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mot et chaque geste dans l'enceinte de Bourges? Qu'est-ce que valent, pour éclairer la révolution de février de sa vraie lumière, qu'est-ce que valent les confessions plus ou moins équivoques des orateurs parlementaires, auprès de cette confession naturelle et sans fard qui sortait là du seul aspect des personnes, du son mème de leur voix, du bruit de leur entourage? Là comparaissaient devant la France ces nouveaux apôtres qui promettaient de donner à la révolution de février sa portée véritable, et qui soutenaient qu'elle n'était rien, si elle n'était pas l'avénement de leurs rêves, en quoi, pour tout dire, ils n'avaient pas si tort. Là nous attendions le symbole de ces hardis régénérateurs, qui traitaient d'intrigans stériles les républicains de la forme, leurs vainqueurs et les nôtres, pour proclamer plus à l'aise la république de la fraternité. Précurseurs quasi mystiques de la fraternité sociale, vous avez confessé dans le prétoire de Bourges que votre dogme n'était pour vous-mêmes qu'un mot vide de sens, puisque, par vos humeurs, vous démentiez si violemment votre religion. Les pauvres pêcheurs juifs, que vous travestissez parfois à votre usage, avec une si niaise indignité, n'en savaient pas assurément si long que vous; mais, lorsqu'ils se présentaient à l'interrogatoire des magistrats romains, un peu plus farouches, vous en conviendrez, que M. Bérenger ou M. Baroche, ils parlaient et mouraient en frères. Vous, leurs prétendus successeurs, il a fallu vous mettre entre des gendarmes; il a fallu que la main des gendarmes s'appesantît sur votre épaule pour vous empêcher de vous dévorer.

Personne n'ignorait que, parmi toutes ces factions souterraines poussées au pinacle par le coup de vent de février, chacune n'avait pas de plus cruelle ennemie que sa voisine. Nous avions vu l'amour que M. Ledru-Rollin portait à M. Marrast; hier encore nous assistions aux amères représailles que M. Duclerc tirait de M. Ledru-Rollin; le public s'est amusé de bon cœur des gourmades échangées entre M. Pyat et M. Proudhon. Tout cela, cependant, restait dans le cercle parlementaire, quelquefois, il est vrai, passablement élargi par les habitudes montagnardes. Une idée ne périt point parce que ses défenseurs l'adorent et la servent jusqu'au coup de poing inclusivement; mais une idée est bien malade ou bien vaine, une foi, pour parler comme M. Louis Blanc, est bien compromise et souillée quand elle a trois ou quatre messies qui se renvoient, avec une entière conviction, le sale reproche d'espionnage. Mouchard! crie Barbès à Blanqui; mouchard! répond Raspail à Huber. Huber, désespéré d'avoir manqué son entrée à la barre de Bourges, nous avertit aujourd'hui qu'il en dira long, puisqu'on a cherché du scandale: ainsi soit-il! On croirait que la moitié de la république démocratique et sociale passait son temps à surveiller l'autre pour le compte de ces égoïstes bourgeois qui ne savent pas faire ces choses-là eux-mêmes. Et après que le bruit de ces ignobles querelles s'est propagé d'échos en échos, vous n'imaginez pas comme osent encore s'en exprimer les panégyristes officiels de ces dieux d'en bas, des dieux qui ne dédaignaient point pourtant de se familiariser avec la police de M. Delessert. Écoutez un peu : « Que faites-vous, amis? où vous laissez-vous entraîner? Est-ce bien de vos poitrines que sont parties ces paroles de récrimination et d'amertume? Quoi! vous qui ètes faits pour dominer les passions humaines, pour diriger leurs instincts vers l'œuvre de cette rénovation sociale que nous cherchons tous, vous pourriez céder à vos inspirations intimes, sans songer à ces millions de frères et de tra23

TOME II.

vailleurs qui souffrent derrière vous et comptent sur votre union pour leur émancipation prochaine ! »

