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de ce singulier mouvement, qui s'est distingué par son calme et sa dignité. Ce mouvement non plus n'a rien de local, il ne s'est pas circonscrit dans un état particulier; il a pris comme une traînée de poudre et a parcouru en un instant tous les états de la Nouvelle - Angleterre. Il n'a pas davantage son origine dans une secte particulière, et n'est pas sorti d'un camp meeting méthodiste ou d'une prédication prophétique swedenborgienne. Il a conquis au contraire toutes les sectes et les a entraînées l'une après l'autre dans son tourbillon. Les sectes les moins orthodoxes comme les plus populaires, les unitaires comme les méthodistes, les universalistes comme lès baptistes, y ont pris part. Cette fièvre religieuse, née dans quelques obscures chapelles, s'est propagée en quelques semaines avec une rapidité étonnante. D'abord les meetings ont été hebdomadaires, puis ils se sont tenus deux fois par semaine, puis chaque jour, enfin à toute heure de chaque jour.

Quelle est la cause de cet étrange mouvement? Il n'en faut pas chercher d'autre qu'un sentiment de violente réaction contre les indignités dont la grande république a présenté le spectacle depuis trop d'années déjà. Que ferons-nous pour être sauvés? c'est le texte ordinaire des prédications des ministres et de leurs exhortations aux fidèles. «O mes frères, combien nous avons besoin d'une renaissance de la foi dans un pays qui se précipite en de telles infamies!» s'écriait un ministre unitaire devant sa congrégation. Tel est en effet le sens véritable de cette manifestation, qui ne pouvait éclater que dans les vieilles colonies du puritanisme. C'est une pénitence nationale; les États-Unis demandent pardon à Dieu de leurs péchés des dernières années, péchés qui sont nombreux, il faut bien l'avouer. De pareils faits sont sans doute fort éloignés de nos mœurs, et il nous est difficile de les comprendre; cependant on ne peut en méconnaître l'importance et même la grandeur. Rien ne prête à rire dans cette manifestation, sauf quelques détails ridicules qui s'y mêlent, comme ils se mêlent à toutes les choses humaines, et on ne peut l'expliquer ni par le fanatisme, ni par la superstition, ni par l'influence des ministres. Le revival s'explique très bien au contraire par le dégoût et la réprobation que le spectacle de la banqueroute, les affaires du Kansas, la tyrannie du sud, les expéditions des flibustiers, ont fini par soulever dans les états du nord, où fermente toujours un impérissable levain de puritanisme. C'est un soulèvement de la conscience populaire et un réveil de l'esprit protestant.

Les mormons seraient fort en péril, si au milieu de cette fièvre religieuse on apprenait que l'expédition dirigée par le colonel Johnston a éprouvé un échec. Ils courraient grand risque de payer cher leur succès, et d'être pris par la république comme le bouc émissaire chargé des péchés d'Israël. Brigham Young et sa secte pourraient bien être offerts en expiation de la banqueroute, de l'esclavage et des pirateries de Walker. A Utah aussi cependant les manifestations religieuses abondent; Brigham Young essaie de préparer son peuple au combat par la prédication et la prière, et appelle la colère du Tout-Puissant contre ses ennemis. « Le Seigneur est avec nous, disait-il dans un de ses derniers sermons, et si nous sommes bien déterminés à envoyer nos ennemis en enfer, aucun pouvoir ne peut prévaloir contre nous, car il m'a été révélé qu'il ne resterait pas dans la plaine un brin de gazon pour nourrir leurs chevaux. » Ce n'est pas seulement par cette élo

quence grossière que Brigham essaie d'exciter l'enthousiasme de son peuple; il est plus politique qu'éloquent, et compte plus, pour le succès de sa cause, sur la carabine et le revolver que sur l'accomplissement de ses prophéties. Il dirait volontiers à ses mormons ce que disait Cromwell à ses soldats « Ayez confiance en Dieu, et tenez votre poudre sèche. » Aussi les dernières nouvelles d'Utah nous montrent-elles les mormons occupés des préparatifs de la guerre sainte, fabriquant de la poudre et des revolvers, inventant des armes à feu d'un nouveau modèle. Cependant toutes ces précautions seraient probablement impuissantes à les sauver, si la nature ne conspirait pour eux dans ces plaines immenses, dans ces défilés que leurs ennemis ne connaissent pas, et où ils comptent les engager et les détruire en détail. Si ce résultat avait lieu, et il n'a rien d'improbable, la dernière heure du mormonisme aurait sonné, ou Brigham devrait songer à un nouvel exode pour arracher son peuple à la vengeance de l'Union.

