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DES

DEUX MONDES.

TOME TROISIÈME.

TROISIÈME SÉRIE.

392694

PARIS,

AU BUREAU DE LA REVUE DES DEUX MONDES,

RUE DES BEAUX-ARTS, 6.

LONDRES,

CHEZ BAILLIERE, 219, REGENT STREET.

1

UN

VAISSEAU A LA VOILE.

DE LA NAVIGATION

DANS L'ORIENT,

DANS L'ANTIQUITÉ, dans le moNDE MODERNE.

Voyez ce vaisseau surgissant tout à coup aux extrémités de l'horizon, où pendant quelques instans il apparaît suspendu entre le ciel et la terre; voyez-le déployer au vent ses larges voiles, bondir sur la vague écumeuse, et tracer dans l'espace un large et blanc sillage.

Existe-t-il un autre spectacle qui, autant que celui-là, parle à l'imagination, qui soit une plus féconde source d'impressions et de réflexions diverses, qui nous en dise davantage sur les destinées humaines, qui nous emporte et plus vite et plus loin dans le monde de la rêverie?

Un assemblage informe de quelques troncs d'arbres a été l'ori

gine de ce vaisseau. Comme la nature sait tirer le chêne du gland caché en terre, le génie de l'humanité a su le tirer de cet humble germe, immense et magnifique, tel que nous le voyons à cette heure. Mais aussi que d'efforts, que de découvertes, que d'inventions successives se sont enchaînés les uns aux autres pendant la durée des siècles, pour que ce résultat fût produit! Tous les arts, depuis les plus naturels à l'homme, jusqu'aux plus exquis, jusqu'aux plus raffinés, toutes les sciences, depuis les plus élémentaires jusqu'aux plus sublimes, ont mis tour à tour et tout à la fois la main à la construction de ce navire. Dans l'innombrable multitude de parties diverses dont il est formé, toutes jusqu'au moindre clou, jusqu'à la plus imperceptible cheville, ont été scrupuleusement mesurées, rigoureusement calculées par rapport à l'ensemble. Chacune des phases du développement de cette grande œuvre a été de la sorte comme le résumé complet et le dernier mot d'un siècle, d'une époque du monde. A lui seul ce vaisseau nous raconte, par conséquent, l'histoire entière de l'intelligence humaine. Il est comme une vaste épopée, où se trouvent glorifiés et les travaux de l'humanité sur la terre et ses triomphes successifs dans sa grande lutte avec la nature extéricure, sur laquelle elle est appelée à régner un jour en souveraine absolue.

Expression complète, éclatante manifestation de la toute-puissance terrestre de l'homme, n'est-il pas déjà comme le symbole anticipé de cette glorieuse et définitive victoire?

Par le commerce, unissant ensemble les nations du globe les plus éloignées les unes des autres, il va semant çà et là les germes féconds de la civilisation. Il est l'agent le plus actif de ces fréquentes et faciles communications au moyen desquelles tous les peuples semblent de jour en jour tendre à se confondre en un seul peuple. Il est le théâtre et l'instrument des combats les plus terribles que l'homme puisse livrer à l'homme. Heurte-t-il de sa proue quelque rivage inculte et désert jusque-là, de ce choc ne tarderont pas à naître de nombreuses cités destinées à devenir riches et florissantes. Loin de tout rivage, vogue-t-il comme perdu au sein de l'immensité, on le voit, par les savantes évocations de ses pilotes, arracher, pour ainsi dire, de la voûte du ciel les astres étincelans, et les contraindre à devenir ses guides au milieu des déserts de l'Océan.

Avant la génération où se rencontra le premier navigateur, bien des générations humaines dûrent probablement passer sur la terre. L'homme qui, le premier, se hasarda loin du rivage, au sein de la vaste mer, sur un frêle esquif, devait posséder une de ces ames fermes, un de ces cœurs haut placés qui ne se peuvent rencontrer fréquemment dans la foule. L'impression que nous éprouvons à la vue de l'Océan est en effet solennelle, religieuse, mêlée d'une sorte de vague terreur. A l'aspect de cette immensité sans limites, image et reflet de l'infini, nous nous sentons comme accablés de la conscience de notre petitesse et de notre infirmité.

Aux époques primitives du monde, l'homme ne donnait d'ailleurs encore aucune prise aux nombreux aiguillons qui plus tard le précipitèrent et l'excitèrent au sein de cette orageuse carrière.

La terre, dont six mille ans n'ont point encore épuisé la fécondité, naguère vierge encore, fournissait abondamment à tous les besoins de ses nouveaux habitans; elle semblait se plaire à épancher presque sans culture tous les trésors de son sein. Le spectacle qu'elle étalait aux yeux de l'homme, nouveau pour lui, suffisait à ces instincts de curiosité, à ces désirs de l'inconnu, l'un des plus nobles instincts de sa nature. La science, dédaigneuse d'expérience et de voyages, s'enfermait dans la sainte solitude des temples; on ne la voyait point aller çà et là, s'efforçant de peser, de mesurer, de décrire la terre, qu'elle ne foulait aux pieds qu'avec une sorte de dédain. Le mystère de la nature et de la destinée de l'homme, elle le demandait aux échos encore retentissans de la grande parole de la révélation primitive. Avant de s'attacher à la poussière où il venait d'être condamné à ramper pour tant de siècles, l'homme devait en appeler ainsi pendant long-temps de la terre au ciel, de la nature extérieure à un monde d'amour et d'intelligence, d'où peut-être il arrivait, dont il lui restait peut-être quelques vagues souvenirs.

Des multitudes d'hommes possédés de l'inspiration des combats ne tardent pas à se mouvoir en tous sens. On entend comme un grand bruit de chevaux, de chariots, de machines de guerre. Du sein des époques, pour ainsi dire, cosmogoniques, les héros primitifs de l'Inde nous apparaissent à la tête de leurs innombrables armées. A l'aurore des temps historiques, d'autres héros, d'autres conquérans, non moins merveilleux, se montrent encore, roulant

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