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CHAPITRE III.

DES

ADJECTIFS

TROISIEME PARTIE DU DISCOURS.

§. I.

Néceffité d'avoir des Mots pour défigner les Qualités des objets.

CE qui existe, existe toujours d'une certaine maniere, sous telle ou telle

forme, avec telle ou telle qualité: & c'eft par ces qualités que nous diftinguons les objets les uns des autres, qu'ils nous affectent, qu'ils nous intéreffent; les uns par leurs formes brillantes ou élégantes, les autres par leurs qualités ufuelles.

Ainfi les vives couleurs de la lumiere, la fplendeur du Soleil, la magnificence d'un beau couchant, l'éclat de l'aurore, le brillant de la rofée, celui des perles, la fineffe d'une taille élégante, affectent agréablement la vue: tandis que les qualités admirables qui diftinguent un Pere, une Mere, une Epouse, des Enfans, un Ami,fun Protecteur, &c. & qui conftituent l'utile, l'honnête, le vrai, le confolant, &c. ont des droits inaltérables fur notre cœur. La Divinité elle-même nous attire à elle par fes perfections & par fes bienfaits.

Otez à un objet les qualités, & il ne fera plus rien: dépourvu de tout attrait, de toute aparence, il s'évanouira, il n'aura nulle exiftence pour nous.

Telle eft la perfection de l'homme, qu'il ne ceffe de vouloir acquérir des qualités qui puiffent le rendre toujours plus agréable à ses semblables, à la Divinité, à lui-même. Par elles, il s'élève fort au-deffus de ce qu'il eft; & il peut être aujourd'hui fort au-deffus de ce qu'il étoit hier, & devenir ainfi un Être tout nouveau: plus il acquiert, & plus il voit qu'il peut acquérir. C'est un Monde immenfe que le Créateur livre à fa conquête, & par lequel il fe raproche de tout ce qu'il y a de plus parfait. Infenfé celui qui se croit déjà Lout ce qu'il peut être !

Les objets étant donc tout ce qu'ils font, par leurs qualités, & toutes nos idées, tous nos Difcours roulant fans ceffe fur les objets, nos idées, nos Dif Cours rouleront réellement par-là même, fur les qualités de ces Objets.

Gram. Univ

R

Les qualités des objets doivent donc revenir fans ceffe dans le Difcours: elles doivent y occuper une place auffi diftinguée qu'intéreflante.

On aura des mots pour chacune d'elles, qui ne feront que pour elles, qui les peindront, qui les rapelleront, qui rendront fenfible l'intérêt qu'elles of frent. Tels feront, hauteur, élévation, beauté, Splendeur.

Mais ces mots peignent ces qualités en elles-mêmes, & fans aucun raport à aucun objet : il en faudra donc d'autres qui peignent les objets comme poffédant ces qualités, & tels feront ceux-ci: haut, élevé, beau, fplendide.

Ces derniers auront dans le Difcours une place fixe & diftinguée : ils feront conftamment à côté des Noms que portent les objets dans lesquels fe trouvent les qualités qu'ils expriment: ainfi le langage fe raprochera de la Nature de la maniere la plus énergique : car les qualités étant adhérentes aux Êtres, les mots qui les expriment fe trouvent adhérens aux Noms de ces objets ; & ils forment avec eux un enfemble, pareil à celui qu'offrent l'objet lui-même & fes qualités.

5. 2.

On les apelle Adjectifs, & pourquoi.

Auffi apelle-t-on, avec raifon, ces mots ADJECTIFS, du verbe Latin adjicere, ajouter, parce qu'ils font toujours ajoutés aux Noms & qu'ils font def tinés à ajouter à l'idée des Noms, celles des qualités qui fe rencontrent dans les objets qu'ils défignent..

