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ARTICLE II.

INVENTION DES TEMS ET LEUR GRADATION.

S. I.

Des Tems en général.`·

Jusqu'ici nous n'avons confidéré l'exiftence que dans un point, dans le moment actuel : c'eft le feul tems qui pût exifter pour nous, fi nous étions bornés à de fimples fenfations: n'éprouvant jamais que la fenfation actuelle, nous n'aurions de connoiffance que celle du moment: mais telle eft la perfection de l'homme, que non-feulement il a le fentiment du préfent ; mais qu'en fe rapellant fes actions paffées, il conferve encore le fouvenir du tems qui n'eft plus ; & que portant fes vues au-delà du préfent, il découvre des tems qui ne font pas encore: ainfi notre exiftence actuelle s'accroît de l'exiftence paffée que nous nous rapellons, & de l'existence future que nous prévoyons.

C'eft par cette faculté admirable que l'homme eft véritablement homme, qu'il fe montre un Être vraiment intelligent : car ce n'eft que par-là qu'il peut fe former un plan de conduite pour fa vie entiere, faire que chaque inf tant foit dirigé au même point que tous ceux qui le précéderent ou qui le fuivront ; & ne pas vivre au jour le jour, comme les Sauvages, les enfans, ou les animaux.

C'eft par une fuite de cette faculté que naquirent les Arts, dont l'unique but eft de fe procurer pour l'avenir une existence plus agréable; & que fe forma P'Hiftoire, dépôt des événemens paffés, pour l'inftruction des vivans.

C'est par elle que l'homme réfifte même à tous les charmes du moment

actuel, aux jouiffances les plus délicieuses, afin de pouvoir jouir du tems qui n'eft plus; & que franchiffant les bornes du tems, il s'enfonce dans une éternité qu'il conçoit être & qu'il efpere, & fe conduit dès cette vie d'une maniere qui ne puiffe point troubler la jouiffance de celle-là, en fe trouvant en contradiction avec elle.

Cette diverfité de Tems, influant fans ceffe fur notre conduite, fe pein

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dra continuellement dans nos idées : toutes porteront leur empreinte. En effet, à quel objet pouvons-nous penfer, quel être pouvons-nous nous repréfenter, quelle action même pouvons-nous nous peindre fans les voir dans le tems préfent, ou dans le tems paffé, ou dans un tems à venir ?

Nous ne faurions donc peindre aucune idée,fans la peindre en même tems avec fes raports à un tems quelconque; de-là, la néceffité d'avoir des mots qui peignent l'existence préfente, l'existence paffée, & l'exiftence future; de-là la néceffité que le Verbe, le lien de la parole, changeât fuivant ces raports; & de-là fes trois formes dont nous avons déjà parlé, il eft,il fut, il fera. EST, qui lie par l'idée d'existence actuelle; FUT, qui lie par l'idée d'existence paffée; SFRA, qui lie par l'existence future.

De-là, la division du Verbe en trois Tems, le Préfent, le Paffé & le Futur; dont nous avons également déjà parlé.

Dès que les Participes furent réunis au Verbe ÊTRE, ils durent l'être fucceffivement à chacun de fes Tems; ainfi ces nouveaux Verbes eurent également trois Tems,

Mais de tous ces Tems, quels naquirent les premiers? c'eft ce que nous nous propofons de difcuter dans ce fecond Article. Pour cet effet, tranfporTons-nous au tems paffé, dans le tems où la Société commença & où les hommes durent commencer par pourvoir aux befoins actuels."

§. 2.

Impératif, premier des Tems.

Avant qu'on pût penfer à l'avenir ou qu'on cherchât à fe rapeller le paffe, il fallut pourvoir au moment préfent; car comment fe rapeller l'un ou rêver à l'autre, tandis qu'on eût été agité du plus preffant besoin, celui de pourvoir au moment? Le premier foin des hommes fut donc de réunir leurs efforts pour le procurer ce qui leur étoit indispensable pour la vie; tel dut donc être le but de leurs premiers difcours.