L'expédition contre les mormons est sans doute une œuvre fort méritoire. Cependant, puisque les citoyens de l'Union sont en train de demander pardon de leurs péchés à Dieu et cherchent les moyens de faire amende honorable, ils n'ont pas besoin d'aller jusqu'à Utah pour trouver des vices, à réformer et des crimes à punir. Les occasions ne leur manquent pas de faire œuvre pie, et de montrer que leur ravivement de foi est autre chose qu'un accès de fièvre dévotieuse. Par exemple, pourquoi les membres du congrès, purifiés par cette nouvelle pentecôte, comme disent certains enthousiastes, ne renonceraient-ils pas à leurs discussions brutales et à leurs batailles à coups de poings? Pourquoi les planteurs du sud, visités par l'esprit du Seigneur, ne renonceraient-ils pas à l'affreux commerce de la traite qu'ils font effrontément avec Cuba et le Brésil, ainsi que l'ont démontré certains faits récens? Ni le congrès, ni les états du sud n'ont été encore touchés de la grâce, et la vieille œuvre d'iniquité, le maintien et l'accroissement de l'esclavage, ne cesse de remporter de nouveaux triomphes. Tout récemment encore le sénat a voté un bill qui admet le Kansas au sein de l'Union, et qui reconnaît officiellement pour cet état la constitution de Lecompton, œuvre de fraude et de violence du parti de l'esclavage. Si ce bill n'est pas repoussé par la chambre des représentans, la république comptera un état à esclaves de plus. Le succès n'est pas encore assuré cependant; un des anciens chefs du défunt parti whig, M. Crittenden, a proposé un amendement par lequel le sénat, en admettant, par respect pour la souveraineté populaire, la constitution de Lecompton, accorde néanmoins au peuple de cet état le droit de déclarer une fois encore s'il entend ou non conserver cette constitution. Cet amendement fort sage permettrait, s'il était adopté, de connaître enfin les vœux véritables de la population sans remettre en question un fait accompli. La proposition de M. Crittenden sera-t-elle acceptée? Personne ne doit plus le souhaiter que M. Buchanan, car ce bill a déjà mécontenté le parti qui l'a porté au pouvoir, et s'il est contraint de sanctionner l'admission du Kansas avec la constitution contestée de Lecompton, il perdra l'appui des démocrates du nord et aura brisé pour jamais le parti démocratique, le seul des partis de l'Union qui présente aujourd'hui quelque homogénéité.

CH. DE MAZADE.

ESSAIS ET NOTICES.

JEAN II DE LAZAREF.

Armiano-Rousski Slovar (Dictionnaire Arménien-Russe), par M. de Khoudabachef (4).

Dans les deux pays entre lesquels la masse de la nation arménienne est aujourd'hui répartie, l'empire ottoman et la Russie, cette nation occupe une position bien différente, et qu'il serait curieux d'étudier pour connaître la ligne de conduite suivie par les deux gouvernemens vis-à-vis des peuples de race étrangère sur lesquels leur domination s'est étendue. Le premier, envisageant les Arméniens, ainsi que les Grecs, les Bulgares et tous les autres chrétiens courbés sous son autorité, comme des êtres d'une nature inférieure, des rayas, les excluant de toutes les fonctions actives de l'ordre administratif, les a laissés se constituer, au sein de la commune patrie, en autant de nationalités distinctes, ayant chacune sa vie propre, ses intérêts particuliers, et sans cohésion entre elles et avec le pouvoir prédominant. Ce système d'exclusion, qui a toujours été un des vices du gouvernement turc, et qui a produit sa faiblesse actuelle, a eu pour résultat de conserver aux Arméniens leur physionomie asiatique, leurs mœurs et leur caractère natif. En outre, la différence des religions élève entre eux et leurs maîtres une barrière infranchissable, et toute fusion par le mélange du sang est à jamais impossible.

