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V.

L'ESPRIT DES SOMMETS.

Rends-moi mes ailes d'or et marche désormais
Sur la route commune,

Et va combattre, armé de l'esprit des sommets,
La foule et la fortune.

Lorsqu'errant, comme toi, sous l'arceau des sapins
Où fument les résines,

On a mêlé son cœur dans mes temples alpins
A tant d'âmes divines;

Que les saints et les forts et l'ange des hauteurs
Vous ont parlé sans voiles;

Qu'on a de l'infini respiré les senteurs

Et lu dans les étoiles...

On retourne sans crainte au poste du devoir,
Et, d'une main plus forte,

On y fait hardiment son œuvre jusqu'au soir,
Vainqueur ou non, qu'importe?

HERMANN.

Oui, vous m'avez armé, sommets d'où je descends!
L'esprit qui parle en vous au combat me ramène,
Et du souffle divin j'emporte, en frémissant,
Tout ce qu'en peut tenir une poitrine humaine.
J'écoute encore en moi vos chênes murmurer;
J'entends bruire encor l'essaim des bons génies :
Il fait rendre au désert toutes ses harmonies,
Chaque fois qu'il s'y pose et vient nous effleurer.
J'ai là, toujours ouvert, votre livre, où j'épelle;
Aux pages de mon cœur, l'artiste souverain,
Le soleil, a fixé sur mon docile airain,
A fixé des hauts lieux cette image éternelle.

Avec la saine odeur des pins mélodieux,
Avec les chauds rayons et les fraîches haleines,
J'emporte les conseils, l'âme des demi-dieux,
Je la sens pénétrer et courir dans mes veines.

Du fiel de ma tristesse il ne reste plus rien
Dans mon sang réparé par ces divins fluides;
Mon cœur s'est enrichi de ces cœurs intrépides,
Leur battement sublime est devenu le mien.

Le laboureur d'en haut fit en moi ses semailles;
Le sol renouvelé cache une ample moisson;
Le maître, en extirpant la pierre et le buisson,
Pour me fertiliser déchira mes entrailles.

En vain sur mes sillons par tous les vents battus
L'hiver déchaînera son lugubre cortège,

Et les froides vapeurs, et le doute, et la neige...
Les épis jailliront et les fortes vertus.

Venez donc m'assaillir avec toutes vos armes,
Apres ambitions, plaisirs, lâches frayeurs!
De toute servitude éternels pourvoyeurs,
Usez, pour ma défaite, usez de tous vos charmes.

J'attends et je suis fort; moi, si débile hier,

Je suis prêt à vous vaincre en un combat suprême,
A briser votre joug, à rester pur et fier...
De plus vaillans que moi combattront en moi-même.

Par ses grands souvenirs mon cœur est défendu;
Mon cœur est habité comme une citadelle.
Les héros que j'implore en mon culte assidu
Sauront garder leur temple et leur humble chapelle.

A défaut de ces dieux lointains et triomphans,
Toi l'ange maternel, toi, simple et forte femme,
Qui veilles, de là-haut, l'aïeul et les enfans,
Tu peux m'aider à vaincre, à toi seule, ô grande âme!

Non, tu n'interdis pas ces sommets à ton fils;
Aux maîtres les plus fiers devant moi tu t'y mêles,
Et ta voix me commande, au pied du crucifix,
D'aller chercher partout des armes et des ailes!

Les hauts lieux m'ont ouvert leur magique arsenal,
Je m'y suis revêtu de granit et de chêne;
Leur souffle en moi s'agite, et leur feu s'y déchaîne,
Et mon cœur débordant n'attend plus qu'un signal.

TOME XIV.

VICTOR DE LAPRADE.