Inspirations intimes est joli; c'est la traduction libre du mot de Flotte à Barbès: « Je t'arrangerai, va; en v'là assez ! » Nous ne citons pas cette prose pour son mérite intrinsèque, nous la citons comme un spécimen entre tant d'autres, comme un faible échantillon du ton déclamatoire sur lequel on se monte en permanence dans toute cette bande de héros à laquelle appartiennent les victimes de Bourges. Oui, c'est encore là ce qu'ils ont confessé à Bourges plus qu'ailleurs, c'est là ce qui ressort de leurs plaidoiries étudiées comme de toutes les œuvres écrites ou parlées du radicalisme; c'est qu'ils sont de faux grands hommes; c'est qu'ils n'ont pas seulement de fausses idées, mais aussi de faux sentimens et de faux caractères; c'est que tout est faux et sonne faux dans leur éloquence comme dans leur conduite; il leur manque cette force primesautière du naturel et du vrai, sans laquelle il n'y a ni révolutionnaires ni révolutions. Le rôle était pourtant facile; les pouvoirs publics n'étaient point représentés vis-à-vis d'eux avec une telle vigueur, qu'un peu d'énergie sans apprêt ne dût point tout de suite les rehausser beaucoup. Les témoins à décharge se mettaient presque à genoux pour les adorer, les témoins à charge leur demandaient la permission de les assurer d'une estime incomparable. M. Arago se défendait avec l'indignation la plus humble d'avoir jamais commis l'atroce plaisanterie d'inquiéter M. Sobrier sur la conservation de ses jours. Rendons justice au brave colonel de Goyon : il n'y a guère que ce soldat qui ait été un libre citoyen devant la justice; il ne s'est pas gêné pour avouer et revendiquer l'office militaire qu'il attendait au besoin des deux dragons dont il avait procuré la compagnie à M. Sobrier: sur quoi celui-ci a déclaré qu'il lui pardonnait comme Jésus-Christ à ses bourreaux. En revanche, M. Marrast était enrhumé, M. Ledru-Rollin protestait que sa main eût séché avant de signer l'ordre de tirer sur le peuple (toujours ce même peuple de théâtre), et M. Raspail disait agréablement à M. Buchez, qui s'en allait après avoir fait sa petite déposition : « Vous avez bien un remords, un petit remords. » M. Buchez, en effet, sur son tranquille fauteuil de témoin, avait tout l'air de se croire encore sur son terrible fauteuil du 45 mai, c'est-à-dire fort contrarié. Enfin, M. Bérenger est un criminaliste humanitaire, et l'on peut être bien sûr que M. Baroche ne sera jamais un Laubardemont.

Tout cela n'était donc pas assez formidable en soi pour gêner ou diminuer quiconque eût été grand par lui-même au bane des accusés. La grandeur, telle qu'on l'entend dans cette école qui veut être populaire, c'était M. Barbès qui était appelé à la représenter. Raspail et Blanqui se défendaient chacun à sa manière: Blanqui en habile homme qui a du métier; quant à Raspail, c'est, à s'y méprendre, un vertueux patriarche de feu Ducray-Duminil. Barbès ne se défendait pas, et, prenant à chaque instant la parole, ne cessait pas de le dire. Lorsqu'à la fin il a parlé d'une seule haleine, on a pu voir une fois de plus ce que c'était que les exagérations banales et la pompe vulgaire sous laquelle les dramaturges de ce temps-ci cachent le néant de leurs drames. La déclamation ne nous émeut pas: il faut d'autres mérites que ceux de M. Barbès pour s'arroger le droit de demander pardon à la France et à l'humanité de ne les avoir pas mieux servies. La France et l'humanité n'exigent de chacun que ce qu'il peut donner dans la mesure de son intelligence, et non pas dans la mesure de son orgueil. Le tort

de ces sauveurs de la patrie et du genre humain, qui abondent chez nous, c'est de prendre toujours l'une de ces deux mesures pour l'autre. De là cette tension perpétuelle qui finit par leur rompre le jugement et les marquer de quelque trait où l'on pressent la folie; de là cet effort infructueux, cette aspiration essoufflée vers le sublime; de là ce pastiche incessant de toutes les grandes histoires avec lequel ils s'en font eux-mêmes une si petite.