La conduite de la Russie a été entièrement opposée, surtout depuis l'annexion de la Grande-Arménie par le traité de Tourkman-tchaï, conclu avec la Perse en 1828. Autant la Porte semble avoir pris à tâche de s'isoler de ses sujets professant un culte autre que l'islamisme, autant la Russie fait d'efforts pour s'assimiler les populations hétérogènes qu'elle a englobées dans son vaste territoire, pour réunir tous ces élémens disparates en une vaste unité et les soumettre à l'action de son influence morale et de sa civilisation. Pleine d'empressement à accueillir les Arméniens, elle les a incorporés dans ses armées, principalement dans celle du Caucase, où elle a su si bien utiliser leurs services, et les a conviés à prendre place sans distinction dans tous les rangs et toutes les carrières de la société. Plusieurs d'entre eux, qui avaient bien mérité de leur nouvelle patrie, ont reçu en récompense les plus grands honneurs et ont fait une fortune éclatante. Il me suffira de citer le prince Madatof, qui, simple pâtre au début de sa carrière, était devenu par ses talens militaires hors ligne lieutenant-général; le prince Argoutinski-Dolgorouki, mort, il y a quelques années, gouverneur du Daghestan et aide-de-camp-général de l'empereur; les généraux Behboutof et Orbélianof, dont les noms ont figuré plus d'une fois avec éclat dans les bulletins de la dernière guerre, et plusieurs autres qui se sont illustrés ou distin

(1) Publié par les soins et aux frais de M. le comte Jean II de Lazaref; Moscou, 2 vol. grand in-8°.

gués à différens titres, et que je pourrais mentionner. Un des moyens les plus efficaces pour opérer cette transformation est sans contredit l'éducation russe qui est donnée aux Arméniens, et pour laquelle ont été composés différens livres destinés à leur faciliter l'intelligence et l'usage de la langue officielle du grand empire dont ils font aujourd'hui partie. Parmi ces livres est le Dictionnaire arménien-russe de M. de Khoudabachef. Au moment où vient de s'éteindre à Saint-Pétersbourg l'homme vénérable par les conseils duquel ce dictionnaire a été rédigé, et dont la munificence pourvut aux frais de l'impression, je voudrais, à propos de ce remarquable ouvrage, consacrer quelques mots de regret à une mémoire que recommandent d'éminens. services rendus aux lettres orientales par une constante et généreuse protection et le noble emploi d'une grande fortune.

M. le comte Jean II de Lazaref, chambellan de l'empereur de Russie, conseiller d'état, curateur des églises arméniennes de Saint-Pétersbourg et de Moscou et de l'institut Lazaref des langues orientales de Moscou, était, avec deux frères qui lui ont survécu, MM. Christophe et Lazare, le représentant direct d'une famille originaire de la Grande-Arménie, qui figure aujourd'hui dans les rangs de l'aristocratie de Saint-Pétersbourg. Cette famille est un des débris de l'ancienne féodalité arménienne qui avaient résisté aux invasions des Arabes, des Turcs, des Mongols, des Ottomans et des Persans modernes. Un de ses descendans, Manoug, possédait, au commencement du XVIIe siècle, une principauté qui était restée debout et indépendante dans l'Arménie orientale, au milieu des révolutions sans nombre auxquelles ce pays avait été en proie. Lorsqu'en 1605 Chah-Abbas le Grand, souverain de la Perse, transplanta dans son royaume les habitans des provinces riveraines de l'Araxe, parmi lesquels étaient en majorité ceux du territoire de Djoulfa, Manoug partit avec eux.

Pour rappeler le souvenir de la patrie absente, ces émigrés donnèrent à la colonie qu'ils fondèrent auprès d'Ispahan le nom de Nouvelle-Djoulfa. Voulant leur faire oublier la violence qui les avait arrachés de leurs foyers et donner l'essor à leur industrieuse activité dans ses états, Chah-Abbas se montra plein de bienveillance pour eux, et leur accorda les plus grands priviléges. Cette protection et l'habileté mercantile des Arméniens ranimèrent et rendirent florissant le commerce de la Perse, et la colonie de Djoulfa atteignit à un degré de splendeur que décrivent tous les voyageurs européens qui l'ont visitée au XVIIe siècle. Abbas II (1642-1666), petit-fils d'Abbas le Grand, investit le fils de Manoug des fonctions de directeur des monnaies, et le fit son ministre des finances. Plus tard, le fameux NadirChah (Thamasp-Kouli-Khan) le nomma kelonther, c'est-à-dire préfet et juge suprême de la Nouvelle-Djoulfa. Comme souvenir de son administration, le magistrat arménien laissa deux caravansérails, à l'érection desquels il consacra, sur ses deniers personnels, une somme de 100,000 écus, et où ceux de ses compatriotes que le commerce attirait à Ispahan trouvaient l'hospitalité. Les révolutions qui suivirent la mort de Nadir-Chah forcèrent un descendant de Manoug, Éléazar Nazarian Lazariants, à quitter la Perse; il passa en Russie, attiré par l'accueil empressé que, depuis Alexis Mikhaïlovitch, les tsars faisaient aux Arméniens, et par la protection et la sécurité qu'ils leur offraient dans leurs états. La Russie les voyait alors accourir de

