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Laissons ensevelir dans une nuit obscure

Notre lâche attentat, l'horreur de la nature.

En revenant à Paris M. de Thou avait vu à Grenoble le baron des Adrets, cet homme si connu par ses cruautés dans les guerres de la religion. Il était tout blanc, mais d'une vieillesse encore forte et vigoureuse, d'un regard farouche, le nez aquilin, le visage maigre et décharné, marqueté de tâches rouges, comme de sang meurtri, tel que l'on nous dépeint Sylla; du reste l'air d'un véritable homme de guerre. M. de Thou le regarda avec tant d'attention, que possédant, comme nous l'aTons déjà remarqué, un talent naturel pour la peinture, il le peignit de mémoire si parfaitement, que tout le monde le reconnaissait.

En 1573, M. de Thou partit avec Paul de Foix, qui allait en Italie de la part du roi. Il le joignit à Gien, où il trouva d'Ossat auprès de lui. M. de Thou vit les villes d'Italie, et lia, selon sa coutume, commerce avec ce qu'il y put trouver de savans. De ce nombre furent Gui de Moulins de Rochefort, qui était à la cour de Turin ; Camille de Castiglione, à Mantoue; Jérôme Mercurial, à Padoue; Charles Sigonius, à Boulogne ; Pierre Vittori, savant critique, et Georges Vazari, excellent peintre et architecte. Il vit encore à Sienne Alexandre Picolomini, docteur vénérable par sa vieillesse et par ses cheveux blancs. M. de Thou, qui l'était venu voir avec M. l'ambassadeur, trouva cet habile homme couché sur un oreiller, qui retouchait ses commentaires sur Aristote. Il dit, en parlant de ses études, qu'il en goûtait le plaisir dans un âge qui n'était plus propre aux autres plai

sirs; ce qu'il disait, pour faire voir combien il est utile de ne pas s'abandonner à l'oisiveté, mais de s'appliquer à l'étude de la philosophie.

Comme M. de Thou n'avait accompagné M. de Foix que pour satisfaire à l'envie qu'il avait de voir l'Italie, il le quittait de tems à autre, et allait faire de petits voyages. C'est ainsi que pendant le séjour de cet ambassadeur à Rome, M. de Thou fut à Naples, où il vit JeanBaptiste de la Porte, connu par son histoire des choses cachées dans la nature; et après en avoir visité les environs, il revint à Rome. Assidu auprès de M. de Foix, il profita extrêmement des conférences savantes, que cet ambassadeur continuait tous les jours, malgré différentes affaires qui devaient l'inquiéter. Cet habile homme ne dédaignait pas d'expliquer, alternativement avec d'Ossat, la sphère d'Alexandre Picolomini. M. de Thou lia connaissance avec Marc-Antoine Muret, lequel le menait souvent chez Paul Manuce, qui ne quittait plus le lit. I vit encore Latino Latini, Laurent Gambara et Fulvio Ursini, avec lequel il vécut très-familière

ment.

Dans ce tems la mort de Charles IX étant arrivée, M. de Foix partit en poste avec toute sa suite pour aller trouver le nouveau roi, qui quittait la couronne de Pologne pour prendre celle de France. Il prit sa route par Orvieto, Tarni, Narni, Forni, Spolette et Urbin. M. de Thou fut voir la bibliotèque de cette dernière ville. Elle lui fut montrée par Frédéric Commendon, qu'il avait encore plus envie de voir que la bibliothèque. Il vit à Ravenne Hieronimo Rosso, excellent historien des antiquités de cette ville. Delà étant arrivés à Venise, ils fu

rent dans la Dalmatie saluer le successeur de Charles IX. M. de Thou acheta à Venise plusieurs livres pour sa bibliothèque, qu'il avait déjà commencée. De Venise toute la cour se rendit à Ferrare, d'où le roi dépêcha M. de Foix à Rome, où M. de Thou l'accompagna. Cet ambassadeur s'étant acquité de sa commission, vint en Piémont rejoindre le roi. De là l'on prit le chemin de Lyon. M. de Thou y trouva son frère aîné, qui était maître des requêtes. Après un mois de séjour dans cette ville, ces deux frères remercièrent M. de Foix, et vinrent à Cely en Gâtinois trouver le premier président leur père.