Sérieusement, n'est-ce pas étrange de voir ces écoliers plagiaires régner sur de certaines foules et nous pousser dans un nouveau Bas-Empire où les rhéteurs pourront être des tribuns? Ce langage convenu, cette imitation fastidieuse, ce faux continuel est en effet à l'ordre du jour dans tout le parti; écoutez un correspondant de la Vraie République vous raconter la ruine d'un condamné de juin, un marchand de bois de la rue Ménilmontant; les voisins remplissent son chantier désert: « Malheureux Derteract! s'écriait une femme du peuple, quelle récompense est la tienne! Toi si dévoué, si grand d'ame, toi l'exemple vivant du travailleur-peuple! Un vieillard était là également qui pleurait; il laissa échapper lentement ces paroles: Mon Dieu! qu'elle est à plaindre, la justice qui s'égare à ce point d'infliger un châtiment au citoyen qui a mérité la couronne civique! » Ce sont bien là les vieillards et les femmes des sombres rôles de l'Ambigu et de la Gaieté; ce sont des figures de cire qui ne respirent ni ne marchent tout de bon: c'est le faux à froid. Lisez les envois d'argent des souscripteurs qui paient les amendes du Peuple et jettent à l'envi leur obole « dans la gueule du fisc!» le faux, toujours le faux! Lisez les feuilletons dans lesquels on représente Maximilien Robespierre montrant ses images à sa sœur quand il était petit, nourrissant avec amour des pigeons ou des moineaux, et pleurant la mort « de ses pensionnaires emplumés. » Faux style, faux esprit! la guillotine mignarde! tout cela faux comme la fantasmagorie financière de M. Proudhon, qui vient, à ce qu'il paraît, de mettre la clé de sa banque sous la porte pour prendre celle des champs.

Comment toutes ces faussetés peuvent-elles cependant exercer tant d'empire sur la multitude? C'est qu'elles vont à l'adresse des appétits matériels qui assiégent aujourd'hui l'ordre social; elles les déguisent et les parent; elles semblent couvrir ou relever le but grossier qu'ils se proposent. Ces appétits demeurent au fond de l'homme avec leurs exigences et leur tyrannie; la société est faite pour les contenir : lorsque la société branle sur sa base ou se dissout, ils repa→ raissent à la surface et réclament leur part de butin. Nous en sommes là, sauf réserve, et les vendeurs d'éloquence ne chômeront pas de clientèle tant que la société ne sera pas rassise et raffermie. Resserrons donc au plus vite les liens des institutions, défendons tous les ressorts de l'organisation publique contre des attaques inconsidérées ou perfides. Un pouvoir fort sera toujours le plus sûr rempart contre les doctrines anti-socialistes, parce qu'il leur opposera, pour ainsi dire, une objection de fait. Les propagandistes nieront qu'il puisse résister : il résistera.

L'assemblée nationale n'est pas assez généralement pénétrée de cette persuasion; née dans l'accès révolutionnaire, elle ne sent pas aussi bien que le pays, maintenant refroidi, cet absolu besoin d'une force publique. Elle se figure trop qu'elle est encore elle-même cette force si désirable, et elle ne s'aperçoit pas assez que la lente approche de sa fin a usé son crédit, que les violences de ses dé

bats n'ont point ajouté à sa considération, que les pugilats de ses montagnards achèveront de la ruiner. Sa majorité s'abandonne trop volontiers à des rancunes ou à des préventions qui lui font sacrifier les intérêts durables du pays au plaisir stérile de contrarier un gouvernement qu'elle ne soutient qu'en le chicanant. M. Faucher surtout a l'honneur de cette bizarre inimitié : il la mérite par son active énergie, qui ne se lasse ni ne se rebute au milieu de tant d'épines. Nous lui reprocherions de ne pas se faire plus gracieux, s'il n'avait rencontré dès l'abord une opposition décidée à lui être désagréable. La lutte ainsi ouverte, M. Faucher était homme à tenir la gageure. En attendant, ce qui souffre de ces mauvais vouloirs, c'est la chose publique. M. Faucher a prié d'anciens préfets de reprendre leurs fonctions après qu'ils avaient sollicité et obtenu leur retraite. Grande rumeur dans toute la gauche : les préfets réintégrés sont traités de faussaires. M. Faucher leur délivre dans le Moniteur un juste brevet d'honorabilité; torrent de colères et d'injures sur la tête de M. Faucher, qui, par nature peut-être, aime assez à nager contre le courant. Les préfets ont été mandés par-devant la commission du budget, qui a fonctionné comme un petit saint-office et requis des médecins-jurés, sans autre délicatesse. On a dû reconnaître alors que ces anciens serviteurs de l'état avaient du mérite à le servir encore avec leur santé compromise, et la commission en a été pour sa courte honte. Mais tous les préfets retraités posséderont-ils réellement des infirmités si favorables? Il serait très possible qu'on ne gagnât pas beaucoup à pousser la question plus loin. Les plus vifs accusateurs de M. Faucher ne sont pas bien sûrs de n'avoir pas eu jadis la même humanité que lui par rapport au même chapitre. Pour peu que la prudence revienne à temps, on s'abstiendra de jeter plus d'alarme dans l'administration.

