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regardé comme un exemplaire achevé de cette Critique qu'il ne faut pas mépriser. Elle était judicieuse, mesurée, souvent efficace. L'influence excellente de Boileau, un de ses représentants les plus convaincus, en est un témoignage.

La révolution de 1789 éclata, puis l'Empire. Les grandes guerres de ces vingt cinq années eurent cet effet inattendu de mêler singulièrement les nations les unes aux autres. Pour nous borner toujours à la France, ces bouleversements sociaux, en précipitant hors de leur pays un Chateaubriand, une Madame de Staël, un Paul-Louis-Courier, un Benjamin Constant, et combien d'autres, leur apprirent qu'il existait une Europe. Il ne se contentèrent pas de lire dans le texte Shakespeare, Dante et Goethe, comme aurait fait en 1780 un jeune Français curieux, qui aurait su les langues. Ils les lurent sur place, dans leurs pays d'origine, et ils sentirent l'intime lien qui rattachait ces chefs-d'œuvre de littérature aux mœurs, au ciel, à l'âme enfin de l'Angleterre, de l'Italie, de l'Allemagne. Ils démêlèrent, les uns confusément, les autres plus nettement, deux vérités que leurs prédécesseurs ne soupçonnaient pas : la première qu'il y a dans toute création d'art autre chose qu'un effort d'esthétique, qu'elle constitue une nécessaire et presqu'inconsciente manifestation de tous ces éléments dont est fait le génie national: qualités de la race, moment de l'histoire, influence du climat ;-la seconde qu'il existe beaucoup de types de beauté différents, sinon contradictoires, et que le goût n'a aucunement ce caractère fixe dont les Poétiques et les Rhétoriques de l'âge classique faisaient un dogme. De telles découvertes, ainsi résumées, paraissent très simples. Elles comportent un déplacement de point de vue qui, dans l'ordre intellectuel, équivaut à ce qu'est un changement total d'atmosphère dans l'ordre physique. Ce sont des modifications radicales de milieu auxquelles correspondent des modifications radicales pour les organismes placés dans ce milieu. On en saisit ici un exemple très net.

La conséquence immédiate de cet agrandissement de l'imagination française fut ce mouvement, confus jusqu'à l'incohérence, qui s'est appelé le Romantisme. Nous y reconnaissons aujourd'hui la mise en jeu de plusieurs forces très distinctes: par exemple, le sur

saut d'éveil de la sensibilité plébéienne dans la démocratie commençante, la mélancolie passionnée et le désordre d'un âge de crise religieuse et politique, le déséquilibre produit par le prestige de la prodigieuse personnalité de Napoléon. Surtout, et c'est assurément la plus inattendue des constatations, celle qui eût le plus étonné les Jeune-France en gilet rouge de la première d'Hernani,—nous y apercevons un premier effort de la Critique moderne pour se développer et pour grandir. Nous distinguons en effet parmi les hommes qui prirent part à ce mouvement révolutionnaire les deux écrivains qui représentent encore aujourd'hui l'esprit critique, tel que nous lentendons d'une manière déjà presque complète: l'un est Stendhal, d'où est issu Taine; l'autre SainteBeuve, dont nous sommes tous plus ou moins sortis,-Sainte-Beuve, qui reste avec Balzac la plus puissante influence intellectuelle et la plus féconde du dix-neuvième siècle français.

Stendhal est célèbre aujourd'hui par ses romans. Mais il suffit de consulter la bibliographie de ses ouvrages pour constater que le genre romanesque ne fut chez lui que l'aboutissement suprême de sa pensée, une application particulière d'une méthode et d'un tour d'esprit qui avaient commencé par multiplier les tentatives d'un autre ordre. Soldat de Napoléon à dix-huit ans, puis commissaire des guerres et traversant l'Europe avec la Grande Armée, enfin, après la chute de l'Empire, voyageur cosmopolite et tour à tour installé en Italie, à Paris, en Angleterre, il n'avait pas cessé, durant toute sa jeunesse et sa maturité, de poursuivre l'étude qu'il déclarait lui-même avoir été le suprême intérêt de sa vie: "l'analyse des passions du cœur humain et l'expression de ces passions par les arts et la littérature."-Ce sont les propres termes dont il se sert. Ils enveloppent cette conception nouvelle de la critique qui, plus tard, précisée par Taine, en a fait une branche de la psychologie. Mesurons la portée de cette formule. Si la principale qualité de l'artiste littéraire: poète, romancier, dramaturge, est de copier la nature humaine dans sa vérité, et, comme disait Stendhal, de "faire ressemblant," son œuvre ne peut plus être jugée d'après ce type unique, et à la mesure de ce canon idéal que proclamait l'ancienne critique. Entre la littérature du Nord et celle du Midi, par

exemple, il doit se rencontrer des différences,-irréductibles puisqu'elles se proposent de reproduire deux sortes de natures humaines irréductibles l'une à l'autre, et légitimes, puisque ces natures humaines sont également légitimes aussi. La poésie de Shakespeare ne peut pas, ne doit pas être pareille à celle de Dante, car celui-ci copie une sensibilité Italienne et celui-là une sensibilité Anglaise. L'un écrit pour des Latins qui vivent sous un climat de claire lumière, l'autre pour des Saxons et des Normands, prisonniers d'un ciel de brumes et d'une ile où le printemps même a des frissons d'hiver. Ce sont là deux formes d'art, contradictoires mais nécessaires, et, s'il en est ainsi, le rôle du Critique ne consiste pas à condamner l'une au nom de l'autre, ou toutes les deux au nom d'une troisième. Il consiste à les comprendre et non plus à les juger.

C'est l'idée-maîtresse qui circule, appliquée à la littérature, à la musique, à la peinture, d'un bout à l'autre des nombreux ouvrages où la vive intelligence de Stendhal s'est dépensée et qui s'appellent : Racine et Shakespeare, Histoire de la peinture en Italie, Mémoires d'un Touriste, les Promenades dans Rome, Vie de Rossini.-Je cite au hasard.—Il se dégage de ces livres, même aujourd'hui, un pouvoir d'excitation intellectuelle très remarquable. Il ont gardé ce qui fut la magie de la causerie de leur auteur, ce don d'ébranler, de suggestionner la pensée. Ces livres, pourtant, ne sont encore que des ébauches. L'esprit critique tel que nous le définissons aujourd'hui, les soutient, les anime, sans arriver à cette forme qu'il a trouvée pour la première fois dans les Portraits, le PortRoyal et les Lundis de Sainte-Beuve. Cette insuffisance de Stendhal ne tient pas seulement à ce qu'il était un précurseur, un inventeur,. et, à ce titre, condamné au tâtonnement. Elle tient surtout à ce qu'il était, à un degré supérieur, un imaginatif et un passionné plus encore qu'un analyste. Cette complexité de sa nature devait l'amener à se formuler plus complètement dans des œuvres comme Le Rouge et le Noir et comme La Chartreuse de Parme, romans d'un ordre unique, combinaison singulière de son merveilleux esprit critique et de ses autres facultés. Il peut être considéré, à ce point de vue, comme ayant donné un modèle saisissant du renouvellement d'un genre par l'application à ce genre des méthodes d'un autre

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