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DÉCEMBRE.

Le Malheureux imaginaire, comédie en cinq actes, en vers, par M. Dorat, a été représenté à Paris, pour la première fois, le 7 décembre. Cette pièce, assez mal accueillie à la cour, l'a été plus mal encore à la ville, le jour de la première représentation. Les changements que l'auteur y a faits depuis, en cachant quelques défauts, ont inspiré du moins plus d'indulgence au public, et les bons amis du poëte n'ont pas manqué de dire que le plus heureux de ces changements était celui du parterre. Que ce soit un trait de médisance ou de calomnie, ce n'est pas d'un mot plaisant que dépend le succès d'un bon ou d'un mauvais ou

vrage.

Un ouvrage plein de détails charmants, un ouvrage dont le style, en général élégant et facile, étincelle de traits heureux. quelques défauts qu'il puisse avoir d'ailleurs, aura toujours un mérite très-réel; mais ce mérite pourra bien ne pas être celui d'une bonne comédie. Avec le désir de rendre à M. Dorat toute la justice due à un talent aussi agréable que le sien, il faut convenir que son Malheureux imaginaire manque également d'intérêt et d'action; que les scènes en sont mal liées et se succèdent sans mouvement; que l'attitude de ses personnages ne varie pas plus que leur situation, et que par conséquent, non-seulement ils n'agissent point, mais se trouvent même réduits à une monotonie de sentiments et d'idées, qui, sans la grâce et le coloris du poëte, serait mille fois plus fatigante encore.

On a beaucoup critiqué le choix du sujet; je n'en vois qu'une bonne raison, c'est l'extrême difficulté qu'il y avait à le traiter. Ce sujet demandait un talent aussi supérieur que le Misanthrope, peut-être même était-il plus difficile de lui donner une couleur théâtrale et comique. Il n'en est pas moins vrai que les originaux de ce caractère sont plus communs de nos jours qu'ils ne l'ont jamais été, et qu'il était intéressant de les peindre. C'est un caractère qui appartient exclusivement au siècle où le tourment de la réflexion est devenu une maladie épidémique, où la satiété de tous les goûts blase l'imagination de si bonne heure, où le pro

grès du luxe, en énervant les âmes, ne fait qu'irriter leur sensibilité, exagère notre inquiétude naturelle, et nous donne tant de peines et tant de besoins factices.

Dire que le Malheureux imaginaire est un homme mélancolique, vaporeux; que sa folie est plutôt un mal physique qu'un travers de l'esprit ou un vice du cœur, c'est un reproche que M. Dorat peut avoir mérité; mais est-ce la faute de son sujet? S'il n'était pas permis de présenter au théâtre des vices et des travers qui peuvent tirer leur origine de la conformation physique de notre être, des affections particulières de nos nerfs, il resterait peut-être assez peu de sujets à traiter, et le Misanthrope et le Distrait se trouveraient les premiers enveloppés dans la proscription.

Nous demandons pardon à M. Dorat d'avoir parlé du Misanthrope à propos du Malheureux imaginaire. On peut avoir beaucoup d'esprit, beaucoup de talents, sans approcher d'un si grand modèle. Peut-être lui en eût-on trouvé davantage s'il se fût contenté de réduire tous les jolis vers dont la pièce est remplie, en deux Épîtres, du Malheureux imaginaire à l'Insouciant, et de l'Insouciant au Malheureux imaginaire. Ce rôle de l'Insouciant a été joué supérieurement par le sieur Bellecourt, et n'a pas peu contribué à relever l'ouvrage de sa première disgrâce.

On a publié ici un livre qui pouvait devenir d'un grand intérêt, s'il eût été rédigé par une main plus habile: Mémoires d'une reine infortunée [Caroline-Mathilde, reine de Danemark], entremêlés de Lettres écrites par elle-même à plusieurs de ses parents et amies illustres, sur plusieurs sujets, et en différentes occasions; traduits de l'anglais, à Londres. Un petit volume in-12.