Est-ce encore une belle victoire d'avoir supprimé le traitement du général Changarnier, pour lui retirer le double commandement qui a fait depuis trois mois la sécurité de Paris? Une assemblée à la veille de sa dissolution a-t-elle pu raisonnablement priver le pouvoir exécutif, qui ne s'en va point avec elle, du fidèle appui de ce bras énergique? On invoque plus ou moins à propos la loi de 1831; l'assemblée sera mise à même de voter la suspension temporaire d'une loi qui ne saurait régler notre état présent. Nous verrons si la majorité de l'autre jour était la bonne. Serait-ce enfin une œuvre patriotique de finir la discussion des budgets en mutilant ceux des finances et de la guerre? On prète ce complot à toute une partie de l'assemblée. Si la pitoyable campagne de M. Lherbette contre certains pensionnaires du trésor devait être le signal de cette attaque, nous nous réjouirions du mauvais augure sous lequel les conjurés débutent. Nous nous réjouissons moins du scrutin qui vient de reformer le conseil d'état. Le mécanisme qu'il introduit dans ce grand établissement politique ne nous semblait guère propre à fortifier l'institution: nous souhaitons que l'institution ne pèche pas en outre par les personnes. Pour un homme de talent qui se rencontre dans le conseil parmi les nouveaux venus, il en est beaucoup dont la science et la sagesse administrative ne nous sont guère démontrées, et il y manque des membres anciens dont l'absence nous afflige, M. Baude notamment, qui méritait à coup sûr, dans la liste de la rue de Poitiers, la place que M. Lasnier s'y est faite. Sait-on et comment et pourquoi?

Voilà donc comme vont les affaires chez nous, assez incertaines en somme,

si ce grand parti de l'ordre dont M. Guizot sollicite ardemment la formation dans sa circulaire ne se hâte pas de prendre en main les rênes de l'opinion publique, et d'agir comme un seul homme en oubliant les divisions d'autrefois. Nous ne voulons pas dire que cet oubli soit facile, nous voulons croire que chacun l'obtiendra de son patriotisme. Autrement où seraient les soldats, si les chefs s'éclipsaient et s'annulaient dans l'ombre de leurs vieux ressentimens? Il y a bon nombre de cœurs énergiques et de citoyens honnêtes qui ne demandent qu'à servir la cause trop malade d'une société en péril; mais ils ne veulent plus voir à leur tête les secrètes passions, les sourdes rivalités, les mesquines jalousies qui ont déjà failli tout perdre : ils se décourageraient vite, s'ils ne sentaient au-dessus d'eux que des talens et point encore des caractères.

Au dehors, la guerre en Danemark et en Hongrie, la Sicile et Gênes en feu, Gênes réduite par le canon piémontais, et derrière les gouvernemens de Naples et de Piémont, l'Autriche; derrière l'Autriche, la Russie. Cette perspective n'a rien qui puisse nous dédommager beaucoup de nos soucis intérieurs.

LA MÉDIATION ANGLO-FRANÇAISE A PALERME.

Palerme, 9 mars 1849 (1).

Les derniers efforts de la médiation à Naples ont été pénibles. Après avoir longuement débattu les conditions de l'arrangement à intervenir entre Naples et la Sicile, et avoir obtenu à grand'peine des termes avantageux et convenables au point de vue de la liberté civile et politique de la Sicile, il fallait spécifier des mesures qui donnassent des garanties à ces concessions libérales, et qui, en rassurant les personnes sur les conséquences de leur conduite passée, pussent préparer les esprits à accepter l'accommodement.

Il n'y avait aucune chance de pouvoir s'entendre, si on conservait la prétention de faire entrer des troupes napolitaines à Palerme : toutes les opinions sont unanimes à cet égard. Il était évident, d'un autre côté, qu'une des bases de la réconciliation devait être un complet oubli du passé, et par conséquent une entière amnistie pour tout acte politique. La concession de ces conditions, regardées comme indispensables, n'avait pu être obtenue du général Filangieri, qui s'y refusait absolument, et qui avait déclaré n'avoir plus rien à accorder au-delà de ce qui était déjà stipulé avec les plénipotentiaires. Il fallut que les ministres de France et d'Angleterre, auxquels se joignirent les deux amiraux, se rendissent à Gaëte, auprès du roi, pour lui exposer eux-mêmes la situation et l'amener aux concessions nécessaires. Le roi reçut avec beaucoup de bienveillance les quatre hauts personnages, et leur accorda ce qu'ils étaient venus lui demander.

(1) Ces lettres sur la Sicile nous sont adressées, du théâtre même des événemens, par une personne qui a pu suivre de près la marche des négociations entamées par la médiation anglo-française à Naples comme à Palerme,

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