En prononçant un Nom quelconque, celui de TEMPLE, par exemple, nous ne défignons aucun Temple en particulier : en le faifant précéder d'un Article, ce Temple, nous en défignons un, mais nous ne préfentons point fes qualités :: fi au contraire nous difons, ce Temple eft exhauffe, vajie, bien percé, &c.. nous indiquons les qualités que nous apercevons dans l'Oljet nommé; & nous en donnons ainfi des idées plus déterminées, plus dévelopées.

Ainfi ces mots exhauffé, vafte, percé, &c. lont des Adjectifs. Tels font en

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§. 3.

Propriétés des Adjectifs,& en quoi cette Partie du Difcours differe des Noms & des Articles.

L'Adjectif & le Nom different effentiellement, en ce que le Nom préfente feul l'idée d'un objet, au lieu que l'Adjectif fupose toujours un Objet dans lequel doit le trouver la qualité qu'il peint: que le Nom marche tout feul fans avoir befoin de fuport, & que l'Adjectif a besoin d'un Nom qui le foutienne & au moyen duquel il ait un fens abfolu.

Dès-lors on dira: un toît élevé, une tour haute, un édifice rond, une promenade agréable, un homme prudent, un Miniftre fage, un joli enfant, un Petit-Maître élégant, un beau tableau, un ouvrage merveilleux.

2o. On voit encore cette difference entre le Nom & l'Adjectif, que le Nom ne convient qu'aux objets de la même espèce, au lieu que l'Adjectif peut s'affocier avec des Objets ou des Noms de toute espèce: ainsi le mot ÉLEVÉ peut s'apliquer à tout Objet dans lequel on reconnoîtra une qualité pareille. L'on dira:

Un lieu élevé, un homme élevé, des fentimens élevés.
Un flambeau élevé, un tableau élevé, des nuages élevés.
Unftyle élevé, une voix élevée, &c.

3. On pourroit regarder les Adjectifs comme des ellipfes; car ils peignent moins la qualité elle-même, que l'état d'une personne qui poffede telle ou telle qualité.

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Ainfi, haut, élevé, riche, &c. ne font pas, proprement parler, des qualités, mais des qualificatifs, des mots qui repréfentent les Étres auxquels on les attribue, comme poffédaut telles ou telles qualités, celles de hauteur, d'élévation, de richesse, &c.

Un lieu élevé, eft donc mot à mot un lieu dans lequel on trouve la qualité défignée par le mot hauteur.

Cet homme eft prudent, eft une phrase qui fignifie mot à mot, cet homme poffede la qualité que nous apellons prudence.

4°. Les Adjectifs ne font donc pas effentiels à la parole; on pourroit s'en paffer à toute rigueur: mais on y gagne de la brièveté, ce qui eft un grand point; & des tournures très-variées & fans monotonie, ce qui en eft un autre fort important.

De-là, réfultent les tableaux que nous avons apellés énonciatifs ; tels que ceux-ci :

Cette Tour eft immense.
Ce Dôme eft prodigieux.
Le Soleil eft brûlant.
Le Tems eft dérangé.

Et qui forment les tableaux les plus communs du langage.

5°. Nous trouvons donc ici entre les Articles & les Adjectifs, un caractère qui les diftingue effentiellement. Les Adjectifs, comme nous venons de voir, ne font que des formules elliptiques, qui peuvent fe réfoudre par d'autres, d'une maniere auffi nette. Il n'en eft pas de même des Articles; ceux-ci ne tiennent lieu d'aucune autre formule: ils ne peuvent être rendus par aucune autre.

6o. Enfin, l'Adjectif fépare en quelque forte en deux claffes tous les Êtres l'une, formée de ceux auxquels convient la qualité qu'il exprime: l'autre, qui renferme ceux auxquels on ne peut pas l'attribuer.

Ainfi les lieux élevés fupofent les lieux qui ne le font pas les hommes fages fupofent des hommes dépourvus de fageffe: ainfi de fuite.