13

POLITIQUE

DE LA FRANCE EN ASIE

Il fut un temps où la France était puissante en Asie; son drapeau, glorieusement tenu par de vaillans officiers de fortune, était respecté et invoqué par les populations de l'Hindostan; ses navires de guerre, répandus sur les mers orientales, convoyaient les riches escadres de la compagnie des Indes; son prestige était si grand que, du fond de l'Asie, les souverains envoyaient des ambassades à la cour de Versailles, étonnée de recevoir ces lointains hommages; ses missionnaires étaient partout, dans l'Inde, à Siam, en Cochinchine, à Pékin, même au Japon, et partout, en propageant par d'héroïques travaux les lumières de la civilisation et de la foi chrétienne, ils propageaient le nom et l'influence de leur patrie. On a vu des capitaines français à la tête d'armées indiennes, des mandarins français en Cochinchine, et cette pléiade ou plutôt cette dynastie de pères jésuites qui, sortis de nos séminaires, allaient occuper à Pékin, dans l'orgueilleux palais des empereurs de Chine, les plus hauts emplois. Que reste-t-il de toute cette puissance? Quelques coins de terre sur lesquels plonge le canon anglais; les noms de quelques héros, Dupleix, Bussy, Suffren; les pieux souvenirs que réveille l'histoire des missions catholiques; des traditions, glorieuses sans doute, mais déjà bien vieilles et trop longtemps demeurées stériles. Pouvons-nous aujourd'hui, avec cette poussière du passé, reconstruire l'édifice de notre ancienne grandeur en Asie? Napoléon y avait songé : c'était un des projets, un des rêves de sa jeunesse. Lorsqu'il posa le pied sur le sol de l'Égypte, ses regards, franchissant les espaces, étaient fixés sur l'Inde. L'Orient l'avait séduit. L'Égypte n'était point seulement à ses yeux une future colonie destinée à ouvrir au commerce français les marchés de l'Asie, c'était aussi, comme il le déclare dans ses Mémoires, une place d'armes d'où la France pouvait

un jour porter une armée de soixante mille hommes sur l'Indus, soulever les Mahrattes et ruiner la puissance de l'Angleterre. A ces vues politiques se joignait sans aucun doute ce vague instinct du merveilleux et des choses grandes qui se retrouve toujours dans les vastes préoccupations du premier consul et de l'empereur. Les événemens européens ne laissèrent point à Napoléon le loisir d'exécuter ce qu'il avait conçu; mais de nombreux documens attestent que, même au milieu des champs de bataille et dans les capitales conquises, l'Orient, qu'il avait entrevu dans sa jeunesse et à l'aube de sa puissance, était demeuré présent à son imagination. Sa politique à Constantinople et la mission qu'il envoya à la cour de Perse en font foi. L'empereur pressentait que l'activité du génie européen devait prochainement se porter vers l'Asie, que les colonies orientales allaient devenir un élément considérable de l'équilibre européen, et que la France regretterait vivement un jour la perte de ses territoires et de son influence dans l'Inde. C'était une pensée juste, et il n'est pas sans intérêt d'examiner si cette pensée peut être utilement reprise au temps où nous sommes, en présence des concurrens qui nous ont devancés ou supplantés dans les régions asiatiques.

L'Angleterre tient en Asie le premier rang. Par Aden, elle garde l'entrée de la Mer-Rouge; par Hong-kong, elle est au seuil de la Chine. Entre ces deux points s'étendent les vastes domaines de l'Inde, sans cesse accrus depuis le commencement de ce siècle par une série non interrompue d'annexions et de conquêtes, et défendus à leurs extrémités par des établissemens militaires qui forment de l'ouest à l'est de l'Asie une ceinture de redoutables forteresses. Vainement a-t-on prétendu que cette puissance colossale repose sur des fondemens d'argile. Une partie de l'Inde est, il est vrai, en pleine insurrection; l'armée du Bengale, après avoir massacré ses officiers, s'est tournée contre la domination anglaise, et elle a pu, durant quelques mois, arborer à Dehli le drapeau du Grand-Mogol; le royaume d'Oude, récemment annexé aux territoires de la compagnie sous l'administration de lord Dalhousie, est à reconquérir presque en entier. C'est la plus violente crise que la Grande-Bretagne ait eue à traverser depuis le jour où elle s'est établie sur le sol de l'Inde; mais, dès le début, elle a tenu tête à l'orage: une poignée d'Européens, sous la conduite de chefs héroïques, a résisté glorieusement aux attaques des rebelles, et l'arrivée des premiers renforts a permis à l'Angleterre de relever le prestige de ses armes. L'issue de la lutte ne paraît point douteuse, et, quels que puissent être les incidens d'une crise passagère, l'Angleterre, demeurée maîtresse de la péninsule indienne, maîtresse d'Aden, de Ceylan, des ports birmans, du détroit de Malacca, de Labuan, de Hong-kong, ne saurait redouter dans les mers de l'Inde aucune compétition européenne.