tous côtés; Éléazar et son fils, le comte Jean Ier, s'y signalèrent par la création de vastes fabriques de soie et de coton aux environs de Moscou, par l'exécution de plusieurs opérations importantes de finances pour le compte du gouvernement, et en prenant une part active à la fondation des villes de Kizlar, Mozdok, Grigoriapol, et de la Nouvelle-Nakhitchévan. Le comte Jean Ier, l'ancien ami de Potemkin, mourut en 1813, laissant une immense fortune, et après avoir été comblé des faveurs de Catherine II, Paul et Alexandre Iers Sa dernière pensée fut un bienfait pour ses compatriotes, et un nouveau service rendu au pays qui l'avait accueilli. Par son testament, il consacra une partie de cette fortune à la fondation à Moscou d'une maison d'éducation destinée, sous le nom d'Institut des langues orientales, à recevoir les Arméniens et les natifs du Caucase, et à leur fournir une instruction dont ils iraient plus tard reporter le bienfait dans leur patrie. La suprême volonté de Jean, dont l'exécution avait été confiée à Joachim, son frère et son héritier, fut remplie avec une libéralité qui outrepassait même les intentions du donateur. Joachim éleva le capital de fondation à la somme de 500,000 roubles, et depuis lors le comte Jean II, avec ses deux frères Christophe et Lazare, pieux continuateurs de l'œuvre paternelle, ont porté cette somme à plus d'un million (4 millions de francs). Depuis la mort de son père Joachim, arrivée en 1826, Jean II, devenu le chef de la famille de Lazaref, consacra tous ses soins à la direction de l'Institut des langues orientales, et introduisit de nombreuses améliorations dans cet établissement, devenu aujourd'hui l'un des plus importans de ce genre que possède la Russie. L'imprimerie qu'il y annexa s'enrichit des types des idiomes orientaux les plus usuels, et produisit une foule de publications utiles, parmi lesquelles on peut citer l'ouvrage en trois volumes in-4° intitulé Collection de documens relatifs à l'histoire de la nation arménienne, recueil précieux où sont contenus les oukases des tsars et toutes les pièces officielles concernant l'histoire des Arméniens de Russie, et le Dictionnaire arménien-russe de M. de Khoudabachef, dont l'impression coûta 40,000 roubles assignats. Non content de fournir largement à la dotation des églises arméniennes de Pétersbourg et de Moscou, dont l'érection est due à sa famille, le comte Jean II bâtit à ses frais la belle église qui s'élève aujourd'hui au centre des usines du gouvernement de Perm. Plein d'humanité et de bonté pour les serfs de ses domaines, il subvenait, dans les années difficiles, à leur entretien et à leurs besoins, et voulait que les sommes qu'il affectait à cet usage fussent prélevées sur ses revenus, même avant ses dépenses personnelles. En une foule de lieux, il avait fondé pour eux des écoles et des hospices. Aussi la nouvelle mesure ordonnée par le gouvernement russe pour l'affranchissement des paysans avait-elle été accueillie par lui avec la plus vive sympathie. Ce n'est qu'à sa mort que l'on a connu les prodigalités de sa charité, qui s'exerçait indistinctement envers tous les malheureux, quelle que fût leur religion ou leur nationalité. Ses obsèques ont eu lieu au milieu d'un immense concours, où figuraient tous les ministres de l'empereur. Sa dépouille mortelle a été déposée dans la chapelle arménienne du cimetière de Smolensk, non loin de Saint-Pétersbourg.

ED. DULAURIER.

V. DE MARS.

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