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aux autres hommes. Vous fierez-vous à ce pauvre malade et à ce fou, vous qui doutez si souvent du témoignage de la science, ou d'une raison saine? Mais il est inutile de répéter ici contre le somnambule ce qui a été dit au sujet du crisiaque. Pas plus que le crisiaque, le somnambule n'a droit à notre croyance. Le discours du somnambule est, dites-vous, clair et suivi? Attendez un instant, et vous le verrez tomber dans quelque grossière absurdité. Au lieu de le guider dans son rêve, tendez-lui un piége: il y donnera tristement, et l'ange de tout à l'heure ne sera plus qu'un misérable insensé. « Ses paroles, dit éloquemment M. Lemoine, ses paroles n'ont plus de sens; c'est un délire ridicule et pitoyable. Les hallucinations se succèdent dans son esprit. Et si vous avez pitié de voir une intelligence raisonnable réduite, sans l'avoir mérité, dans ce triste état, vous la rappellerez aussitôt à la veille et à la raison, et vous croirez que, loin d'avoir été délivrée pendant quelques instans des liens du corps, elle lui est demeurée plus que jamais étroitement enchaînée. » Sans prétendre tout expliquer et tout éclaircir, l'auteur du livre sur le sommeil a mis ce dernier point en pleine évidence. Il ajoute que si la médecine a pu emprunter au magnétisme un heureux secours dans la guérison de quelques cas individuels, l'expérience a prouvé que l'extase artificielle exerce quelquefois une funeste influence. De quelque façon et dans quelque intention qu'on l'emploie, c'est une médication dangereuse. Ces pratiques ne sont pas toujours criminelles, mais elles ne sont pas non plus toujours innocentes. Dans tous les cas, et lors même que la santé du corps n'en serait pas altérée, «l'âme ne peut rien gagner en dignité à perdre l'empire qu'elle exerce sur elle-même, son bon sens et sa liberté... C'est dégrader une intelligence libre et raisonnable que de lui enlever sa raison et sa liberté. »

Ni les analyses judicieuses et discrètes qui préparent ces conclusions, ni ces conclusions elles-mêmes ne satisferont tout le monde. Les professeurs jurés de magnétisme en seront scandalisés pour le moins. Leurs passionnés admirateurs, leurs crédules adeptes en seront contrariés. Il en est de la vérité évidente comme des mets simples et sains; les estomacs fatigués repoussent ceux-ci; la curiosité maladive de notre temps n'a plus de goût pour celle-là. Tel qui ne comprend pas ou ne veut pas voir qu'il a une âme immortelle consulte en secret l'âme d'un guéridon; tel qui se méfie de sa raison se fie sans hésiter à la douteuse lucidité d'une pauvre et ignorante intelligence un înstant enflammée par la fièvre. C'est à qui se montrera le plus extrême. Les uns demandent avec une insistance un peu naïve qu'on leur démontre tout, même les choses qui sont d'observation directe, même les principes premiers sans lesquels aucune

démonstration n'est possible. D'autres, aussi faciles à satisfaire que ceux-là le sont peu, peuplent d'esprits tous les recoins de l'espace. Ils en mettent dans les meubles, dans les murs, dans le sol qui les porte et dans l'air qu'ils respirent. On les voit évoquer nuitamment l'âme de leurs ancêtres, et apprendre ainsi des nouvelles de l'autre monde de là des terreurs, tantôt ridicules, tantôt tragiques, auxquelles résistent les têtes solides, mais qui ébranlent les faibles et les envoient aux Petites-Maisons. Ni les défenses réitérées de l'église, ni la voix du bon sens, ni la crainte de prêter à rire aux générations prochaines n'ont pu arrêter les progrès de cette épidémie mentale. La nouvelle magie en est venue jusqu'à se proclamer sans façon fille légitime du spiritualisme; mais celui-ci renie une telle parenté. Méthodique et patiente, la science ne prend en considération que les phénomènes avérés, et s'applique à découvrir le lien plus ou moins caché qui les rattache aux lois ordinaires du monde intellectuel ou physique; sa marche est lente, mais elle en est plus sûre. Pour procéder ainsi, il lui faut du courage, car on lui sait moins de gré de la certitude des résultats qu'elle obtient qu'on ne lui reproche le temps qu'elle met à les conquérir. Que lui importe? A ses yeux, la question n'est pas tant d'aller vite que de bien arriver. Le temps d'ailleurs est un puissant auxiliaire, et qui en amène d'autres avec lui, témoins ces physiologistes autrefois les adversaires, aujourd'hui les amis de la philosophie de l'esprit. Avec leur concours, le spiritualisme, sans cesser de décrire les faits et de poser les lois de la vie éveillée, analyse maintenant les phénomènes et commence à dégager les lois tant de la vie endormie, qui est la moitié de notre existence, que de la vie morbide, qui en est, hélas! une notable part. Dans celleci comme dans la première, sous les organes qui la captivent ou la déchaînent, l'abattent ou l'exaltent, il retrouve avec la même évidence et proclame avec la même foi l'âme raisonnable, active, immortelle, libre quand elle règne sur le corps, asservie, aveugle et profondément digne de pitié quand le corps règne sur elle. C'est par de semblables recherches, et par de plus hautes même, que la philosophie spiritualiste a souvent répondu et répondra encore à ceux qui l'accusent de négliger la théorie pour ne s'occuper que d'histoire et de critique.

