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ÉVANGELINE

HISTOIRE ACADIENNE.

Evangeline, a tale of Acadie, by Henry WADSWOrth Longfellow.

« Voici la forêt primitive; le sapin murmure doucement, et les vieux lichens verdâtres se balancent suspendus aux troncs moussus; des sons prophétiques sortent des profondeurs de la solitude, comme si ces chênes séculaires, druides immobiles et à la barbe blanchissante, se plaignaient éternellement sur leurs harpes sonores. L'océan n'est pas loin; j'entends sa voix mugissante, qui, sortant des cavernes rocheuses, répond sans fin aux longues plaintes de la forêt. »

Ainsi commence Evangeline, poème singulier dont la septième édition vient d'être imprimée à Boston, et dont l'auteur est M. H.-W. Longfellow, le plus original et selon nous le plus remarquable des poètes anglo-américains. La scène et les acteurs de son drame appartiennent, comme l'indique le début, aux solitudes primitives de la Nouvelle-Écosse et de la Louisiane. Evangeline est un roman écrit en rhythme scandinave et en langue anglaise sur un sujet français et historique, orné de couleurs métaphysiques et romanesques par un Américain des États-Unis. Voilà bien des étrangetés ensemble. On

(1) 1 vol. in-18, à Boston.

aperçoit la fin et le commencement de deux littératures, le berceau et le déclin de deux poésies, des ruines en poussière et une aube à peine. naissante sur ces ruines. Les choses humaines ne se font qu'ainsi, par destruction et renaissance, par complication, alliance et connexité.

C'est un spectacle curieux que celui d'une race qui veut renouveler son patrimoine intellectuel, et qui, sans répudier les débris de l'héritage antique, cherche à se créer une littérature et une poésie personnelles. Irrégularité, bizarrerie, affectation, imitation, peu de simplicité dans les moyens, des effets cherchés et manqués, il faut s'attendre à tous ces malheurs et les excuser. L'œuvre de M. Longfellow, aussi incomplète dans son ordre que nos romans chevaleresques du moyen-âge avec leur rhythme irrégulier et monotone et le défaut de proportions qui les prive d'une partie de leur valeur, n'en est pas moins digne d'examen et d'attention sérieuse. Nous avons reconnu dans ce poème, plus que dans toute autre création américaine, l'expression de ce culte du pays natal, de cet amour passionné pour le ciel et la terre d'Amérique, de cette énergie morale et de cet esprit d'entreprise indomptable qui caractérisent les républicains des États-Unis. Le sentiment de moralité, de pureté, l'amour du devoir, la sainteté des affections et de la famille, très profondément empreints dans le poème, en sont l'ame profonde et comme l'inspiration secrète. Tous les tableaux de paysage sont exacts; non-seulement la fantaisie n'y a point de part, mais le sentiment qu'ils font naître est distinct, puissant, plein de fraîcheur, de nouveauté, de vie; seulement le poète a rendu les contours de son dessin moelleux et élégans : l'énergie y a perdu.

En général, ce que l'on peut critiquer chez lui vient du vieux monde. Les marques de vitalité et de force appartiennent au monde nouveau. Il emploie trop de druides, de muses et de bacchantes; la défroque de l'Europe ancienne et les atours mythologiques flottent gauchement sur les fraîches beautés de la fille des bois. Il a aussi trop de solennité et de mélancolie majestueuse. Un accent plus rustique et plus passionné eût mieux convenu aux mœurs ingénues de ces Normands transplantés sur les bords de l'Atlantique, dont il voulait retracer le Souvenir. Évangeline, le nom de la jeune Française, son héroïne, est un premier contre-sens; je parie que la Normande acadienne s'appelait Jeannette ou Marianne; fille d'un brave et joyeux fermier de la colonie, elle ne rêvait guère aux beautés du clair de lune et n'en ai– mait pas moins son fiancé. Le vrai secret de l'artiste aurait été de trouver la grandeur de la passion dans les délicatesses naïves d'une ame rustique et de les accorder avec la grandeur de la nature; il faut convenir que M. Longfellow n'a pas été jusque-là. La paysanne normande et catholique a disparu dans l'héroïne calviniste et romantique de sa création. Grace à cette transformation savante, empruntée aux

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poètes modernes de second ordre, - défaut qui se fait sentir dans tout l'ouvrage, il est question des dieux domestiques (all its household gods), quand il s'agit du vieux crucifix et du vieux bahut. Ici, comme en bien des choses, la simplicité était l'art suprême.

