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SCIENCES

LA TERRE SELON LE COSMOS.

Cosmos: Essai d'une description physique du monde, par M. Alexandre de Humboldt;
quatrième volume, Stuttgart et Tübingue 1858.

Donner une description générale du monde, élever sous le nom de Cosmos à la science moderne un monument digne d'elle et accessible cependant à toutes les intelligences, telle est l'œuvre que nous voyons un savant illustre poursuivre depuis quelques années et mener aujourd'hui même à bonne fin. Il y a dans cette œuvre, on le sait, deux parts à distinguer: la description générale d'abord, puis l'étude détaillée des faits, des observations qui ont servi à élaborer les théories contenues dans la première. Cette seconde division du Cosmos se partage elle-même en deux grands ordres de considérations: le premier relatif aux corps et aux phénomènes célestes dont il n'y a plus à s'occuper ici (1), le second principalement consacré à la terre, et que le plus récent volume du Cosmos est destiné à développer.

Les tableaux terrestres le cèdent aux spectacles du ciel en grandeur et en majesté; mais l'esprit se fatigue à compter les distances incommensurables, les nombres effrayans que révèle la géométrie des cieux : il s'égare à travers les soleils, dans cette poussière des mondes qu'on nomme les nébuleuses, dans les innombrables étoiles de la voie lactée; il s'épuise à suivre les orbites des satellites autour des planètes, des planètes autour des soleils, des soleils autour de centres d'attraction inconnus, qui sont eux-mêmes sans doute en mouvement, et finit par éprouver je ne sais quel sentiment de vertige et d'effroi. Si nous redescendons sur la terre, nous nous sentons plus à l'aise le théâtre se rétrécit, mais il s'anime et présente des spectacles d'une infinie variété. Nous pouvons étudier ici les forces moléculaires, les affinités chimiques, les phénomènes admirables de la vie organique; mais avant de

(1) Voyez le Voyage dans le Ciel, dans la Revue du 15 novembre 1853, par M. Babinet.

reconnaître les harmonies de la nature animée, il faut considérer la terre à l'état de simple planète, la mesurer, la peser, l'envisager comme un vaste aimant, comme un foyer de chaleur, telle en un mot qu'elle nous apparaîtrait si toute vie végétale ou animale se trouvait anéantie, et si le repos de la surface n'était troublé que par les tremblemens de terre et les éruptions volcaniques. Cette étude générale de ce que l'on pourrait nommer les fonctions terrestres vient d'être accomplie par M. de Humboldt, et nous allons en noter les résultats principaux.

Si l'on se propose d'étudier la terre au point de vue le plus général, il faut avant tout en déterminer la forme, les dimensions, la densité. Quand les astronomes mesurent la figure de notre globe, ils ne tiennent pas compte des inégalités que présentent les continens et le lit des mers: ils supposent les terres rasées au niveau de l'océan, et ne s'occupent que de ce niveau lui-même. La surface théorique d'un tel sphéroïde serait un ellipsoïde de révolution, c'est-à-dire que chaque méridien aurait la forme d'une ellipse :la différence de l'axe équatorial et de l'axe polaire, due au mouvement de rotation diurne, détermine ce que l'on nomme l'aplatissement. Quand on admet que la surface des eaux tranquilles en équilibre sur le globe est un ellipsoïde de révolution parfait, on fait une hypothèse qui n'est pas absolument exacte. Il n'y a pas, en réalité, deux méridiens qui soient identiquement égaux en longueur, et l'on peut dès aujourd'hui hardiment affirmer que ni l'équateur ni les parallèles terrestres ne sont des cercles parfaits. L'Académie des Sciences de Paris prit l'initiative des premiers travaux destinés à mesurer la terre. Vers la moitié du xviie siècle, Richer trouva que le pendule à secondes est un peu plus court à Cayenne qu'à Paris, et confirma ainsi les vues profondes de Newton et d'Huyghens sur la diminution de la pesanteur à l'équateur et sur l'aplatissement de la terre au pôle. Pour en obtenir des preuves directes, La Condamine et Bouguer allèrent mesurer un arc de trois degrés à Quito, Maupertuis et Clairaut un arc d'un degré sous le cercle polaire en Suède, près de Tornea. A la fin du siècle dernier, ces tentatives se multiplièrent des arcs, encore peu étendus il est vrai, mais placés à des latitudes très diverses, furent mesurés par Lacaille au cap de Bonne-Espérance, les jésuites Lemaire et Boscowich aux États-Romains, Liesganig en Autriche et en Hongrie, Mason et Dixon en Pensylvanie, Beccaria près de Turin, et Reuben Burrow dans le Bengale. En même temps notre Académie des Sciences entreprenait cette longue triangulation qui, commencée par Delámbre et Méchain, fut terminée en 1808 par Biot et Arago, et comprend plus de douze degrés en latitude.

