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HISTOIRE DE L'EMPIRE

PAR M. THIERS.'

J'ai vu, il y a quelques années, chez un écrivain légitimiste, qui passe avec raison pour avoir beaucoup d'esprit, et qui a plus de sens encore que d'esprit, un portrait de Napoléon en costume de premier consul, avec cette inscription tracée sur le cadre : « Après Marengo et avant le meurtre du duc d'Enghien. » Cet hommage, concis et sincère, à la gloire de Napoléon dans la plus belle période de sa vie m'est souvent revenu à la mémoire en lisant le beau travail où M. Thiers vient de consigner les faits d'une autre époque à la fois glorieuse et fatale pour l'empereur après Iéna et avant la guerre d'Espagne.

M. Thiers n'avait pas, comme l'admirateur de Napoléon qui lui a consacré, pour toute appréciation, les deux lignes que je viens de citer, le droit de circonscrire ainsi sa pensée. L'inflexible tâche de l'historien était à remplir. Il lui fallait abaisser celui qu'il avait élevé si haut, et auquel il avait rendu exacte justice en l'élevant aux cimes de l'histoire, briser pour ainsi dire celui qu'il avait légitimement adoré, devoir pénible, accompli à regret, avec une douleur qui s'exprime sans affectation à chaque ligne du nouveau livre de M. Thiers, où apparaît, non sans charme, une sévérité mélancolique qui ne refuse pas quelques larmes à celui qu'elle immole aux exigences de la vérité. Un ancien, Sénèque, je crois, a dit que le plus beau spectacle qui puisse s'of

(1) Huitième volume, chez Paulin, rue Richelieu, 60.

frir est celui d'un homme de bien luttant avec l'adversité. Le spectacle que donne un historien épris d'un héros qu'il a suivi avec orgueil dans toutes les phases d'une radieuse vie, et qui se voit forcé de sonder les égaremens de ce grand cœur, offre un aspect non moins touchant.

Ce huitième volume renferme toutes les péripéties du drame déplorable qui commença à Madrid, à Aranjuez, au Buen-Retiro, et se dénoua au château de Valençay, ou, pour mieux dire, au revers septentrional des Pyrénées, abaissées en 1814 par les fausses combinaisons de Napoléon, et dans un sens inverse à celui que Louis XIV attacha aux paroles qu'il adressait, dit-on, à son fils allant régner en Espagne; drame plein de sinistres présages, où l'on voit se détacher les premiers fragmens d'un vaste empire, s'affaisser les premières assises du gigantesque établissement de 1809, et s'enfuir déjà avec la fortune la grandeur que nous avaient conquise quinze années de batailles livrées à l'Europe entière.

L'écrivain, l'homme d'état n'a pas failli dans cette œuvre, l'écueil a été traversé avec talent, avec intrépidité; sans nous livrer au découragement qui suit souvent l'enthousiasme déçu, sans se laisser entraîner lui-même d'un seul pas aux ménagemens qui pouvaient paraître dus à certaines circonstances, écartant d'une main patiente, mais ferme, les voiles qui cachaient encore une dernière part des fautes et des erreurs de Napoléon, M. Thiers nous a livré l'analyse sérieuse, profonde, complète, trop sévère peut-être, de cette déplorable affaire. Quant à l'agencement, à la conduite historique de ce dernier travail de M. Thiers, la pensée en appartient aux meilleures traditions de l'antiquité et des temps modernes; large manière, exposé des détails administratifs, autant qu'ils servent à préparer dans notre esprit et à expliquer les événemens ultérieurs, mise en scène successive des personnages habilement amenés près du personnage principal, tout rappelle, dans ce magnifique tableau, les bonnes pages de Polybe, les meilleures parties de Guicciardini.

Avant que de passer à l'œuvre, qu'il me soit permis de m'arrêter quelques momens devant l'historien lui-même.

