverains les diplomates étrangers cités par l'auteur; rien ne prouve mieux le zèle et l'intelligence avec lesquels ils remplissaient leur poste d'observateurs affidés auprès de la cour impériale.

Quelque tristes que soient les événemens retracés dans ce livre, on peut néanmoins en tirer une conclusion qui est rassurante pour la Russie. Au milieu des fréquentes interruptions que l'action régulière du pouvoir y subit au siècle dernier, l'opposition, que Pierre Ier avait réduite au silence, ne donna point signe de vie. Les conditions qu'une partie de la noblesse sut imposer à l'impératrice Anne étaient évidemment dictées par un esprit tout

(1) 1 vol. in-8°, Dentu, Palais-Royal.

différent; les hommes qui prirent part à ce mouvement oligarchique ne songeaient nullement à rétablir les choses sur l'ancien pied. Lorsque l'impératrice Élisabeth se saisit du pouvoir, les mécontens avaient beau jeu : on pouvait croire qu'ils allaient prendre en main la direction des affaires; mais il n'en fut rien. Le gouvernement resta fidèle de tout point aux principes qui avaient triomphé lors de la fondation de l'empire. Cela prouve, avec une entière évidence, que les prétentions du parti vaincu ne reposaient aucunement, comme on l'affirme, sur une base nationale.

L'histoire secrète de la cour de Russie au XVIIIe siècle inspire encore une réflexion qui n'est pas moins importante. Puisque la Russie a supporté cette longue période de folies désastreuses, il faut reconnaître qu'elle est fortement constituée; peu de pays auraient résisté à un pareil régime. Au reste, si les désordres auxquels nous venons de faire allusion n'ont point causé plus de ravages dans son sein, c'est encore à Pierre Ier qu'il faut remonter pour trouver de ce fait remarquable une explication suffisante. On a souvent blâmé ce souverain d'avoir élevé, par ses réformes, une barrière infranchissable entre la noblesse et le peuple. Ce reproche est fort irréfléchi si les rapports qui existent entre le peuple et la classe noble avaient été aussi intimes au dernier siècle que dans les temps anciens, le scandaleux exemple que donnait la cour aurait altéré, beaucoup plus profondément qu'il ne l'a fait, la naïve simplicité des mœurs nationales. C'eût été un grand malheur pour la Russie, car, une fois qu'il aura dépouillé les mœurs de ses pères, le peuple russe y perdra promptement les rares qualités qui le distinguent, et sur lesquelles reposent les destinées du pays.

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Attendra-t-on longtemps encore avant d'autoriser les historiens russes à dévoiler les déplorables désordres qui forment le sujet de cet ouvrage? Lorsque, il y a un siècle environ, on adressait à l'illustre auteur de l'Histoire de l'empire de Russie sous le règne de Pierre le Grand des manuscrits pleins de révélations intéressantes, mais un peu trop véridiques, sur le caractère et la vie privée de son héros, il se gardait bien d'y rien puiser. « Les vérités, répondait-il prudemment, sont des fruits qui ne doivent être cueillis que bien mûrs. » Ce temps est arrivé pour Pierre ler; la plupart des faits que Voltaire avait cru devoir passer sous silence sont maintenant connus parmi nous, et un auteur russe qui a entrepris dernièrement de raconter la fondation de l'empire, M. Oustrialof, a vu s'ouvrir devant lui, par ordre du gouvernement, les archives les plus secrètes. On ne tardera pas sans doute à accorder la même faveur aux écrivains qui voudront s'occuper des règnes suivans; le gouvernement russe est maintenant assez fort et assez sage pour n'avoir point à redouter que l'on divulgue les honteuses faiblesses de ses prédécesseurs. En attendant, les, pages que nous venons de parcourir pourront être utilement consultées par tous ceux que la curiosité ou un motif plus sérieux engageront à étudier l'histoire de Russie dans les temps qui suivirent le règne de Pierre le Grand.

H. DELAVEAU.

V. DE MARS

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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE, HISTOIRE POLITIQUE ET LITTÉRAIRE.

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ESSAIS ET NOTICES. LES CORRecteurs du Texte de Shakspeare, par M. SAINT-
RENÉ TAILLANDIER.

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ERRATA DE CE VOLUME.

Dans les Souvenirs d'un Amiral, page 508, ligne 43, au lieu de Waltevreden, lisez
Weltevreden.

Page 510, ligne 35 et passim, au lieu du vaisseau le Dortwicht, lisez le Dordrecht.

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