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SECTION III.

Sedaine.

SEDAINE ne saurait, comme écrivain, entrer aucunement en comparaison avec Favart: ce n'est pas même, à proprement parler, un écrivain, puisqu'il est impossible de soutenir la lecture de la plupart de ses ouvrages, et que dans ceux même qui sont les moins mal écrits, et où le dialogue en prose a du moins quelque naturel, les vers sont généralement si mauvais qu'il n'y a point de lecteur qui n'en soit rebuté. Son talent ne peut absolument se passer ni du théâtre ni de la musique, et pourtant n'est point méprisable. Il faut d'abord songer qu'il n'avait fait aucune espece d'études, et ce n'était pas sa faute: ce fut au contraire un mérite à lui d'avoir commencé par être tailleur de pierres, ensuite maçon, et de s'être élevé de là jusqu'à la place de secrétaire de l'académie d'architecture, et même à celle d'académicien français, quoiqu'il eût à peine quelque théorie de l'architecture, et qu'il n'en eût aucune de la grammaire. Je ne sais s'il était en état de bâtir une maison; mais je suis sûr qu'il n'était pas capable de rendre compte de la construction d'une phrase. Son ignorance était extrême, et pourtant, quoiqu'on ait pu beaucoup

plaisanter sur ses places académiques, je ne pense pas qu'on eut tort de les lui accorder. Il ne les dut sûrement pas à l'intrigue : personne n'y était moins propre que lui; mais les architectes furent flattés d'avoir à leur tête un auteur applaudi, et l'académie française ne crut pas devoir refuser obstinément un vieux candidat devenu septuagénaire, qui lui apportait quarante ans de succès au théâtre. Elle se chargea de payer la dette du public, dont Sedaine avait su, à l'aide de la scene et du chant, faire si long-tems les plaisirs; et après tout, si elle avait regardé comme un devoir d'admettre. dans son sein le petit neveu de son fondateur, quoiqu'il ne sût pas l'ortographe (1), elle pouvait bien ne pas regarder comme un tort d'honorer le talent dramatique, en excusant le défaut des premieres études, qu'il est si rare et si difficile de suppléer. Sedaine lui-même, quoique très-vain, fut ce jour-là très-modeste, soit qu'il se crût obligé à la reconnaissance, soit qu'il eût assez de sens pour comprendre que, si d'un côté on lui faisait justice, de l'autre on lui faisait grace, et que malgré une demi-douzaine de jolis opéras comiques,

(1) Le maréchal de Richelieu n'en savait pas un mot, comme on l'a vu cent fois par ses lettres autographes : ce n'était pas l'éducation qui lui avait manqué, et même il ne manquait pas d'esprit.

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il devait en quelque sorte demander pardon au public pour lui et pour nous, de siéger à l'académie française, après avoir si souvent prouvé lui-même qu'il ne savait pas le français.

Cette espece d'exception faite en sa faveur, n’en était pas moins honorable pour lui, et l'existence qu'il s'était faite, et dont il n'était redevable qu'à lui-même, prouvait plus que de l'esprit et du talent. Il fallait des qualités plus essentielles pour avoir fait ce chemin du point d'où il était parti, et s'il n'eût pas eu de quoi se faire estimer personnellement, ses succès dramatiques ne l'auraient pas sauvé du ridicule attaché à un tel degré d'ignorance, dans la profession d'auteur qui doit naturellement l'exclure. Mais sa vie retirée, honnête et laborieuse fut toujours sans reproche. Il ne fut jamais qu'homme de cabinet et pere de famille, et nullement homme du monde. Le public ne le connaissait qu'au théâtre, où étaient tous ses avantages, et s'il n'attirait point les regards de la société, il en évita tous les écueils, toujours plus ou moins à craindre dans l'état d'auteur, qui n'étant guere qu'une affiche publique d'amour-propre, vous met en compromis avec celui de tout le monde.

Cet homme qui écrit si mal, a pourtant fait de tems à autre de petits morceaux que les bons faiseurs ne désavoueraient pas, et c'est parce qu'on

s'y attend moins, que je commence par cette premiere preuve d'un talent naturel. Qui croirait que dès 1756, dans une piece de la foire, qui n'a pas le sens commun, farcie de platitudes et de grossiéretés (le Diable à quatre), Sedaine eût fait un couplet qu'on trouverait bon dans Favart et dans Panard? C'est une Margot qui le chante, et quoiqu'il ne soit pas au dessus de la portée de Margot, il n'en est pas moins bien fait.

« Si je prenais du tabac, à présent que je suis seule ? »>

Je n'aimais pas le tabac beaucoup;

J'en prenais peu, souvent point du tout.
Mais mon mari me défend cela :

Depuis ce moment-là,

Je le trouve piquant,
Quand

J'en veux prendre à l'écart
Car

Un plaisir vaut son prix,
pris

En dépit des maris.

On ne s'avise jamais de tout est une piece infi niment plus connue, et tout le monde a chanté Une fille est un oiseau, sans qu'on ait, ce me semble, remarqué que la chanson est d'une tournure facile et précise.

Une fille est un oiseau
Qui semble aimer l'esclavage,
Et ne chérir que la cage
Qui lui servit de berceau.
Sa gaieté, son badinage,
Ses caresses, son ramage,
Font croire que tout l'engage
Dans un séjour plein d'attraits;
Mais ouvrez-lui la fenêtre,
Zeste, on le voit disparaître
Pour ne revenir jamais.

Mais les autres ariettes de la même piece, excepté

celle de la duegne,

Je suis native de Raguse

Et j'arrive de Syracuse, etc.

ne sont pas meilleures pour être depuis trente ans dans la bouche de tout le monde. Cette romance dont l'air est si mélodieux, Jusque dans la moindre chose, dit longuement et platement dans trois couplers ce qu'il fallait dire en un seul et beaucoup

mieux.

Je le vois dans le nuage
Que l'air promene à son gré.
Pour moi tout est son image:
Mon cœur en a soupiré.

C'est aller chercher son amant bien loin que de le voir dans le nuage. Comme tout cela est faux! L'amour qui rêve et qui soupire a presque toujours

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