L'Histoire de la Révolution française, commencée il y a vingt-cinq ans par M. Thiers, fut, avec le trop bref récit de M. Mignet, la première révélation sentie et profonde qui nous fut faite sur cette grande crise sociale, quelquefois peu comprise par ceux-là même qui y avaient pris le plus de part. C'était (en ce qui est des premiers volumes du moins) l'œuvre d'un jeune homme nouveau venu, sinon dans le monde des grandes idées, du moins dans les hautes sphères où elles reçoivent leur consécration; souvent, j'ose le dire et sans embarras, séduit par le succès qu'obtiennent des esprits qui ne sont que téméraires, gagné

par sa propre ardeur à leur audace, devinant les grands caractères qui s'étaient évanouis comme des rêves, et dont il ne pouvait trouver de traces que dans le reflet d'événemens aussi rapidement effacés. C'est ainsi que M. Thiers pénétrait alors, par la force de son esprit, dans une région en quelque sorte close. Bientôt, lorsqu'il aborde les approches du consulat, M. Thiers se présente comme un écrivain déjà admis à participer aux plus importantes affaires, et l'on reconnaît un homme qui passera bientôt des conseils à l'action. L'autorité de sa parole, l'avantage moral de ses relations, se manifestent à chacune de ses pages; à la sûreté des traits, à la certitude des opinions, il est clair que les personnages sont familiers à l'historien, qu'il les a étudiés de près et à son aise, et qu'il puise dans le fond même de leur conscience les lumières qu'il répand sur leurs actes. Plus tard, M. Thiers revient prendre sa place sur le siége de l'histoire, au sortir des plus hautes transactions de ce monde, éclairé par la pratique, ayant tenu lui-même les rênes du gouvernement de la France, maître dans la connaissance des hommes illustres ou marquans qui se maintiennent sur le théâtre de la politique, et ne les jugeant plus sur des actes tout publics ou sur des entretiens intimes, mais les ayant éprouvés à la pierre de touche, dans la double situation où l'homme livre tout le mystère de sa personnalité, dans l'accomplissement des devoirs de l'obéissance ou dans l'exercice du commandement. Plus la marche de son travail le rapproche des temps modernes, plus les hommes lui sont connus, moins les derniers restés de l'époque révolutionnaire ont de secrets à lui révéler, et plus il entend distinctement les vibrations de cet empire, qu'il s'apprête à faire revivre, sous toutes ses faces, dans notre esprit. Enfin, voilà que M. Thiers reprend sa plume, après qu'une nouvelle révolution a fait explosion sous les pas de ses anciens collègues du pouvoir, non plus 1830, commotion politique sous laquelle la terre de France n'a tremblé qu'un instant pour se raffermir encore pendant dix-huit ans, mais un mouvement qui se ramifie jusqu'aux extrémités du monde, soulève tout de ses bases, entraîne les trônes, laisse à demi renversés ceux qu'il n'engloutit pas, et nous découvre un abîme béant qu'il faut à la fois sonder et combler, ou périr. Quels motifs de méditation pour un écrivain placé, comme le furent tous les grands historiens, au sommet ou au centre des affaires! quel thème de retours sur les événemens et sur les hommes pour qui est armé de tous les genres d'expérience, et quel sujet que l'étude de la forte organisation dont Napoléon dota la France, au milieu des douleurs d'une telle énigme!

Les négociations et les intrigues qui précédèrent la guerre nationale de l'Espagne contre Napoléon ont été l'objet des études et des controverses d'un grand nombre d'historiens. L'un des plus anciens, le comte

de Toréno, eut peut-être le tort d'écrire son histoire du soulèvement de l'Espagne avec trop de livres, lorsqu'il pouvait avoir plus amplement recours aux personnages marquans des deux pays, qu'il avait tous fréquentés et dont l'estime lui était acquise. M. de Toréno était un homme d'état, on ne peut lui refuser ce titre. Il réunissait à l'élévation des vues, à la générosité du cœur, des sentimens de patriotisme un peu calmes, il est vrai, mais réels; c'est ce patriotisme même qui nous rend suspects les jugemens qu'il a portés. Espagnol d'antique roche, de bon vieux sang chrétien, comme on dit en Espagne, l'un des membres les plus élevés de cette aristocratie castillanne qui subsiste encore au milieu des révolutions si diverses dont l'Europe a été le théâtre, parce qu'elle a su en tout temps conserver une certaine communauté avec le peuple, et s'identifier avec ses penchans comme avec ses croyances, M. de Toréno était trop préoccupé des infortunes de son pays pour se placer avec impartialité sur le terrain neutre de l'histoire; mais son livre a du prix en ce qu'il représente assez fidèlement les opinions espagnoles. C'est, pour qui sait y lire, un bon recueil de documens sur l'héroïque soulèvement de l'Espagne, et, bien que l'auteur ait pris soin de nous avertir que son ouvrage est non pas seulement espagnol, mais européen, ce n'est que sous le point de vue, honorablement exclusif, de la défense de la patrie que son livre a quelque valeur.

