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frères Pinçon, compagnon de Colomb dans son premier voyage, est le premier Castillan qui passe la ligne équinoxiale, il aborde au Brésil. C'est néanmoins un Portugais, Alvarès de Cabral, qui prend définitivement possession de cette vaste contrée, asile futur de la maison de Bragance. D'autres explorateurs se dirigent vers le midi, d'autres veulent continuer à cheminer sur la terre dans la direction qu'a suivie Colomb; ils s'avancent vers le couchant ; quelques-uns, mais en plus petit nombre, remontent déjà vers le nord: d'autres errent çà et là, et il y a place pour tous; car cette terre semble s'étendre au gré des insatiables désirs de ceux qui viennent de l'envahir. Sous leurs pas elle se déroule longuement et comme à plaisir, avec ses royaumes du Mexique et du Pérou, avec ses antiques civilisations dont l'histoire devait nous demeurer inconnue, avec ses mines d'or et d'argent, avec sa fécondité qui devait se trouver infatigable; puis elle apparaît tout à coup non plus seulement comme une île isolée dans la mer des Indes, ou bien une portion des terres orientales, mais comme tout un continent, comme tout un monde. C'est Nunez de Balboa, qui, du haut des montagnes de Panama, découvre le premier ce mystère. Presque au sommet de ces montagnes qu'il a gravies à la tête d'une bande d'aventuriers, comme lui en quête d'or et d'argent, il fait faire halte à sa troupe, s'élance au dernier sommet qui lui cache encore ce qui se trouve de l'autre côté, et de là, seul et palpitant, il contemple à loisir les forêts, les savannes, les plaines immenses, les fleuves majestueux qui se déroulent à ses pieds en un immense tableau, en un gigantesque amphithéâtre, et au-delà l'Océan pacifique apparaissant aux limites de l'horizon dans sa sombre majesté.

Aux rivages opposés à ceux découverts par Balboa, cet Océan voyait en ce même moment d'autres prodiges. Devant les vaisseaux de Gama s'était enfui le génie des tempètes, laissant un nom de meilleur augure au cap qu'il défendait. L'Orient s'ouvrait comme une arène immense devant les Portugais. Les royaumes de Mozambique, de Mélinde, les côtes de la mer Rouge, celles du golfe Persique; Ceylan, théâtre des primitives et gigantesques épopées de l'Orient; ces deux presqu'îles de l'Inde, si renommées dans l'antiquité, école, berceau, patrie de toute poésie, de toute histoire, de toute philosophie; cette presqu'île de Malaca, dont les peuples

TOME III.

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semblent avoir épuisé leur génie à former leurs poignards, et où se rencontraient alors tous les navires de l'Orient; cette Chine, qui apparaît dans nos temps, garrottée des mille liens d'une civilisation qui lui ôte tout mouvement, et semble plutôt une momie de peuple qu'un peuple animé et vivant; toutes ces contrées si distinctes les unes des autres, tous ces climats si divers, toutes ces nations de mœurs, d'histoires, de destinées si peu semblables, devenaient tributaires et sujets d'une petite et pauvre province, jetée à l'extrémité de l'Europe, et qui elle-même ne devait briller que d'un éclair de gloire avant de rentrer à jamais dans son obscurité primitive. La péninsule ibérienne semblait vouloir embrasser le monde entier en étendant à la fois ses bras à l'est et à l'ouest, et en se saisissant en même temps, par l'Espagne et le Portugal, et des Amériques et des Indes-Orientales: Carthage était ressuscitée.

Des espaces qu'aucune main n'avait encore mesurés s'étendaient entre ces deux continens. Dans son vol le plus hardi, la pensée osait à peine planer sur ces effrayans abîmes; c'étaient comme deux univers reposant sur les bords opposés d'un gouffre infranchissable.