CHARLES LEVÊQUE.

LES

VOYAGEURS EN ORIENT

I. Les Saints-Lieux, ou Pèlerinage à Jérusalem, en passant par la Hongrie, les provinces danu

biennes, Constantinople, l'Archipel, le Liban, la Syrie, Alexandrie et Malte, par Mgr Mislin.

— II. Voyage dans la Turquie d'Europe, par M. Viquesnel. III. La Turquie et ses différens peuples, par M. Henri Mathieu. IV. Les Réformes en Turquie, par M. Stratimirovics (en allemand.)

II.

Si j'avais à indiquer l'ouvrage qui donne sur la Turquie d'Europe les renseignemens les plus exacts et les plus précis, qui présente le tableau le plus complet de la population de cet empire, de son commerce, de son agriculture, de son industrie, et des diverses nations qu'il renferme dans son sein, qui classe le mieux, selon l'ethnographie et selon la religion, les nombreux sujets de la Porte-Ottomane, qui fait la description la plus exacte de la Turquie d'Europe, et qui, en Thrace particulièrement, nous fait connaître je ne sais combien de localités retombées dans l'obscurité depuis les anciens, toute une contrée enfin rendue à la science géographique en attendant qu'elle soit rendue à la civilisation, j'indiquerais sans hésiter l'ouvrage de M. Viquesnel. Un homme qui connaît si bien la Turquie peut-il la mal juger, et s'il espère en sa régénération, pourquoi ne pas le croire? Pourquoi ne pas s'associer aux espérances d'un observateur si attentif et si éclairé? Comment se fait-il qu'un lecteur impartial, à mesure qu'il étudie mieux l'ouvrage de M. Viquesnel, à mesure qu'il entre avec lui dans le détail du gouvernement turc, se sente

atteint d'un incurable scepticisme à l'endroit de la régénération ottomane, et qu'il prenne dans les observations et dans les récits même de M. Viquesnel de quoi douter de ses conclusions? Telle est en effet l'impression que je recevais à mesure que je lisais le Voyage dans la Turquie d'Europe. Ce que M. Viquesnel expose avec tant de clarté lutte contre ce qu'il propose avec tant de zèle. Le statisticien combat le publiciste.

A quoi cela tient-il? Cela tient, selon moi, à l'impartialité même de M. Viquesnel. Personne n'aime plus que lui la vérité, et personne ne la dit avec plus de sincérité. Or il y a pour lui deux Turquies, celle du passé et celle de l'avenir, celle des faits et celle des décrets et des règlemens qui se proclament en attendant qu'ils s'exécutent. M. Viquesnel, loin d'aimer et d'admirer la vieille Turquie, la Turquie des faits et des usages, révèle fort clairement les abus et les maux de son gouvernement; mais il aime et il défend vivement la nouvelle Turquie, la Turquie de droit et de théorie, celle qui sera, celle qu'annoncent tous les matins les décrets de la Porte-Ottomane. Cellelà malheureusement n'est jusqu'ici qu'un pompeux roman. M. Viquesnel y croit cependant; il est persuadé que cette Turquie imaginaire, qui est déjà née deux ou trois fois et qui ne vit pas encorė, finira par prendre le dessus. Heureux de pouvoir admirer à son aise un gouvernement qui n'a point de défauts, puisqu'il n'a pas vécu, il s'étonne que tout le monde ne rende pas justice et hommage à la réforme turque. Que dirions-nous d'un lecteur du Télémaque qui, prenant au sérieux la Salente de Mentor, dirait qu'on est bien plus heureux à Salente qu'à Londres ou à Paris? Eh! oui, certes, le roman est toujours plus beau que la vie, seulement il ne vit pas. Eh! oui, certes, la Turquie réformée, la Turquie de Gulhané et du hattihumayoun de 1856 est plus belle que la France et que l'Angleterre. Elle est conforme à tous les principes de la civilisation moderne, seulement elle ne vit pas : c'est son seul défaut.