Au commencement de ce siècle, Svanberg corrigeait en Suède les premières mesures de Maupertuis, que des déterminations astronomiques douteuses ne permettaient plus de conserver, et l'on commençait en Angleterre une triangulation qui aujourd'hui est terminée sur deux arcs de méridien, dont le plus long comprend dix degrés de latitude, de l'île de Wight aux îles Shetland. En rattachant la chaîne des triangles français à celle de l'Angleterre, on a déterminé la longueur d'un arc qui n'a pas moins de vingtdeux degrés, depuis les Baléares jusqu'aux Shetland. Les tronçons mesurés en Allemagne par Schumacher et Gauss, par Bessel et Baeyer, n'ont pas une grande longueur; mais ces opérations, quoique de peu d'étendue, ont

été d'une haute importance, parce qu'elles ont fourni aux savans qui les dirigeaient l'occasion d'amener les méthodes géodésiques à leur perfection actuelle. M. de Humboldt ne peut donner trop d'éloges au magnifique travail de Bessel, qui a comparé les résultats de onze mesures de degré et relevé les erreurs dont quelques-unes étaient entachées.

L'étendue des travaux géodésiques accomplis en France et en Angleterre a été encore dépassée par ceux qu'on a exécutés dans l'Inde, en Russie et en Amérique. L'arc indien, qui aujourd'hui comprend environ vingt et un degrés, a été mesuré par Lambton et Everest, dont le nom vient d'être donné récemment au sommet le plus élevé de la chaîne de l'Himalaya. L'arc russe part de Hammerfest, sur la Mer-Glaciale, traverse la Suède, la Norvége, touche le golfe de Bothnie, coupe la Finlande, et s'étend à travers la Lithuanie, la Podolie, la Wolhynie et la Bessarabie, jusqu'à l'embouchure du Danube. Ce grand travail, accompli sous la direction de Tenner et de Struve, comprend vingtcinq degrés. Il était impossible de trouver un meilleur théâtre que les immenses plaines de la Russie pour suivre les méridiens terrestres sur une grande longueur. Les plateaux de l'Asie centrale sont hors du domaine de notre civilisation : les steppes glacés de la Sibérie, les pampas inhabitées de l'Amérique du Sud présentent trop d'obstacles aux longs et patiens travaux de la géodésie. L'Amérique du Nord seule offre un champ comparable à celui de la Russie. Le relèvement hydrographique des côtes, qui s'exécute sous la direction habile de M. Bache, a pour base une triangulation qui s'étend depuis la Floride jusqu'au Labrador, et dont il faut espérer de voir un jour le réseau se prolonger dans l'intérieur du continent.