Mais un jour vint pourtant où les voiles des vaisseaux de Magellan se déployèrent dans ces immenses solitudes. Après avoir traversé le détroit qu'il a immortalisé, Magellan se hasarde le premier sur cette mer qu'il salua du nom si peu mérité depuis lors d'Océan pacifique. Aucun moyen n'existait, pour ce navigateur, d'apprécier, même approximativement, l'étendue de la masse d'eau qui se déroulait devant ses vaisseaux; les flots sur lesquels ils se balançaient, battaient à la fois et les côtes de la Chine et celles de l'Amérique. Cet abîme inconnu, absolument inconnu, ne pouvait-il pas receler d'effroyables tempêtes? N'avait-il pas des rochers, des bas-fonds, courans, des trombes, des ouragans? Ne recélait-il pas encore grand nombre d'autres périls inconnus, mais, par cela même, plus terribles à l'imagination? Entreprise inférieure en sublimité de génie, mais nullement en hardiesse d'esprit, en courage de cœur, à celle de Colomb, et qui, malgré mille obstacles, obtint un succès complet. Après avoir surmonté d'innombrables difficultés, des quatre vaisseaux de Magellan, un seul, après quatre ans et demi de navigation, un seul revit les côtes d'Espagne ; et celui-là, placé aussi

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tôt dans un bassin creusé pour le recevoir, chargé d'inscriptions qui racontaient son glorieux voyage, fut consacré à en perpétuer le souvenir. Ce vaisseau était la preuve physique, irrécusable, palpable, et, pour ainsi dire, vivante de la rotondité de la terre. Magellan avait fait entrer dans le monde extérieur et visible cette même vérité que Colomb avait été chercher dans un autre ordre de choses et d'idées.

Par ce navigateur avaient été unis, liés, rattachés ensemble et le monde découvert par Colomb, et le monde retrouvé par Vasco de Gama ; de sa main puissante il avait sillonné mille chemins l'un à l'autre; il avait jeté comme un pont sur l'abîme qui les séparait.

Aussi des Anglais, Drack et Thomas Cavendrich; des Hollandais, Olivier de North, Lemaire et Schonton; d'autres encore, ne tardèrent pas à suivre la route qu'il venait de leur ouvrir.

Les communications de l'est à l'ouest devinrent de jour en jour plus fréquentes. Aucun moyen n'exista bientôt plus d'assigner aux peuples de l'Europe les limites où devaient se renfermer leurs conquêtes. La fameuse ligne de séparation tracée par le pape, pour livrer le couchant aux Espagnols, l'orient aux Portugais, n'avait pas tardé à être brisée, franchie sur tous les points. Les Espagnols allèrent visiter aux Indes les Portugais, qui, eux-mêmes, les étaient d'abord venus chercher en Amérique : Espagnols, Portugais, Anglais, Français, Hollandais, se trouvèrent mêlés, confondus sur tous les points du globe, enveloppant dans leurs intérêts d'autres nations situées aux extrémités de la terre, et dont elles ne savaient pas les noms peu de jours avant de décider de leur sort. Des phénomènes politiques, étranges et nouveaux, apparurent au monde. Le principe, l'élément de la force et de la prospérité d'un état, purent exister parfois à des milliers de lieues de la contrée qu'occupait cet état. L'or et l'argent du Mexique et du Pérou rendirent l'Espagne le plus riche état du monde. La puissance, la prépondérance maritime de la Hollande, eurent leur source dans ses possessions des Philippines; quelques milliers de girofliers, de caneliers, de poivriers, situés aux extrémités de terre, furent peut-être les seules causes du salut de la république et de l'humiliation du grand roi. Aujourd'hui encore, la grande puissance de l'Angleterre repose sur ses possessions dans l'Inde. De toutes parts

tombèrent ainsi, et s'effacèrent à jamais les barrières géographiques au-dedans desquelles les peuples avaient été contraints de renfermer jusque-là leur activité industrielle, commerciale et politique. Ils prirent possession de l'espace; ils cessèrent de puiser nécessairement, comme la plante, leur nourriture au lieu même où ils étaient nés; comme l'animal, comme l'homme, ils purent, pour ainsi dire, se transporter, en tant que peuples, sur le globe entier.