Plein d'une merveilleuse confiance en l'avenir de la civilisation en Turquie, M. Viquesnel ne semble pas tenir un compte suffisant de la différence entre les réformes décrétées et les réformes accomplies. Il prend la Turquie qui serait pour la Turquie qui est, et le conditionnel pour lui équivaut au présent. « Les possessions ottomanes, dit M. Viquesnel dans son résumé général, renferment d'immenses contrées qui n'attendent qu'une population laborieuse pour créer à l'Europe comme à la Turquie de nouvelles sources de richesses. Vivifiées par l'émigration, ces contrées changeraient subitement d'aspect l'agriculture y prendrait un immense développement, et pourrait couvrir les marchés de l'Europe de l'excédant de ses récoltes; l'industrie, pourvue désormais des procédés mécani

ques les plus perfectionnés, serait promptement en état de lutter avec l'Occident pour les produits similaires. Sous cette double impulsion, le commerce s'élèverait au plus haut degré de prospérité et répandrait l'aisance dans toutes les classes de la société. Désormais le trône du sultan, entouré de trente-six millions de sujets, tous également intéressés à sa conservation, défierait les projets ambitieux des puissances de l'Europe (1). » N'êtes-vous pas touché de ces nombreux et magnifiques conditionnels qui peignent la grandeur et la prospérité possibles de la Turquie? Eh bien! prenez le contre-pied de tout cela, et vous aurez l'état réel et présent de la Turquie, tel que M. Viquesnel l'expose lui-même. Mais avant d'en venir aux observations et aux récits de M. Viquesnel, si contraires à ses espérances, je veux ajouter un dernier trait au tableau éventuel de la Turquie réformée, parce que ce dernier trait montre quelle foi sincère M. Viquesnel a dans l'avenir des réformes de la PorteOttomane. « Lorsque la mise à exécution des réformes projetées aura donné au gouvernement du sultan la sympathie de toutes les populations chrétiennes de l'empire, la Porte pourra à son tour devenir agressive et faire une propagande redoutable, dirigée à son gré contre la Russie ou contre l'Autriche. Et dans cette hypothèse il est assez probable que cette propagande, habilement conduite, aurait pour résultat la réunion sous le sceptre ottoman de plusieurs des races dont les membres, aujourd'hui séparés, vivent sous les lois des trois puissances voisines (2). » Quel avenir s'il était vrai, quel avenir pour la chrétienté! Heureusement ici encore, pour avoir la vérité du présent, prenez le contre-pied de l'avenir décrit par M. Viquesnel. La Russie, l'Autriche et la Grèce (car c'est la Grèce, toute faible qu'elle est, qui est la troisième voisine menacée de la Turquie), la Russie, l'Autriche et la Grèce peuvent se rassurer.

Cherchons maintenant dans le Voyage dans la Turquie d'Europe quelques preuves de l'état actuel du pays. Cherchons par exemple si l'agriculture fleurit ou dépérit, si l'industrie et le commerce font des progrès ou s'ils déclinent, si la population turque augmente ou décroît. « Tous les voyageurs qui parcourent les diverses provinces de la Turquie d'Europe s'accordent à tracer un tableau pénible du délaissement d'une partie du sol, qui contraste avec sa fertilité naturelle. Les pierres et les mauvaises herbes encombrent souvent de grandes étendues de terrain... Si de l'Europe on passe dans les provinces asiatiques de l'empire, on ne trouve guère de traces de culture que dans les plaines les plus riches et les vallées les plus fer

(1) Voyage dans la Turquie d'Europe, p. 427.

(2) Ibid., page 408.

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