Au retour d'Italie M. de Thou s'appliqua quatre ans à la lecture, où, disent les mémoires, il ne profita pas tant que dans la conversation de ses doctes amis. Les principaux étaient Pierre et François Pithou frères; Antoine Loysel, Jacques Houllier et Claude du Puy, et surtout Nicolas le Fèvre.

dit

Sur la fin de l'année 1576 le duc d'Alençon et le roi de Navare s'étant sauvés de la cour, on craignit des brouilleries. On dépêcha M. de Thou au maréchal de Montmorenci, avec des ordres secrets de se servir de son crédit pour les prévenir. Il y réussit, et les suspenpour quelque tems. M. de Thou vit par occasion une partie des Pays-Bas, et fut même sur le point de passer en Angleterre. A Anvers il fut chez Christophe Plantin, où, malgré le malheur des tems, il trouva encore dixsept presses qui roulaient; chose que peut de gens veulent croire, mais sur quoi il n'y a pourtant point d'apparence que M. de Thou ait voulu imposer. A son retour des Pays-Bas, il vit son frère aîné tomber malade,

et mourir au bout de dix-neuf mois de langueur, pour avoir couru en vingt-quatre heures depuis Poitiers jusqu'à Long-Jumeau. Pendant cette maladie, M. de Thou fut reçu conseiller au parlement; charge qu'il accepta avec beaucoup de peine, à cause de son goût pour l'étude et les douceurs d'une vie privée.

Il avait accompagné son frère aux eaux de Bade, où il avait vu avec beaucoup de plaisir et de profit le savant Hubert Languet. Après avoir vu Jean Lobel et Hubert Giffen à Strasbourg, il vit aussi à Augsbourg Jerôme Wolsius, qui a traduit tant d'auteurs grecs, et contribué si utilement à éclaircir l'histoire Bysantine. D'Augsbourg ayant passé par Meminghen, il alla à Lindaw, d'où il passa par eau à Constance. De-là suivant les bords du Rhin, il prit sa route pour Båle, où il vit Basile Amerbach, homme poli, savant, officieux, et Félix Plater, docteur en médecine, chez qui, entr'autres curiosités, il vit le cabinet de fossiles de Conrad Gessner, tel qu'il est dessiné dans un de ses livres : il y vit aussi Théodore Zuinger.

A son retour en France, ayant perdu son frère, et la peste étant à Paris, M. de Thou fut en Touraine. Il visita ensuite les provinces voisines. La peste étant cessée à Paris, il revint auprès du premier président, son père, qui n'avait point quitté cette ville; mais il n'y resta pas long-tems, ayant été député avec d'autres conseillers du parlement pour aller rendre la justice en Guyenne. C'est dans ce tems qu'il prit la résolution de quitter l'état ecclésiastique, auquel il avait été destiné, et de se rendre aux empressemens de ses oncles, qui souhaitaient qu'il

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se mariât. Sa compagnie l'employa dans tout ce qui se présenta d'honorable; mais parmi tant d'occasions de se dissiper, il n'interrompait point ses études. Rempli du dessein d'écrire l'histoire de son tems, il faisait connaissance partout où il passait avec ceux qui y pouvaient contribuer. C'est ainsi qu'il apprit plusieurs choses de Lagebaston, premier président de Bordeaux, vénérable par son âge et par sa doctrine, et de Michel de Montaigne, alors maire de Bordeaux. Il voyait souvent dans cette ville Elie Vinet, directeur du collège, qui s'occupait à retoucher son Ausone. M. de Thou lui ayant montré les deux premiers chants d'un poëme sur la fauconnerie, ce directeur l'obligea de les faire imprimer.

Pendant le mois de février, les commissaires ayant interrompu leurs séances, quelques-uns d'entr'eux, desquels fut M. de Thou, visitèrent le pays de Medoc. C'est ainsi qu'il voyageait toujours, dès que l'occasion s'en présentait. On trouve dans ces mémoires plusieurs particularités que nous ne passons qu'à regret, tant des lieux qu'il vit que de quelques procès, dont il fit les infor

mations.

Le premier président, en 1582, obtint du roi que son fils revint Paris; mais M. de Thou ayant pris un long détour pour revenir, n'y arriva que le jour de l'enterrement de son père. Pour se consoler de n'avoir pas reçu ses derniers soupirs, il travailla à lui faire ériger un mausolée, et à lui faire composer des éloges par les plus habiles hommes de l'Europe, tous de ses amis. Pour faire diversion à sa douleur, il continua après cela son poëme sur la fauconnerie. Deux ans après il perdit sa sœur

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