Après la Grande-Bretagne, c'est la Hollande qui occupe dans l'Inde les plus vastes territoires. Sumatra, Bornéo, Java et le long cordon des îles de la Sonde, les Moluques, fournissent à son génie colonisateur un champ fécond habilement exploité. N'oublions pas dans cette énumération rapide le petit établissement de Decima, sur le sol du Japon. C'est en Asie que réside la véritable puissance de la Hollande; c'est de là que ce pays tire sa richesse, sa grandeur maritime et commerciale. Avant 1824, la Hollande possédait

quelques factoreries dans l'Hindostan et sur la presqu'île de Malacca, tandis que l'Angleterre occupait plusieurs points de Sumatra et diverses îles situées au sud de Singapore. Les deux nations se trouvaient ainsi en contact, et il était aisé de prévoir un prochain conflit qui eût mis en péril les colonies néerlandaises et ouvert à l'ambition de la Grande-Bretagne les archipels de la Malaisie. Le traité du 17 mars 1824 a réglé cette difficulté en stipulant des échanges de territoires et en délimitant les points en-deçà desquels chacun des deux pays devait poursuivre l'œuvre de la colonisation. Peut-être la prise de possession de Labuan et le protectorat établi sur une partie de la côte de Bornéo devraient-ils être considérés comme une violation des engagemens signés par l'Angleterre en 1824; ces tentatives d'agrandissement vers le sud ont provoqué les plaintes du cabinet de La Haye; mais en définitive les colonies asiatiques de la Hollande forment un empire compacte, fertile, habité par une nombreuse population et destiné à un brillant avenir.

A l'est des possessions néerlandaises s'étendent les colonies espagnoles. L'archipel des Philippines couvre un espace de trois cents lieues du nord au sud et de cent quatre-vingts lieues de l'est à l'ouest. Il comprend de nombreuses îles, dont la plus grande, Luçon, est entièrement soumise. Mindanao, Mindoro, Cebu, etc., ne sont encore occupées que sur quelques points de la côte. De ses domaines coloniaux, autrefois si vastes dans l'Inde, l'Espagne n'a conservé que les Mariannes et les Philippines, dont elle doit la découverte au génie de Magellan (1521). Il y a plus de trois siècles qu'elle s'est établie à Luçon et que Manille, capitale de l'archipel, a été fondée. La colonie a eu ses jours de grandeur et de prospérité presque inouies. Pendant que le catholicisme, introduit par des bataillons de moines, se propageait rapidement dans l'île et soumettait à l'autorité temporelle toute la population indigène, le commerce et la marine exploitaient avec succès l'admirable situation du port de Manille, devenu l'entrepôt des marchandises de l'Inde et de la Chine échangées contre les piastres qu'apportaient de la Nouvelle-Espagne les fameux galions d'Acapulco. Ce fut seulement vers la fin du xvIIe siècle que l'Espagne songea à tirer parti des richesses naturelles du sol de Luçon; mais l'insurrection des colonies d'Amérique, ainsi que les guerres et les révolutions qui désolèrent la métropole, arrêtèrent longtemps tout progrès. Tandis que l'Angleterre et la Hollande agrandissaient chaque année le champ de leur activité sur les territoires de l'Inde, la colonisation espagnole demeurait stationnaire. Aujourd'hui encore sa marche est bien lente. Quoi qu'il en soit, la nation qui possède les Philippines est appelée à jouer un rôle important dans l'histoire politique et commerciale de l'extrême Asie.

Le Portugal, tout déchu qu'il est de son ancienne splendeur coloniale, conserve Goa dans l'Inde, Macao en Chine, l'île de Timor dans la Malaisie. Quand on se reporte aux temps d'Almeida et d'Albuquerque, aux expéditions glorieuses du pavillon portugais dans les divers parages de la mer des Indes et jusque dans les eaux du Japon, on ne peut se défendre d'un certain intérêt en voyant les débris d'une si grande fortune. Enclavé dans les possessions anglaises, Goa est aujourd'hui un anachronisme; c'est un monument du passé, une église en ruines. Macao, situé sur la côte de Chine, peut reprendre quelque importance à la faveur des événemens qui s'accomplissent

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