Ce n'eft donc pas dans les harangues des Orateurs, dans les difcours des Philofophes, dans les récits des Hiftoriens, chez ceux qui font raffafiés, ou qui n'ont nul lieu d'être en peine pour le lendemain, que nous devons chercher comment fe dévelopa la chaîne des Tems. Ce n'eft pas même dans les Grammairiens; ceux-ci font toujours partis des chofes qu'ils trouvoient établies ils n'étoient pas à même de voir comment elles s'étoient établies.

Celui qui a befoin, demande, prie, follicite, & lorfque plufieurs concou

rent

rent à une même action, le plus habile, ou celui pour qui elle fe fait, dirige les autres; il leur dit ce qu'ils doivent faire : tandis que celui qui en a d'autres à fon fervice, leur commande.

Les Verbes commencerent donc par l'IMPÉRATIF, par ce tems qui dit de la maniere la plus courte & la plus prompte, ce qu'on doit faire : car dans les chofes preffées & où il faut exécuter fur le champ, on ne fauroit chercher de longs difcours ; & ce n'eft pas dans le befoin qu'on s'amufe à haranguer,

Auffi l'Impératif eft-il comme les difcours des muets; à peine eft-il audeffus du gefte : il eft comme lui ifolé, découfu, l'affaire de l'inftant, un fimple fon, comme l'autre eft un fimple mouvement; presque toujours compofé d'une feule fyllabe

Viens, va, donne, aide, fais, prends, porte, marche, dis, parle, parle, vois fois, &c. tels font les Impératifs dans toutes les Langues, parce qu'aucune ne put s'écarter de la Nature, dont elles furent toujours l'expreffion.

C'est par cette raison que l'IMPÉRATIF eft le tems qui fert à énoncer toutes les Loix: ce style fimple & majestueux eft digne de la grandeur de la Loi, & de fon importance: c'est l'évidence, l'utilité, le falut commun, qui dicte aux hommes les moyens d'être heureux : c'est l'ordre éternel & néceffaire qui, non content de faire entendre fa voix, fait connoître en même tems le befoin urgent d'être obéi.

Le Légiflateur des Hébreux, qui ne met que l'Impératif dans la bouche du Créateur, fut donc un grand Peintre, fur tout lorfqu'il veut repréfenter la promptitude avec laquelle il forma l'Univers. C'est comme s'il difoit: Lumiere, sois! & la lumiere fut. Sec, PAROIS! & il parut. Ainfi il le peint donnant des ordres à ce qui n'étoit pas,parce qu'il alloit paroître comme on paroît à la voix de fon Maître: il femble qu'on voit la Nature attentive à la voix d'un Pere bienfaisant, & fe hâter de lui obéir, fe prêter auffi-tôt à fes ordres, devenir tout ce qu'il veut (†). C'eft le fpectacle le plus grand qu'on pût

(†) Un Philofophe Payen a cité cette expreffion de Moyfe, comme un exemple fra pant du fublime. Un Evêque du dernier fiécle, célebre par fes connoiffances, s'éleva contre ce jugement il n'y vit qu'un fimple récit historique, & par conséquent rien que de très-ordinaire ; c'est qu'il le lifoit mal: il le traduifoit ainfi : Dieu dit que la lumiere foit, & la lumiere fut. C'est un narré fimple, d'un fait étonnant; mais un fimple récitatif n'a rien de fublime. Otez le récitatif, repréfentez Dieu parlant, & la lumiere H h

Gramm. Univ.

mettre fous les yeux des hommes. C'étoit mieux peindre la grandeur & la puiffance de Dieu, qu'avec un gros Livre de Métaphyfique.

S. 3.

Le PRETERIT, fecond des Tems..

Bientôt, chacun raconte ce qu'il a fait, les peines qu'il a eues, les obftacles qu'il a été obligé de vaincre, les moyens qu'il a mis en œuvre pour les enlever, les fuccès dont ils ont été fuivis, le point où il a laiffé fon ouvrage :: mais pour raconter tout cela, pour le peindre relativement au Tems, on donnera au Verbe une tournure différente, qui faffe voir que la chofe eft paffée : l'on avoit dit, va, viens, fais, donne, &c. l'on dira, je fuis allé, je fuis venu, j'ai fait, j'ai donné, j'ai fini, &c.