On ne trouve dans ces Mémoires qu'une apologie assez faible de la conduite de la reine Mathilde, et les imputations les plus odieuses contre la reine Julie-Marie et le prince Frédéric. Cet ouvrage ne donne d'ailleurs aucune idée de la révolution qui perdit cette jeune princesse, ni des circonstances qui la préparèrent, ni des ressorts qui la firent réussir. Le seul homme capable peut-être d'écrire cette malheureuse histoire ne se permettra jamais de la publier. C'est M. Reverdil, l'auteur des Lettres sur le Danemark, qui jouit plusieurs années de toute la confiance du roi, dont il avait été le précepteur; qui fut à Copen

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hague dans le moment de la révolution, et qui, sans avoir voulu prendre aucune part à cette funeste intrigue, en connaissait trop bien les principaux acteurs pour ne pas démêler aisément la suite de leurs vues et de leurs démarches. Je le priai un jour de me faire le portrait du fameux Struensée. « C'est Tacite, dit-il, qui le fera pour moi. » Et il me lut ce que cet historien philosophe nous dit d'un favori de Tibère (Annal., lib. I, c. LXXIV) : Qui formam rite iniit, quam postea celebrem miseria temporum, et audacia hominum fecerunt: nam egens, ignotus, inquies, dum occultis libellis sævitiæ principis adrepit, mox clarissimo cuique periculum facessit, potentiam, apud unum odium apud omnes adeptus, dedit exemplum quod secuti, ex pauperibus divites, ex contemptis metuendi, perniciem aliis ac postremum sibi invenere..... A la cruauté près, qu'on ne peut jamais reprocher ni au roi, ni à son ministre, je n'ai rien vu de plus ressemblant.

La brochure qu'on a l'honneur de vous annoncer contient plusieurs lettres de la reine, l'histoire de la princesse de Zell, épouse de George I", un abrégé de la Vie de Charles XII et de Pierre le Grand, les Aventures de Charles Stuart, enfin des recherches sur le caractère des Anglais, des Français et des Danois. On nous donne ces différents morceaux comme autant de fruits des loisirs de la reine au château de Zell. Il n'y a point de mal à cela; mais ce serait au moins une peine fort inutile que d'examiner scrupuleusement si tous ces morceaux, qui n'ont rien de neuf, rien de particulièrement intéressant, sont en effet l'ouvrage de la reine ou non. Ce n'est pas d'aujourd'hui, comme on sait, que messieurs les auteurs s'avisent, du fond de leur galetas, d'emprunter des tiares et des couronnes pour débiter un peu mieux leur marchandise. Le malheur est que la ruse est devenue trop commune pour faire encore beaucoup de dupes, et tout le monde n'entend pas ce manége comme l'éditeur des Lettres de Ganganelli'.

Quoique l'ouvrage de M. Gudin ne se vende encore que sous le manteau, il s'en est répandu un assez grand nombre d'exemplaires; et l'espèce de sensation qu'il a faite aurait pu suffire, il y a dix ans, pour assurer à l'auteur ce qu'il ambi

1. Caraccioli.

tionne depuis si longtemps, les honneurs de la Bastille. L'ouvrage est intitulé: Aux mânes de Louis XV et des grands hommes qui ont vécu sous son règne, ou Essai sur les progrès des arts et de l'esprit humain sous le règne de Louis XV. Aux Deux-Ponts, à l'Imprimerie Ducale, deux volumes in-8°.

Après avoir retracé en peu de mots l'état de la France à la mort de Louis XIV, nos acquisitions et nos pertes sous Louis XV, le progrès du gouvernement depuis Charlemagne, etc., notre auteur veut bien nous instruire encore des fautes de l'administration sous Louis XIV et sous Louis XV; mais quelque décidé que soit le ton dont il parle d'une matière aussi importante et aussi délicate, son intention n'était pas sans doute de l'approfondir; il ne dit sur cet objet que les choses les plus communes et les plus superficielles. La révolution de 1771 fixe seule toute son attention. I jette ensuite un coup d'œil rapide sur les guerres qui s'allumèrent sous le dernier règne; et il en compte six, en observant cependant que trois de ces guerres, peu remarquées des historiens, sont déjà oubliées du reste des hommes.