Le pendule, qui oscille sous l'influence de la pesanteur, fournit une autre méthode pour mesurer la terre. M. de Humboldt rapporte les premières expériences des Arabes, celles de Galilée, des astronomes de Bologne et de Padoue, et des académiciens Richer et Picard. Aujourd'hui même, après la longue expédition scientifique du colonel Sabine sur les côtes d'Afrique et d'Amérique, il n'y a pas plus de soixante à soixante-dix points, irrégulièrement disséminés entre le 51° parallèle austral et le 79o parallèle boréal, où la longueur du pendule qui bat la seconde soit connue avec une parfaite précision. La comparaison des résultats donnés par le pendule et par les mesures géodésiques directes, faite avec beaucoup de soin en France par Biot et Arago, donne lieu à des anomalies très extraordinaires. Suivant M. de Humboldt, le pendule, qu'il appelle avec bonheur une sonde jetée dans les couches invisibles de la terre, ne trahit que des effets trop locaux et trop superficiels, et ne peut être préféré, pour la mesure exacte de notre planète, aux opérations géodésiques et à la méthode astronomique imaginée par Laplace et fondée sur les inégalités lunaires. En adoptant pour l'aplatissement la valeur qui résulte des travaux de Bessel, on voit que l'enflure de la terre à l'équateur n'atteint pas tout à fait trois fois la hauteur du mont Kintschindjinga, qui a 8,587 mètres d'élévation, et qu'on croyait le plus élevé de tout l'Himalaya, avant d'avoir mesuré le mont Everest.

Après avoir mesuré la terre, si on cherche à la peser, on aborde de nouvelles difficultés. Le globe n'a point la même densité dans toutes les parties, et la loi suivant laquelle les couches augmentent de densité vers le centre nous est tout à fait inconnue. Les expériences faites avec le pendule aux

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environs des montagnes, telles que celles de Bousguer au Chimborazo, de Maskelyne et Hutton sur le Shehallien, de Carlini au Mont-Cenis, ne peuvent révéler que des densités exceptionnelles, parce qu'elles trahissent l'influence de masses qui altèrent la symétrie terrestre. La balance de torsion, véritable pendule horizontal, fournit une autre méthode : imaginée par Cavendish, elle a été employée récemment par Reich en Allemagne et par Bailey en Angleterre. La densité moyenne de la terre, admise par M. de Humboldt d'après la comparaison de ces travaux, est de 5,62, chiffre très élevé, qui démontre que le noyau terrestre est formé de matières beaucoup plus lourdes que toutes les roches que nous pouvons découvrir à la surface.

Parmi ce que nous avons appelé les fonctions terrestres, le magnétisme occupe une place des plus importantes. On trouve dans le nouveau volume du Cosmos l'exposé le plus complet des phénomènes magnétiques. C'est à M. de Humboldt que la science encore naissante qui s'occupe d'en rechercher les lois doit ses progrès les plus récens : grâce à ses sollicitations, le gouvernement russe a semé ses immenses territoires, en Asie comme en Europe, d'observatoires magnétiques et météorologiques. C'est aussi d'après ses avis que l'Angleterre en a élevé dans ses colonies, à Toronto, au Canada, à Hobart-Town, dans la terre de Van-Diémen, au cap de Bonne-Espérance. Ses encouragemens n'ont manqué à aucune des expéditions scientifiques qui sont allées étudier le magnétisme terrestre dans les parages les plus lointains. Cette science, aujourd'hui servie dans de nombreuses stations par des instrumens d'une extrême délicatesse et d'une grande perfection, armée de méthodes rigoureuses dues à la pénétration de Gauss, est désormais en état de faire de rapides progrès.

Les forces qui agissent sur l'aiguille aimantée varient, comme on le sait, aux divers points de la terre, non-seulement en direction, mais en intensité. Pour connaître la direction, il faut deux instrumens: l'un mesure la déclinaison, c'est-à-dire l'angle que fait l'aiguille aimantée avec le nord, l'autre l'inclinaison, ou l'angle que fait avec l'horizon un barreau aimanté qui peut se mouvoir librement autour de son centre de gravité. Quant à l'intensité de la force magnétique, on la mesure à l'aide d'un appareil unique. Quand on veut peindre aux yeux la répartition du magnétisme terrestre, on joint sur un globe les points où ces divers élémens ont la même valeur. On obtient ainsi trois séries ou systèmes de courbes, les unes qu'on nomme isogoniques ou d'égale déclinaison, les autres isocliniques ou d'égale inclinaison, les troisièmes isodynamiques ou d'égale intensité. Il y a longtemps déjà qu'on a tracé les premières sur les cartes marines: ce sont en effet les seules qui soient importantes pour la navigation. Les lignes qui réunissent les points où la boussole fait le même angle avec le nord peuvent être considérées comme les méridiens magnétiques, mais elles dévient singulièrement des méridiens terrestres. Dans le nombre, il faut distinguer celles où la déclinaison, passant de l'est à l'ouest, devient nulle: alors la boussole est exactement dirigée vers le nord. Dès 1492, Christophe Colomb avait, dans son premier voyage en Amérique, traversé une de ces lignes remarquables, qui est placée dans l'Atlantique: une autre, avec les inflexions les plus bizarres, traverse la Nouvelle-Hollande, l'Asie orientale et septentrionale.