Ce fera donc ici une nouvelle portion du Verbe; un nouveau Tems qu'on apellera PRETÉRIT, le Tems paffé ou le PARFAIT, parce qu'il peint um évenement paffé, qui n'eft plus, une chose faite & parfaite, telle qu'on la défiroit..

S. 4..

Du FUTUR.

Cela ne fuffit pas : il faut encore pourvoir à l'avenir, prendre des me fures pour ce que l'on fera le lendemain, & pendant tout le tems qu'on con-tinuera les mêmes travaux : il faut donc transporter la peinture de l'action dans l'avenir; lui donner une nouvelle forme qui peigne cette nouvelle espéce d'existence ; cette existence qui n'eft encore en réalité que dans notre efprit; mais qui le fera à fon tour dans la Nature.

Ce fera encore ici une nouvelle portion du Verbe, un nouveau Tems

paroiffant à fa voix. Lifez: Dieu dit : lumiere, fois! & la lumiere fut: & l'expreffion s'ennoblit, elle devient majeftueufe & fublime. Ce n'eft plus un Hiftorien qu'on entend, ce n'eft plus un récit froid d'une chofe éloignée : c'eft la chofe même qu'on voit, c'eft: la Divinité même qu'on entend; on eft préfent à l'événement, il offre tout l'intérêt de: ce dont on eft spectateur; car ce qu'on voit eft bien fupérieur à ce qu'on n'entend que réciter. Mais avec beaucoup de connoiffances, on peut ne point s'entendre en fublime,, & traduire d'une maniere qui faffe absolument difparoître colui d'un Auteur, & qui luži ête toute fon énergie,.

qu'on apellera FUTUR, parce qu'il peint un évenement qui n'eft pas encore, mais qui doit être.

C'eft dans ce fens qu'on dit j'irai, je viendrai, je ferai, je donnerai : mots où l'existence future eft défignée par la valeur de R, comme nous l'avons deja expliqué par raport au Verbe Être.

Ainfi naquirent les différentes formes que prirent les Verbes pour peindre l'existence d'une action, conformément aux diverfes portions de Tems dans lefquelles elle fe fait, ou peut fe faire. Nous donnons à ces formes le nom de TEмs, fans prendre garde que ce mot devient équivoque, à cause du double fens qu'il acquiert par-là ; ce que les Anglois ont fagement évité, en diftinguant ces objets par des Noms différens. TIME fignifie chez eux le Tems; pendant que TENSE défigne les Tems du Verbe.

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L'inspection des Langues prouve que l'Impératif fut le premier des Temsi

Mais puisqu'un même Verbe fe charge ainfi d'un grand nombre de nuances differentes, suivant qu'il peint une action préfente, paliče ou future, ne faudra-t-il pas mettre entre toutes ces nuances un arrangement conftant? Et cer arrangement fera-t-il abandonné au fimple caprice? La raifon n'aura-t-elle point de méthode à preferire ici ? où chaque Tems fe fera-t-il placé au hafard? Non fans doute tout a fon ordre, & il faut que tout ce qui le conftitue ait fa place marquée par cet ordre même.

Lorfque nos Grammairiens ont placé les Tems de l'Indicatif à la tête des Verbes, & avant ceux de l'Impératif; lorsqu'ils ont arrangé les Tems de 1'Indicatif, de maniere que le Préfent eft le premier, ensuite le Passé, & enfin le Futur ; ils ont fuivi une méthode auffi contraire à la Nature qu'à la facilité de l'inftruction. Ils ont anéanti par cette prétendue fymétrie l'ordre dans lequel naquirent ces tems, le raport qui regne entr'eux relativement à cette filiation, celui qui existe entre le Verbe & fa racine.

C'est que ceux qui arrangerent ces Teins n'avoient aucune idée de la maniere dont ils s'étoient formés, & qu'ils chercherent feulement à mettre un arrangement entre toutes ces portions de Verbes, qu'ils voyoient en ulage.

Ce défordre fe fait fentir vivement en Gerc, où l'on n'aperçoit qu'avec peine les raports exiftans entre les Noms & les Verbes qui en naquirent,

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