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de telles hardiesses ne fussent employées que quand elles servent à la fois à mettre dans la pièce de l'intrigue et de la terreur et je voudrais surtout que l'intervention de ces êtres surnatureis ne parût pas absolument nécessaire. Je m'explique: le nœud d'un poëme tragique est tellement embrouillé qu'on ne puisse se tirer d'embarras que par le secours d'un prodige, le spectateur sent la gêne où l'auteur s'est mis, et la faiblesse de la ressource; il ne voit qu'un écrivain qui se tire maladroitement d'un mauvais pas. Plus d'illusion, plus d'intérêt :

<< Quodcumque ostendis mihi sic, incredulus odi. »

HOR., 188.

Mais je suppose que l'auteur d'une tragédie se fut proposé pour but d'avertir les hommes que Dieu punit quelquefois de grands crimes par des voies extraordinaires; je suppose que sa pièce fût conduite avec un tel art que le spectateur attendit à tout moment l'ombre d'un prince assassiné qui demande vengeance, sans que cette apparition fût une ressource absolument nécessaire à une intrigue embarrassée: je dis qu'alors ce prodige, bien ménagé, ferait un très-grand effet en toute langue, en tout temps, et en tout pays.

Tel est à peu près l'artifice de la tragédie de Semiramis ( aux beautés près, dont je n'ai pu l'orner ). On voit, dès la première scène, que tout doit se faire par le ministère céleste; tout roule d'acte en acte sur cette idée. C'est un dieu vengeur qui inspire à Sémiramis des remords qu'elle n'eût point eus dans ses prospérités, si les cris de Ninus même ne fussent venus l'épouvanter au milieu de sa gloire. C'est ce dieu qui se sert de ces remords mêmes qu'il lui donne pour préparer son châtiment; et c'est de là même que résulte l'instruction qu'on peut tirer de la pièce. Les anciens avaient souvent, dans leurs ouvrages, le but d'établir quelque grande maxime; ainsi Sophocle finit son Edipe, en disant qu'il ne faut jamais appeler un homme heureux avant sa mort ici toute la morale de la pièce est renfermée dans ces vers:

Il est donc des forfaits

Que le courroux des dieux ne pardonne jamais!

maxime bien autrement importante que celle de Sophocle. Mais quelle instruction, dira-t-on, le commun des hommes peut-il tirer d'un crime si rare, et d'une punition plus rare encore? J'avoue que la catastrophe de Sémiramis n'arrivera pas souvent; mais ce qui arrive tous les jours se trouve dans les derniers vers de la pièce :

Apprenez tous du moins

Que les crimes secrets ont les dieux pour témoins.

Il y a peu de familles sur la terre où l'on ne puisse quelquefois

s'appliquer ces vers; c'est par là que les sujets tragiques les plus au-dessus des fortunes communes ont les rapports les plus vrais avec les mœurs de tous les hommes.

Je pourrais surtout appliquer à la tragédie de Sémiramis la morale par laquelle Euripide finit son Alceste, pièce dans laquelle le merveilleux règne bien davantage « Que les dieux << emploient des moyens étonnants pour exécuter leurs éternels « décrets! Que les grands événements qu'ils ménagent surpas<< sent les idées des mortels! >>

Enfin, monseigneur, c'est uniquement parce que cet ouvrage respire la morale la plus pure, et même la plus sévère, que je le présente à Votre Éminence. La véritable tragédie est l'école de la vertu ; et la seule différence qui soit entre le théâtre épuré et les livres de morale, c'est que l'instruction se trouve dans la tragédie toute en action, c'est qu'elle y est intéressante, et qu'elle se montre relevée des charmes d'un art qui ne fut inventé autretrefois que pour instruire la terre et pour bénir le ciel, et qui, par cette raison, fut appelé le langage des dieux. Vous qui joignez ce grand art à tant d'autres, vous me pardonnez, sans doute, le long détail où je suis entré sur des choses qui n'avaient pas peut-être été encore tout à fait éclaircies, et qui le seraient, si Votre Eminence daignait me communiquer ses lumières sur l'antiquité, dont elle a une si profonde connaissance.

TRAGÉDIE EN CINQ ACTES,

REPRÉSENTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS LE 29 AOUT 1748.

PERSONNAGES.

SÉMIRAMIS, reine de Babylone.

ARZACE, ou NINIAS, fils de Sémiramis.

AZÉMA, princesse du sang de Bélus.

ASSUR, prince du sang de Bélus.

OROÈS, grand prêtre.

OTANE, ministre attaché à Sémiramis.

MITRANE, ami d'Arzace.

CÉDAR, attaché à Assur.

GARDES, MAGES, ESCLAVES, SUITE.

La scène est à Babylone.