Les lignes d'égale inclinaison sont beaucoup plus rapprochées des paral

lèles terrestres que les méridiens magnétiques des méridiens ordinaires. Aux environs de l'équateur se trouve une ligne où l'aiguille d'inclinaison reste parfaitement horizontale : c'est ce que l'on nomme l'équateur magnétique. Les observations de Humboldt lors de son voyage en Amérique, de Sabine en 1822, de Duperrey vers la même époque, du capitaine Elliott qui visita en 1846 les mers de la Sonde, de M. Rochet d'Héricourt dans son expédition en Abyssinie, ont servi à déterminer cette ligne en quelques parties; mais M. de Humboldt insiste avec raison sur la nécessité de charger des expéditions spéciales de la mission de relever exactement tous les points de l'équateur magnétique aussi bien que les lignes de déclinaison nulle. Le réseau des lignes magnétiques n'est point stable et se déplace sensiblement pendant l'espace de quelques années : des observations faites à de longs intervalles par des explorateurs différens, disséminées dans une foule de voyages et de journaux de bord, ne peuvent être aussi utiles à la science que le seraient des études exécutées avec méthode et dans une courte période. A mesure qu'on s'éloigne de l'équateur magnétique, l'inclinaison de l'aiguille aimantée devient plus forte: sir James Ross a pu déterminer dans la zone glaciale le pôle nord magnétique, où l'aiguille se tient tout à fait verticale. Ce point est situé sous le 70° degré de latitude environ, à une très grande distance du pôle terrestre. Sir James Ross avait espéré arriver aussi au pôle sud magnétique; mais, pas plus que Dumont d'Urville et le commodore américain Wilkes, il ne put approcher de ce point, placé dans le continent antarctique et défendu par des glaces inabordables.

Les lignes d'égale intensité magnétique ont la direction générale des parallèles terrestres, mais s'en écartent sensiblement. C'est aux environs de l'équateur que l'intensité est la moindre: auprès des pôles, elle devient à peu près deux fois plus forte; mais les points où l'intensité est la plus forte ne tombent pas, comme on aurait pu s'y attendre, sur les pôles magnétiques. L'unité d'intensité magnétique jadis adoptée était l'intensité que M. de Humboldt avait déterminée à Cumana; mais Gauss y substitua avec raison une unité invariable et mathématique, parce que les forces magnétiques subissent d'insensibles et de continuelles variations, dont on commence seulement à démêler les lois. Parmi ces variations, les unes embrassent un long cycle d'années, les autres sont diurnes. Chaque jour, les aiguilles de déclinaison et d'inclinaison oscillent légèrement autour de leur position normale. Quelle est la cause de ces petits mouvemens qu'on pourrait nommer les marées magnétiques par comparaison avec les marées océaniennes? Les innombrables observations faites en diverses parties du globe sur les variations diurnes et périodiques ont déjà montré que ce phénomène est intimement lié à la rotation de la terre et à la position de notre planète par rapport au soleil : le magnétisme obéit donc à une excitation extérieure et n'a point sa source dans les profondeurs mêmes du globe. Toutes les observations modernes, si bien discutées par Sabine, justifient la pensée hardie de Kepler, qui faisait dépendre le magnétisme de la présence du soleil, et ce n'est pas seulement par la chaleur envoyée à la terre qu'il peut en entretenir le magnétisme; il faut qu'il soit lui-même un aimant véritable, d'une extrême puissance.

M. de Humboldt avait cru autrefois qu'il existait sur la terre une ligne où

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