Les articles où l'on traite de l'art militaire, de l'agriculture, du commerce et des arts mécaniques, sans être beaucoup plus instructifs que celui de l'administration, offrent du moins quelques anecdotes intéressantes, et nous ne pouvons nous refuser au plaisir d'en citer une qui mériterait d'être plus connue.

« Un Dauphinois, nommé Dupré, qui avait passé sa vie à faire des opérations de chimie, inventa un feu si rapide et si dévorant qu'on ne pouvait ni l'éviter, ni l'éteindre; l'eau lui donnait une nouvelle activité. Sur le canal de Versailles, en présence du roi, dans les cours de l'Arsenal, à Paris, et dans quelques-uns de nos ports, on en fit des expériences qui firent frémir les militaires les plus intrépides... Quand on fut bien sûr qu'un seul homme, avec un tel art, pouvait détruire une flotte ou brûler une ville, sans qu'aucun pouvoir humain y pût donner le moindre secours, le roi défendit à Dupré de communiquer son secret à personne; il le récompensa pour qu'il se tût; et cependant ce roi était alors dans les embarras d'une guerre malheureuse: il craignit d'augmenter les maux de l'humanité; il aima mieux souffrir. Dupré est mort, et je crois qu'il a emporté avec lui son funeste secret1.>>

1. Dupré, joaillier, né aux environs de Grenoble, découvrit en faisant des

Le plus grand défaut des Mânes de Louis XV est de louer sans cesse ce qu'il fallait peindre, l'esprit dominant de ce règne. Cette manie ôte non-seulement au sujet presque toutes les nuances dont il était susceptible; et d'un livre qui devait offrir l'instruction la plus intéressante elle ne fait qu'un panégyrique assez ordinaire, et peut-être même est-elle la principale cause des erreurs que l'auteur a embrassées avec tant de confiance. On ne saurait le soupçonner cependant d'avoir eu le projet de flatter bassement ni les mânes de Louis XV, ni les grands hommes qui lui ont survécu. Il y a dans sa manière de louer beaucoup plus de bonne foi que d'esprit et d'adresse, et l'adulation a un tout autre langage. Il est donc sûr que M. Gudin pense profondément tout ce qu'il dit; mais qu'enchanté des progrès que la philosophie a faits de nos jours, il ne peut s'imaginer que le siècle où l'on a si bien prouvé qu'il n'y avait point de Dieu ne soit le premier des siècles, par conséquent celui où l'on a le plus de lumière et de talent, celui où l'on fait les plus beaux vers, les meilleurs tableaux, les plus belles statues. La candeur et la sincérité qui règnent dans tous ces éloges n'empêcheront pas que M. de Beaumarchais ne soit lui-même un peu étonné de se voir représenté comme le Brutus ou le Caton de la France, pour avoir disputé à la dame Goëzman quinze louis avec plus de caractère, d'esprit et de gaieté qu'on n'en avait encore mis dans aucun mémoire.

Il y a deux époques dans l'histoire de nos mœurs que M. Gudin n'a pas assez distinguées, celle qui suivit les folies de la Régence, et celle qui a commencé avec les malheurs de l'État, les drames et les grands succès de la philosophie. Le désordre des affaires publiques nous rendit tristes, on aima mieux pleurer que rire. On trouva une sorte de consolation dans les injures que les philosophes dirent aux rois et aux dieux, et l'impuissance

recherches chimiques sur la fonte des cristaux un feu inextinguible dont il offrit de vendre le secret au maréchal de Belle-Isle, ministre de la guerre (1759). Les expériences qui eurent lieu dans les carrières de Belleville, sur le canal de Versailles et au Havre, furent concluantes, mais Louis XV, mù par un sentiment d'humanité, acheta le silence de l'inventeur moyennant une pension de 2,000 livres et le cordon de Saint-Michel. Dupré, toujours surveillé depuis par la police royale, mourut en 1772, peut-être par suicide. Cf. Mémoires de Bachaumont (20 nov. 1772); Revue rétrospective, 2e série, t. IV, p. 264, et surtout la Biographie du Dauphine de M. Ad. Rochas (Charavay, 1856-1860) à laquelle nous empruntons les éléments de cette note.

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