ACTE PREMIER.

Le théâtre représente un vaste péristyle, au fond duquel est le palais de Sémiramis. Les jardins en terrasse sont élevés audessus du palais. Le temple des mages est à droite, et un mausolée à gauche, orné d'obélisques.

SCÈNE PREMIÈRE.

Deux esclaves portent une cassette dans le lointain.
ARZACE, MITRANE.

ARZACE.

Oui, Mitrane, en secret l'ordre émané du trône
Remet entre tes bras Arzace à Babylone.
Que la reine, en ces lieux, brillants de sa splendeur,
De son puissant génie imprime la grandeur!
Quel art a pu former ces enceintes profondes
Où l'Euphrate égaré porte en tribut ses ondes;
Ce temple, ces jardins dans les airs soutenus;
Ce vaste mausolée où repose Ninus?

Éternels monuments, moins admirables qu'elle!
C'est ici qu'à ses pieds Sémiramis m'appelle.
Les rois de l'Orient, loin d'elle prosternés,
N'ont point eu ces honneurs qui me sont destinés :
Je vais dans son éclat voir cette reine heureuse.

MITRANE.

La renommée, Arzace, est souvent bien trompeuse;
Et peut-être avec moi bientôt vous gémirez,
Quand vous verrez de près ce que vous admirez.

Comment?

ARZACE.

MITRANE.

Sémiramis, à ses douleurs livrée,

Sème ici les chagrins dont elle est dévorée :
L'horreur qui l'épouvante est dans tous les esprits.
Tantôt remplissant l'air de ses lugubres cris,
Tantôt morne, abattue, égarée, interdite,
De quelque dieu vengeur évitant la poursuite,
Elle tombe à genoux vers ces lieux retirés,
A la nuit, au silence, à la mort consacrés;
Séjour où nul mortel n'osa jamais descendre,
Où de Ninus, mon maître, on conserve la cendre.
Elle approche à pas lents, l'air sombre, intimidé,
Et se frappant le sein de ses pleurs inondé.
A travers les horreurs d'un silence farouche,
Les noms de fils, d'époux, échappent de sa bouche:
Elle invoque les dieux; mais les dieux irrités
Ont corrompu le cours de ses prospérités.

ARZACE.

Quelle est d'un tel état l'origine imprévue?

MITRANE.

L'effet en est affreux, la cause est inconnue.

ARZACE.

Et depuis quand les dieux l'accablent-ils ainsi?

MITRANE.

Depuis qu'elle ordonna que vous vinssiez ici.

Moi ?

ARZACE.

MITRANE.

Vous ce fut, seigneur, au milieu de ces fêtes, Quand Babylone en feu célébrait vos conquêtes;

Lorsqu'on vit déployer ces drapeaux suspendus,
Monuments des États à vos armes rendus ;
Lorsqu'avec tant d'éclat l'Euphrate vit paraître
Cette jeune Azéma, la nièce de mon maître,
Ce pur sang de Bélus et de nos souverains,
Qu'aux Scythes ravisseurs ont arraché vos mains :
Ce trône a vu flétrir sa majesté suprême,

Dans des jours de triomphe, au sein du bonheur même.

ARZACE.

Azéma n'a point part à ce trouble odieux;

Un seul de ses regards adoucirait les dieux;
Azéma d'un malheur ne peut être la cause.
Mais de tout, cependant, Sémiramis dispose:
Son cœur en ces horreurs n'est pas toujours plongé?

MITRANE.

De ces chagrins mortels son esprit dégagé
Souvent reprend sa force et sa splendeur première.
J'y revois tous les traits de cette âme si fière,
A qui les plus grands rois, sur la terre adorés,
Même par leurs flatteurs ne sont pas comparés.
Mais lorsque, succombant au mal qui la déchire,
Ses mains laissent flotter les rênes de l'empire,
Alors le fier Assur, ce satrape insolent,
Fait gémir le palais sous son joug accablant.
Ce secret de l'État, cette honte du trône,
N'ont point encor percé les murs de Babylone.
Ailleurs on nous envie, ici nous gémissons.

ARZACE.

Pour les faibles humains quelles hautes leçons !
Que partout le bonheur est mêlé d'amertume!
Qu'un trouble aussi cruel m'agite et me consume
Privé de ce mortel, dont les yeux éclairés
Auraient conduit mes pas à la cour égarés,
Accusant le destin qui m'a ravi mon père,
En proie aux passions d'un âge téméraire,
A mes vœux orgueilleux sans guide abandonné,
De quels écueils nouveaux je marche environné!

MITRANE.

J'ai pleuré comme vous ce vieillard vénérable;
Phradate m'était cher, et sa perte m'accable :
Hélas! Ninus l'aimait ; il lui donna son fils;

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