'Attendez pas, mon Fils, qu'avec un ton févère
Je déploie à vos yeux l'autorité de Mere.
Toûjours prête à me rendre à vos juftes raisons, Je vous donne un confeil, & non pas des leçons. C'est mon cœur qui vous parle ; & mon expérience Fait que ce coeur pour vous fe trouble par avance. Depuis deux mois au plus vous êtes à la Cour. Vous ne connoiffez pas ce dangereux féjour. Sur un nouveau venu le Courtifan perfide Avec malignité jette un regard avide;
Pénetre fes défauts, & dès le premier jour, Sans pitié le condamne, & même fans retour. Craignez de ces Meffieurs la malice profonde. Le premier pas, mon Fils, que l'on fait dans le monde, Est celui dont dépend le refte de nos jours. Ridicule une fois, on vous le croit toûjours. L'impreffion demeure. En vain croiffant en áge, On change de conduite, on prend un air plus fage. On fouffre encor long-tems de ce vieux préjugé. On eft fufpect encor, lorfqu'on eft corrigé; Et j'ai vû quelquefois païer dans la vieilleffe Le tribut des défauts, qu'on eut dans la jeunesse.. Connoiffez donc le monde, & fongez qu'aujour- d'hui
Il faut que vous viviez pour vous, moins que pour lui.
Je ne fais où peut tendre un fi long préambule.
Je vois qu'il vous paroît injufte & ridicule. Vous méprisez des foins pour vous bien importans, Vous m'en croirez un jour : il n'en fera plus tems. Vous êtes indifcret. Ma trop longue indulgence Pardonna ce défaut au feu de votre enfance : Dans un âge plus mûr, il cause ma fraïeur ;
Vous avez des talens, de l'efprit, & du cœur ; Mais croïez qu'en ce lieu tout rempli d'injustices, Il n'eft point de vertu, qui rachette les vices, Qu'on cite nos défauts en toute occafion, Que le pire de tous eft l'indiscretion,
Et qu'à la Cour, mon Fils, l'Art le plus nécessaire N'eft pas de bien parler, mais de savoir se taire : Ce n'est pas en ce lieu, que la focieté
Permet ces entretiens remplis de liberté ; Le plus fouvent ici l'on parle fans rien dire, Et les plus ennuïeux favent s'y mieux conduire. Je connois cette Cour. On peut fort la blâmer; Mais lors qu'on y demeure il faut s'y conformer. Pour les Femmes fur tout, plein d'un égard extrême, Parlez en rarement, encor moins de vous-même. Paroiffez ignorer ce qu'on fait, ce qu'on dit, Cachez vos fentimens, & même votre esprit. Sur tout de vos fecrets foïez toûjours le maître; Qui dit celui d'autrui, doit paffer pour un traître ; Qui dit le fien, mon Fils, paffe ici pour un fot, Qu'avez-vous à répondre à cela?
Je fuis de votre avis: je hais le caractère
De quiconque n'a pas le pouvoir de fe taire; Ce n'eft pas-là mon vice; & loin d'être entiché Du défaut, qui par vous m'eft ici reproché, Je vous avouë enfin, Madame, en confidence, Qu'avec vous trop long-tems j'ai gardé le filence Sur un fait, dont pourtant j'aurois dû vous parler; Mais fouvent dans la vie il faut diffimuler.
Je fuis Amant aimé d'une Veuve adorable, Jeune, charmante, riche, aufli fage qu'aimable, C'est Hortenfe. A ce nom, jugez de mon bonheur, Jugez, s'il étoit fû, de la vive douleur De tous nos Courtifans, qui foûpirent pour elle. Nous leur cachons à tous notre ardeur mutuelle. L'amour depuis deux jours a ferré ce lien, Depuis deux jours entiers, & vous n'en favez rien.
EUPHEMIE.
Mais j'étois à Paris depuis deux jours.
On n'a jamais brûlé d'une fi belle flâme.
Plus l'aveu vous en plaît, plus mon cœur eft con
Et mon bonheur s'augmente en vous le racontant.
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