Enfermée dans les limites de la conquête romaine, la civilisation antique avait eu, pour théâtre de son développement, les rivages de la Méditerranée; mais un théâtre bien autrement vaste fut nécessaire à celui de la civilisation moderne. Les colonies européennes couvrirent le continent et les îles de l'Amérique ; sur le rivage occidental de l'Afrique d'autres colonies prirent pied, au milieu même de cette race noire dont le sang et les sueurs devaient inonder toutes ces conquêtes de l'Europe. Le Cap, Calcutta, Benarès, Bombey, Batavia, devinrent des capitales qui n'eurent plus rien à envier à Londres, à Paris, à Amsterdam; sous des mains industrieuses, les déserts du Nouveau-Monde se couvrirent de riches moissons, de villes commerçantes et libres; cent vingt millions d'Indous passèrent sous la domination de quelques milliers d'Anglais; la terre de Van-Diemen semble aspirer à reproduire sous nos yeux ces prodiges des temps antiques, où l'on voyait de grands et puissans états sortir de l'association fortuite de quelques malfaiteurs. Les vaisseaux de l'Europe ne courent pas avec moins d'activité ni en moindre nombre sur les immenses abîmes de l'Océan, que ne le faisaient les galères anciennes sur les vagues moins terribles de la Méditerranée. La facilité et la fréquence des communications ont annullé les distances; les points les plus éloignés du globe se sont trouvés en contact. Dans les grands centres du commerce, toutes les races, toutes les nations, toutes les contrées, incessamment en présence par l'organe de leurs représentans, participent déjà à un même mouvement de civilisation, obéissent à une même impulsion sociale; et de quelque côté que vous tourniez les yeux, du milieu de la mer de Magellan, partout vous retrouvez la civilisation, ou en germe, ou déjà développée. On a déjà comme une vue anticipée de l'état futur de l'univers, lorsqu'au terme de son développement définitif, l'humanité, ayant achevé de prendre

complète possession de la terre, se reposera au sein d'une civilisation toute remplie d'harmonie et d'une majestueuse unité, ne formant vraiment plus qu'un peuple, qu'une nation, qu'une cité.

Instrument principal de ce grand développement social, le navire moderne a dû subir de nombreuses transformations pour se trouver en harmonie avec le rôle qu'il avait à remplir. La galère perfectionnée des derniers siècles du monde antique ne surpassait pas plus les informes radeaux dont elle était sortie, qu'il ne surpasse cette galère elle-même. Ce navire s'est dépouillé de ses rames trop fragiles pour lutter contre les vagues montagneuses de l'Océan; ses flancs épaissis sont devenus de puissantes murailles; des canons, savamment combinés, le défendent par une double et triple ceinture de feux; ses batteries et ses entreponts se sont élargis de manière à pouvoir receler dans leurs nombreux compartimens de quoi suffire aux besoins, jusqu'aux recherches d'une civilisation perfectionnée ; jadis bas et rapproché du niveau de l'eau, le pont s'élève fièrement aujourd'hui au-dessus des plus hautes lames et des plus menaçantes; la cale s'est en même temps plus profondément enfoncée sous l'eau, ainsi que doivent le faire en terre les fondemens d'un édifice, à mesure que les parties supérieures en sont plus élevées; la mâture basse et presque dégarnie de gréemens de l'ancienne galère s'en va maintenant jusque dans le voisinage des nues, toute chargée d'un labyrinthe de cordages où se meut un peuple entier de matelots; des voiles immenses, ailes rapides et infatigables, se ployant et se déployant avec un art infini, font voler le navire à la surface de l'Océan avec plus de vitesse que ne le fait l'aigle dans les plaines de l'air, pour parler la langue d'Homère. C'est tout à la fois une citadelle, une grande ville, un palais; c'est un magnifique instrument de science et de civilisation, c'est un instrument de guerre et de destruction non moins magnifique, permettant aux hommes de se combattre sur des champs de bataille de plusieurs lieues d'étendue, en dépit des flots soulevés et des vents déchaînés. Déjà l'imagination s'étonnait et se troublait à vouloir saisir dans son ensemble et ses détails cette œuvre merveilleuse; mais voilà que tout à coup un nouveau fiat de la toute-puissance humaine vient de la transformer, sous nos yeux, en un être vraiment doué d'intelligence et de volonté, et lui a donné

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