Mais il est temps de parler de l'héroïne, puisque héroïne il y a. Quant au sujet, il est charmant et bien préférable à celui de la Louise de Voss et d'Hermann et Dorothée de Goethe.

Tout au bout du monde, près de Saint-Pierre-de-Miquelon, entre le 43 et le 54 degré de latitude, le 63° et le 68° degré de longitude, existe encore maintenant une petite colonie française, ou plutôt le dernier fragment d'une colonie franco-normande du XVIIe siècle. Nonseulement, comme dans le Haut-Canada, les mœurs et la langue de cette colonie appartiennent à l'époque de Louis XIV, mais on y parle le langage d'Olivier Basselin, et les grands bonnets cauchois, ces carènes renversées à voiles flottantes, y apparaissent dans leur orgueil primitif. Le type originel de la race s'est conservé intact. « Les femmes sont grandes et belles, dit M. Halliburton d'Halifax (1), juge anglais, observateur sagace qui a donné à l'Europe quelques tableaux excellens de ces régions ignorées; le profil normand se montre encore dans sa vigueur et dans sa finesse héréditaire; les hommes sont gais, actifs, vigoureux, ingénieux et braves; ils ne savent pas lire et soutiennent entre eux de nombreux procès, moins par avidité ou violence que pour exercer leur activité; le caractère scandinave-normand, avec son élasticité énergique, semble reparaître en eux. Ils se mettent en mer avec joie; ce sont des pêcheurs de morue infatigables et adroits. » Marc Lescarbot, Diéreville et De Chevrier ont célébré en méchans vers les mœurs patriarcales et les antiques vertus de ces fermiers, pêcheurs et pâtres, dont il ne reste guère que dix mille dans la Nouvelle-Écosse, gens étrangers aux lumières et aux sciences de la civilisation, possédant peu de capitaux, d'ailleurs fort heureux dans leurs cabanes. Aujourd'hui même ce noyau résiste à la pression anglaise et aux populations diverses qui ont envahi la contrée. Souvent chassés par les soldats anglais, ils sont revenus, dès qu'ils l'ont pu, faire la pêche sur la côte. En vain les Anglais ont voulu se les assimiler, en vain ils ont imposé au bourg normand de Port-Royal le nom de leur triste reine Anne, si médiocre de caractère et d'esprit: Annapolis n'existe que sur les cartes..

On pense bien que nos pêcheurs normands, bons catholiques, n'avaient pas grande amitié pour les Anglais, et que leurs voisins les colons puritains de la Pensylvanie et du Massachussetts ne voyaient pas de bon œil ces Français papistes. Aussi, lorsque vers le commencement

(1) Voyez la Revue des Deux Mondes du 15 avril 1845.

du xviiie siècle l'Acadie ou la Nouvelle-Écosse fut cédée par nous aux Anglais, ces derniers eurent-ils beaucoup de peine à soumettre les pauvres Normands que le traité d'Utrecht leur livrait.

Le fait de la cession de l'Acadie, en apparence peu important dans nos annales, est grave dans l'histoire du monde. Il signale le premier moment de notre décadence monarchique et européenne, et celui de l'ascendant pris par la société britannique, représentant les forces septentrionales et le protestantisme du Nord. En 1713, après les imprudentes guerres de Louis XIV, le traité d'Utrecht commence l'affaiblissement de notre pouvoir. Nous perdons au sud Pignerol et les passages des Alpes; au nord, les clés des Pays-Bas et la ligne de forteresses élevées par Vauban nous restent. Pendant le cours du xvIIe siècle, nous nous débattons contre la décadence. En 1735, la Lorraine et le pays de Bar sont réunis à la France; en 1739, nous occupons militairement la Corse; Minorque est reprise en 1745; enfin, en 1748, nous parvenons à reconquérir un peu d'influence sur une portion de l'Italie; mais ce ne sont là que des tentatives partielles, des efforts pour ressaisir un pouvoir qui s'en va. En 1713, nous cédons Terre-Neuve aux Anglais et cette petite et fertile Acadie dont il est question; il est vrai que nous gardons encore à cette époque presque toutes les Antilles, le Canada, la Louisiane, c'est-à-dire l'Amérique du Nord tout entière, depuis l'embouchure du golfe Saint-Laurent jusqu'au Mexique. L'Angleterre de 1740 ne possède que la mince ligne de côtes qui va de Frederic'sTown à la Floride; cela équivaut à peu près à la vingtième partie de nos possessions canadiennes. Toutes les côtes de l'Hindoustan sont encore à nous; à cette même époque, les rajahs sont nos vassaux, et l'Angleterre n'est maîtresse dans l'Inde que de deux comptoirs imperceptibles. Madagascar, Gorée, le Sénégal, les îles de France, de Bourbon, Sainte-Marie, Rodrigue nous appartiennent.

