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deux petites heures de Leyden, je me mis dans une barque, où il m'arriva la petite avanture fuivante.

Un fanfaron, le plumet fur l'oreille, que j'avois vû autrefois Lieutenant d'Infanterie dans les troupes de France, vint fe placer à côté de moi fans me connoître. Il joignit à fes impertinans difcours, des extravagances fi infupportables, que tous les paffagers, qui ne pouvoient plus le fouffrir, l'auroient indubitablement fait mettre à terre, fi le voyage avoit été plus long. La honte que j'avois de voir l'honneur de la nation Françoise fi mal foûtenu principalement dans une République, où nous ne fommes déja pas en trop bonne odeur,me fit prendre un Horace pour cacher une partie de ma peine, Elle étoit d'autant plus légitime, que cet étourdi m'apoftrophoit fans ceffe, pour fçavoir le titre du livre que je lifois, me demandant d'un ton ironique, fi je tenois dans mes mains le dernier Journal des conquêtes de la Hollande fur la France. Laffé des piquantes railleries de ce fat, je fus obligé de lui dire que la relation apocrive

Fameux Poëte Latin, qui mournit l'an de Rome 746. fous l'Empire d'Augufte Céfar.

dont il me parloit, n'étoit point en core venue à ma connoiffance, mais que pour le tirer d'inquiétude, je vou❤ lois bien lui faire fçavoir que ce qui m'occupoit le plus, étoit une nouvelle édition du curieux impertinent, dont on le taxoit d'avoir lui-même augmenté les fotifes, & multiplié les portraits ori ginaux, comme un auteur inimitablę dans ces fortes de caracteres. Mon Rodomont fentit la pointe de ma réponse, & fit fon poffible pour me perfuader qu'un homme de fa qualité ne se traitoit point avec fi peu de ménagement: il ajoûta même que par la fuite j'apprendrois peut-être qui il étoit. Eh, Monfieur lui repliquai-je, qui ne connoit pas M. P*** fils d'un Marchand de Vin de Paris. Pour lors toute l'affemblée s'éclata de rire, & notre homme fut telleinent démonté par la huée qui se fit, qu'il refta dans un profond filence jusqu'à notre arrivée à la Haye, où il me pria de n'en pas dire davantages.

La Haye autrefois le féjour de ces fa meux Comtes de Hollande, eft un gros Bourg qui contient plus de cinq mille

a Pour peù que l'on voyage, on rencontre tous les jours de ces intriguans avanturiers, qui fe difent de Maifons illuftres, & font groffe figure jufqu'à ce que leur conduite fufpe&e ait détrompé le public.

mailons, jointes à une infinité de. Palais fuperbes dans de grandes Places magnifiques. Les arbres tirez au cordeau y forment quantité d'allées à perte de vue, & procurent à fes habitans des promenades d'autant plus enchantées, que la proximité de la mer qui eft au bout d'une avenue de demie lieuë au pied du beau village de Schevelinge, fait un affemblage de tout ce que l'art & la nature peuvent produire de char

mant.

Leurs hautes Puiffances Meffieurs les Etats Généraux des fept Provinces-Unies, auffi-bien que la Cour Provinciale de Hollande, tiennent ordinairement leurs Affemblées à la Haye, ce qui engage non-feulement Meffieurs les Ambaffadeurs de toutes les Cours, à faire leurs réfidences ordinaires dans ces lieux délicieux, mais y attirent encore une infinité de Nobleffe, de Courtisans & d'Errangers, qui ne s'occupent jour & nuit qu'à inventer de nouvelles fêtes, & à faire naître de nouveaux plaifirs.

Les Salles du Palais dans lequel Meffieurs les Députez aux Etats s'affemblent, font ornées de Peintures exquifes. Celle entre autres où Meffieurs les

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Ambaffadeurs des Cours Etrangeres reçoivent leurs audiences, eft d'une magnificence achevée. J'y vis avec admiration deux Globes, l'un célefte & l'autre terreftre, autant surprenans par leur groffeur, que curieux par la justesse des degrez de longitudes & de latitudes qui y font mar

quez.

Après avoir été rendre mes devoirs à M. le Marquis de Château-neuf, notre Ambassadeur; j'entrai au Caffé de l'illuftre Rozelly. Ses avantures extraordinaires avoient affez fait de bruit dans le monde pour me donner la curiofité de juger par moi-même fi le fujet répondoit à la réputation. Mais, foit par le nombre de fes années, ou par mon défaut de capacité, je ne trouvai qu'un homme très- borné dans fes fyftêmes, & je connus par le dérangement de fa converfation, que les mé◄ moires qu'il nous a donné de fa vie•, ont été puifez dans la même fource imaginaire, que ceux de Dom Quichotte de la Manche.

J'allai enfuite à un quart de lieuë de la Haye, pour confidérer la noble architecture du Château de Ryfwick: II

a Sous le titre de l'Infortuné Napolitain, deux vokimes in-douze.

est autant renommé par l'exacte fimétrie de fes fculptures & la beauté de fes peintures des plus habiles Maîtres, qu'il eft immortalité par fon célebre Congrès tenu en 1697. dans lequel LoUIS LE GRAND, le zelé défenfeur de la foi, & le vangeur des infultes faites à la Majefté des Rois, y voulut bien fufpendre Les conquêtes, & arrêter la rapidité de fes victoires, pour accorder généreusement la paix aux Puiffances de toute l'Europe confédéré, qui ne retirerent d'autres avantages de leurs ligues, que le dépit d'avoir augmenté de nouveaux lauriers aux triomphes & à la gloire de la France. De-là parcourant les aimables Places de Gravefande, Matflantflys, Ulardinge, Schiedam & Delfft-Haven, je vins à Deifft, à une lieue de la Haye.

Delfft eft une ville fort gracieusement bâtie, au milieu d'une prairie trèsagréable. Elle n'eft pas extrêmement grande, mais en récompenfe elle renferme chez elle de très-riches habitans. Son Hôtel de Ville eft d'un goût autant beau que particulier. La grande place qui l'environne donne en perspective le fuperbe Temple où fe voit le magnifique Maufolé, élevé par ordre de

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