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me tenoient fous leur tutelle, & il n'en fur jamais de plus févère ni de plus trifte.

Jufqu'à feize ans, je n'avois prefque vu le jour que par ma fenêtre. Mais à feize ans, cette fenêtre me fit voir quelque chofe qui me fut plus cher que le jour : un jeune & beau Clerc de Notaire, qui, le matin, avec des cheveux blonds de la plus douce teinte, négligemment relevés par un peigne & à demi-flortans, prenoir un moment l'air à la fenêtre, vis à vis de la mienne, avant que, d'aller à l'étude. Im ginez-vous Apollon en robe de chambre d'indienne; c'étoit mon Clerc, car dès ce moment il fut le mien; il l'a été toute fa vie; & c'eft de lui que je fuis veuve je vous en préviens, & pour caufe.

En le voyant pour la première fois, rour ce qui jufqu'alors avoit été confus dans mon ame & dans ma pensée, les ennuis de ma folitude, le vague de mes rêveries, l'inquiétude qui de la veille me pourfuivoit dans mon fommeil, tout parut s'éclaircir. Je crus voir ce qui manquoir à mon bonheur. Mais l'intervalle de la petite cour qui nous féparoit l'un de l'autre, étoit un abime à franchir nos regards au moins le franchirent.

Sa furprife, fon émotion, le raviffement que lui caufa ma vue ne fut que trop fenfible. Il dut s'appercevoir auffi du mouvement que j'éprouvai, car celui-là fur involontaire, je n'eus pas le temps d'y

penser; mais je fuis sûre au moins qu'il fut timide, & mêlé de cette pudeur qui eft un inftinct pour l'innocence. Ce fut cette pudeur qui m'avertit que je ne devois pas me tenir long temps à la fenêtre, vis-à-vis d'un jeune homme qui avoit du plaifir à me voir. Je m'éloignai, je fis quelques tours dans ma chambre, j'ens l'air de m'amufer de mes oifeaux; mais tout mes mouvemens me ramenoicnt au même point. J'allois, je revenois, je paffois comme une ombre, & à chaque détour, j'observois d'un coup d'œil i l'on étoit occupé de moi. Mon jeune Clerc, immobile & ravi, me fuivoit, me parloit des yeux, & fembloit reprocher aux miens de ne pas fe fixer fur lui.

Enfin j'eus le courage de me dérober à fa vue; mais le refte du jour ne fut pour moi qu'un rêve, & les feius dont on m'occupoit ne purent m'en tirer. J'étois fous les yeux de ma tante, qui fembloit m'obferver plus attentivement, plus févèrement que jamais. Pour lui cacher mon trouble, je voulus lire; & je ne voyois dans mon livre que des yeux bleus & des cheveux blonds. Elle me demanda. compte de ma lecture; je ne fus ce que je difois. Je me plaignis d'un éblouiffement que j'avois voulu lui cacher, de peur, difoisje, d'alarmer fa tendreffe, & Digu fait comme elle étoit tendre!

Le jour me parut long, je défireis la nuit

pour être feule avec moi-même, & dans l'efpérance que le fommeil, favorable à ma rêverie, ne feroit que la prolonger. Je l'en priai en me livrant à lui, & il eut cette complaifance,

de ce

Nous étions dans le mois d'Avril, & au moment de cette renaiffance beau retour de jeuneffe que la Nature hélas auroit bien dû nous accorder, comme à ces heureux végétaux ! mais moimême j'étois dans mon printemps; & mon réveil fut ce jour-là auffi matinal que' celui de l'Aurore. Cependant mon jeune Apollon avoit été plus diligent que noi. Il m'attendoit à la fenêtre. En l'y voyant, je ne fais quoi me dit que c'étoit là un rendezvous. Je fus confufe de m'y trouver; mais je diffimulai mon embarras en feignant de n'être occupée, comme on dit, que de l'air du temps. Il furprit cependant quel qu'un de mes regards, & en me faluant, il me fit figne des yeux & du gefte qu'il faifoit bien beau. Comme il n'y avoit pas de mal à cela, je lui rendis fon falut, & d'un figne de tête je convins avec lui qu'il faifoit beau. J'ai reconnu depuis qu'à l'âge de feize à dix-huit ans, lorfqu'on eft d'accord fur un point, on left bientôt fur tout le refte. J'eus donc tort, & je le confeffe, de convenir qu'il faifoit beau. :

Content d'avoir engagé avec moi cet entretien muet, il voulut le pourfuivre. Il porta fa main fur fon fein, & il exprima

le plaifir de refpirer un air fi pur ! J'eus l'imprudence de l'imiter encore. Il devint plus hardi; & mefurant des yeux l'espace qui nous féparoit, il parut en gémir & foupirer avec ardeur. Pour le coup, je l'entendis bien, ma's je ne l'imitai pas; & je me reprochai de lier connoiffance avec un jeune homme qui me fembloit bien né allarément, mais dont je ne favois ni l'état ni même le nom.

Je me tins close quelques matinées. cherchant à m'occuper, & n'ayant, malgré moi, qu'une feule & même perfée. Par quelle fingularité de ma deftinée ce jeune homme étoit-il venu fe loger vis-à-vis de moi!..... Mais pour cela devois-je me priver du feul plaifir que j'avois dans la vie, de l'innocent plaifir de refpirer l'air du matin, & de jouir des charmes de la faifon nouvelle Après tout, où étoit le danger? Et que m'avoit il fait entendre, ce jeune homme, dont j'cuffe lieu d'être alarmée ? Il me trouve agréable à voir : cla eft poffible; dfois je en confultant mon petit mircir de teiltre. Il défire peut-être de me voir de plus p.ès; cela eft naturel encore; & je ne vois rien que d'obligeant dans le regret d'être éloigné de moi. Falloitil lui laiffer penfer que j'avois peur de lui ? L'éviter, c'eût été le craindre, & je ne favois pas pourquoi je l'aurois craint."

Je pris courage; & le lendemain je me montrai, tenant à la main une cage que

ans,

je pofai fur ma fenêtre, en m'occupant du foin de donner de l'eau fraîche & du mouron à mes oifeaux. Il entendit leur chant, & il en fut charmé ; mais d'un œil atten tif & jaloux regardant leur cage, il parut envier leur fort. Comment voyois-je cela de fi loin Ah! c'eft qu'à l'âge de feize pour appercevoir ce qui flatte, on a de bien bons yeux ! Je me donnois un air diftrait & difpé ; & pas une nuance des fentimens que j'infpirois ne m'échappoit : hi fes inquiétudes, ni fes impatiences, ni fes reproches imperceptibles quand j'arriyois trop tard, ni fes timides actions de graces quand j'avois la bonté de m'occuper de lui, oh! rien n'étoit perdu; & un mois fe paffa dans cette heureufe intelligence fans trop de hardieffe de fon côté, fans trop de complaifance ni de rigueur du mien,

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Un jour enfin, le premier de Mai, jour de ma Fête, car je m'appelle Philippine, en me levant je vis fur la fenêtre le plus joli rofier, & le premier, je crois, que le Printemps eût fait feu ir. A l'inftant il vint me l'offrir d'un air fi doux & avec tant de grace, qu'il me fut impoffible de ne pas P'en remercier. Le petit Calendrier qu'il tenoit à la main, & dont il baifa refpectueufement le feuillet où mon nom étoit imprimé, difoit affez qu'il le favoit ce nom. J'étois bien moins heureuse, car je ne favois pas le fien. Je m'inclinai encore pour lui marquer qu'il ne fe trompoit pas,

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