7°. Les Noms & les Adjectifs ayant entr'eux des differences auffi effentielles, doivent donc avoir des places très-diftinctes entre les Parties du Difcours. Mais telles étoient les idées vagues & peu exactes qu'on en avoit, que ces deux Parties du Difcours avoient toujours été réunies en une feule, comme fi un Adjectif étoit un Nom, comme fi la poffeffion d'une qualité étoit un Être, comme file contenant & le contenu étoient la même chofe; jufqu'à ce que nos derniers Grammairiens, qui ont analysé la parole avec tant d'art, se sont enfin aperçus de cette erreur, & ont eu foin de l'éviter.

§. 4.

ORIGINE DES ADJECTIFS.

1o. La Comparaifon.

Nous avons vu que tous les mots naiffent des Noms: les Adjectifs auront donc pris leur fource dans les Noms: mais comment les mêmes mots qui défignoient des objets, pouvoient-ils défigner encore des qualités ? N'y auroit-il pas de la contradiction, ou de l'embarras, dans ce double emploi ? D'ailleurs un objet n'eft pas fa qualité : comment le nom de l'un pouvoit-il

devenir le nom de l'autre ? D'un autre côté, on ne pouvoit inventer des mots qui ne fuffent pas des Noms.

Cependant les Adjectifs exiftent: on trouva donc le moyen d'enlever ces difficultés n'en foyons pas furpris: on en avoit befoin: or, rien de plus ingénieux que le befoin.

Parler en eft un, & il le fut dès les commencemens, dès la premiere famille qui exifta. C'étoit une Compagne aimable à laquelle on vouloit plaire: des enfans chéris qu'on vouloir former & inftruire: des plaifirs qu'on vouloir peindre: des ordres qu'on avoit à donner, des précautions qu'il falloit indi quer ́:j'allois dire, des ennuis qu'on défiroit de charmer, comme s'il y avoit des momens d'ennuis dans une vie active, au milieu de cette variété étonnante qu'offre fans ceffe la Nature & la vie champêtre : l'ennui ne fut connu des Mortels que lorfque ceffant d'être Laboureurs ou Bergers, ils abandonnerent les campagnes où ils n'avoient aucun moment de vuide, où la Nature les maîtrifoit; & qu'ils vinrent s'enfermer & s'entaffer dans les Villes, où ils connurent. pour la premiere fois l'oifiveré & le repos ; & avec eux, l'ennui, & le poids incommode de l'exiftence, pour qui a le tems de s'en apercevoir.

Le Langage d'ailleurs étoit en bonnes mains. Les Meres de famille, toujours de moitié dans toute la vie, & dont le caractère eft fi vif, fi délicat, fi fenfible, i plein d'imagination, durent néceffairement aller très-loin dans cette carriere: le langage dut devenir entre leurs mains,nombreux & agréable; il dut fe remplir d'images & de figures: il dut être tout comparatif, afin d'être à la portée des jeunes têtes qu'elles avoient à inftruire.

On n'a done qu'à fe mettre à la place de la premiere Mere de famille qui ait parlé, (& elle étoit belle & douce cette premiere Femme, ) & l'on fera comme elle, & l'on aura fa Grammaire; & ce fera celle que nous avons.

La Nature & l'analogie avoient donné les Noms, peinture des objets; la comparaifon donna les Adjectifs, qui, fans être la peinture directe des qualités, n'en font pas moins énergiques.

En effet, comparer, c'eft connoître: ce que nous ne connoiffons pas, mais que nous voulons découvrir, nous le comparons avec ce que nous connoiffons déjà cette comparaison eft un flambeau qui perce l'obfcurité la plus profonde; enforte que de comparaifons en comparaisons, nous parcourons un chemin immenfe ; & les ténèbres fuient loin du cercle étroit qui nous environnoit d'abord.

Ainfi, lorsque l'on voulut défigner la qualité d'un objet, on emprunta le nem de l'objet dont cette qualité faifoit le caractère propre.

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