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Un homme d'état, désigné à cet effet par Napoléon lui-même, muni d'un mandat impérial posthume pour écrire l'histoire de notre diplomatie moderne (1), et admis à consulter les documens amoncelés dans le précieux dépôt des archives du ministère des affaires étrangères, M. Bignon, a longuement exposé, dans son Histoire de France sous Napoléon, les différentes phases des négociations qui précédèrent la chute des Bourbons d'Espagne en 1808; mais, dès le début de son récit, cet historien éminent se jette dans une série de considérations complexes qui semblent dénoter, dans mon humble opinion, le besoin qu'il éprouve involontairement d'épancher son blâme plutôt sur le système politique que Napoléon avait conçu à l'égard de l'Espagne que sur le tribut que l'homme de génie paya, en cette circonstance difficile, aux passions humaines; en un mot, pour parler plus net que M. Bignon, sur la duplicité et la perfidie qui présidèrent aux opérations militaires et aux actes politiques de Napoléon à cette époque. En effet, M. Bignon, dont le coup d'œil étendu et l'esprit sûr méritent assurément tout notre respect, et qui avoue d'ailleurs, avec l'austère probité qui le distingue, tout ce qu'il y avait de repréhensible dans le parti pris par Napoléon de démembrer l'Espagne et de détrôner en même temps son souverain,

(1) « Je l'engage à écrire l'histoire de la diplomatie française de 1792 à 1815. »

(Testament de Napoléon.)

s'interdit, par un reste de vénération peut-être excessive pour le héros qu'il a admiré de si près, un examen trop détaillé de sa conduite. Le plus grand tort de Napoléon en cette circonstance fut un tort politique, selon M. Bignon; il devait choisir entre les deux plans qu'il avait conçus simultanément. La politique impériale devait être et rester nationale, et non devenir une ambition de famille, tandis que Napoléon voulait concilier et satisfaire en même temps ces deux besoins de son ame. Abattre les Pyrénées au profit de la France, se donner une barrière contre l'Espagne en lui enlevant les provinces de l'Ebre, comme il avait dû, pour sa sûreté, tenir les clés de l'Italie et de l'Allemagne en restant maître du Piémont et des forteresses du Rhin, telle était, au dire de M. Bignon, la véritable politique à suivre en 1808. M. Bignon avait le droit, sans doute, de se maintenir dans ces hautes régions spéculatives et de n'abaisser pas trop ses regards sur des faits qui pouvaient lui paraître secondaires près de ces grandes questions; mais, de son côté, le lecteur est en droit de désirer quelque chose de plus, et de s'attendre à ce qu'on l'introduise plus complaisamment dans le foyer secret des affaires.

Un autre historien, le comte Thibaudeau, homme non moins émiment, qui siégea nombre d'années dans le conseil d'état près de Napoléon, a écrit également l'histoire diplomatique de l'empire; mais le labeur ne supplée pas à l'initiation, et M. Thibaudeau a été plus souvent à même de recourir aux pièces officielles, aux dépêches pour ainsi dire publiques et aux souvenirs, d'ailleurs pleins d'intérêt, que lui fournit sa longue et honorable carrière politique, qu'aux dépôts secrets. La sévérité des opinions républicaines de M. Thibaudeau se fait sentir dans tout son ouvrage, et il se peut qu'il ait trop chargé de l'inflexible poids de ses arrêts le côté de la balance que M. Bignon allége avec trop de sympathie peut-être.

Les Mémoires de Savary offrent des documens que les historiens ont dû consulter avec précaution. Ses dépêches relatives à l'affaire d'Espagne ont plus d'importance. Nous verrons tout à l'heure qu'il n'a pas été permis à tout le monde de les connaître.

L'abbé de Pradt, qui a écrit sur toutes les affaires temporelles de ce monde, était, on le sait, le plus passionné de tous les prélats qui se sont mêlés de politique. J'ai souvent entendu l'archevêque de Malines discourir, avec la fougue brillante qui l'animait toujours, sur la conduite de Napoléon à l'égard des Bourbons d'Espagne, et, dans sa conversation comme dans son livre, l'homme d'église et l'historien me semblent avoir complétement disparu derrière l'homme d'esprit. D'ailleurs, M. de Pradt n'aimait pas Napoléon. Il ne pouvait pardonner à l'empereur de n'avoir pas découvert, dans la personne de son ambassadeur à Varsovie, l'étoffe d'un cardinal de Richelieu, ou tout au moins

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