Telle est encore la puissance de la France sur le monde au milieu du XVIIIe siècle. Cent années s'écoulent, tout s'écroule; nos institutions changent; aux drames extraordinaires de la révolution succède le régime phénoménal de Napoléon. Jetez les yeux sur la carte du monde en 1830; toutes nos possessions ont disparu, l'Amérique du Nord depuis le pays des Esquimaux jusqu'à Terre-Neuve; - l'Hindoustan, en exceptant quelques lieues carrées de territoire. Nous avons perdu en Europe la ligne de forteresses qui nous protégeaient au nord, et au sud Minorque, position importante; nous n'avons gagné que deux villes, Mulhouse et Avignon, et un coin de l'Afrique, l'Algérie. Toutes nos forces se sont repliées en nous-mêmes pour suffire aux gigantesques luttes de nos guerres intérieures, à nos combats de tribune, à nos changemens de ministères et à nos tentatives de régénération sociale. Cependant l'Angleterre a maintenu la paix intérieure de son territoire

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avec un soin vigilant; elle a jeté au loin les rayons actifs de son pouvoir, comme l'araignée jette et attache ses fils: elle a travaillé sans relâche à ce tissu colossal, à cet accroissement démesuré. C'est quelque chose de profondément douloureux pour un Français que l'examen parallèle de ces deux conduites, si fécondes en enseignemens redoutables: ici la puissance souveraine de la loi et de la discipline; -là les fautes innombrables auxquelles nous devons notre décadence, et dont la première est notre asservissement niais devant les rhéteurs, la seconde notre incapacité à subir la discipline qui fait les grands peuples, la dernière notre impuissance à aimer la loi, qui est le symbole actif de la justice, l'ordre divin dans les choses de ce monde. L'amour de la loi et de la tradition s'est conservé en Angleterre, et, grace à cet amour, la race anglo-saxonne a jeté ses colonies sur le globe. La ceinture que ces colonies tracent autour de notre planète commence à la presqu'île de Banks, passe par l'Australie, l'Hindoustan, le cap de Bonne-Espérance, Sainte-Hélène, Sierra-Leone, Gibraltar; puis, traversant l'Atlantique, par la Trinité, la Jamaïque, les Bermudes, atteint l'Amérique du Nord et touche au pôle par l'île Melville: tel est le dernier résultat de cette paix intérieure et de ce travail gigantesque porté à l'extérieur par la race anglo-saxonne.

Les Normands d'Acadie, qui nejvoyaient pas si loin et qui n'étaient pas de grands politiques, étaient de très bons Français, ce qui vaut encore mieux; ils résistèrent vigoureusement. On ne put jamais les faire marcher avec les armées calvinistes ni les contraindre à se battre contre leurs frères, les Français du Canada: résistance sublime tout simplement; notre histoire n'en parle pas. D'abord on fit venir un grand nombre de colons anglais, qui s'établirent en 1749 à Chibouctou, dont ils firent Halifax. Ensuite on attira par des primes et des concessions de terres tous les aventuriers que l'on put séduire, dans l'espoir d'étouffer ou d'amortir l'esprit de cette race opiniâtre. Les plus cruels ennemis des Acadiens étaient les puritains de Boston, et à leur tête le philanthrope Benjamin Franklin, qui écrivait à l'un de ses correspondans de Londres: Jamais nous ne prospérerons, si l'on ne nous débarrasse du voisinage des Français. Chatham, alors ministre, homme d'un génie ambitieux et violent, comprit qu'il serait populaire à Londres, s'il frappait des Français catholiques et cédait aux obsessions de Franklin. Il donna l'ordre le plus odieux peut-être dont l'histoire politique fasse mention.

Le 5 septembre 1755, le son de la cloche convoqua de très bonne heure tous les habitans de la commune dans l'église de Port-Royal, qui fut bientôt remplie d'hommes sans armes. Les femmes attendirent au dehors, dans le cimetière. Un régiment anglais, baïonnette au bout du fusil, précédé de ses tambours, entra dans le lieu saint. Après un rou

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