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elle lui dit les changements de son enfant, son goût excessif pour la toilette, son irritabilité quand elle lui faisait une question sur -ce point, et aussitôt, ces crises de repentir de son acte, ces désespoirs et ces larmes qu'elle n'arrivait pas à arrêter!.!. Elle parla de ces toilettes coûteuses..., de cet argent inexplicable qu'elle avait toujours en poche..., dont elle se refusait à dire la provenance! Elle parla d'une bague de prix qu'elle lui avait un jour découvert!

Mais enfin d'où cela lui venait-il?

Voilà. D'où?... En tous cas, je reste convaincue que notre fille est restée honnête!

Les pauvres gens regardèrent en silence la malade et une larme leur vint à tous deux de ce soupçon qu'ils avaient en tête et qui leur apparaissait comme une profanation de ce pauvre petit corps maigre, réduit, purifié en tous cas par la souffrance,

Pourquoi ne m'avoir rien dit? Il y a longtemps?

Pourquoi? Parce que j'avais peur de ta colère! Cela remonte à la fermeture de l'ouvroir. Ah! Sour Antoinette l'avait préservée jusque-là !

Lacquemin ne répondit rien; son poing seulement se crispa. Se soulageant enfin, Henriette lui avoua cette scène si pénible du jour où Lucette était rentrée tard, les effets en lambeaux, dans un état moral lamentable... Et tout à coup elle ajouta :

Et puis, il y a cela... Il faut que tu saches tout, toi, le père. Je ne dois rien garder pour moi! Tiens, lis! dit-elle en tendant un papier usé, chiffonné.

Jacquemin, vivement, gagnant la veilleuse, déchiffra:

« Il faut que cela cesse! Je ne veux pas continuer de la sorte! Tu te moquerais de moi! Plus d'argent, plus de bijou, plus de toilette! Et même, méfie-toi! Je fais sauter ton père, j'en ai le moyen, si, d'ici jeudi... »

Et le papier, en cet endroit, était déchiré brusquement; on sentait qu'il avait été froissé et arraché avec colère.

Contrairement à ce qu'elle craignait, Henriette n'eut pas le spectacle d'une de ces scènes de fureurs dont Lacquemin était coutumier. L'homme resta très maître de lui; il plia le papier, l'enferma dans son porte-monnaie et s'enfonça dans un silence dont elle ne put le sortir. La pauvre femme se sentait en partie soulagée de ce fardeau que, depuis si longtemps, elle portait toute seule; elle admirait cette force calme, froide, de celui qui, si vraiment, en ce moment, était bien un soutien pour elle.

Ce jour-là, ce jour où elle est revenue en si mauvais état, d'où venait-elle?... T'en souviens-tu? demanda-t-il posément.

Oh! oui. Elle venait du Plessix!

Ah! Et ce papier, comment l'as-tu eu? Quand l'as-tu trouvé? Je l'ai trouvé dans sa poche, le jour où elle s'est évanouie en bas, que nous l'avons montée ensemble!... Tu te souviens?... Lacquemin ne répondit rien; en lui-même, il combina les dates et une remarque lui vint n'était-ce pas précisément le jour de son renvoi, cet évanouissement? N'était-ce pas même quand il avait annoncé sa mise à pied qu'elle était tombée raide? Le misérable avait donc mis sa menace à exécution? Alors..., son enfant avait noblement résisté! Et, de cela du moins, un réel soulagement lui vint!

Tout à coup, une clarté se fit en lui, un nom flamboya :
Vuillemin!...

Maintenant, quand il était libre, Lacquemin n'allait plus à Ourscamps. Quand son tour venait de se reposer dans la journée, il prenait un chemin détourné et gagnait vers Choisy-au-Bac, un sentier qui le menait au Plessix. C'était là qu'était le secret qu'il cherchait! Il n'en avait pas parlé à Henriette; il allait là-bas, se glissant dans le parc, observant, à l'affût d'une occasion, menant son enquête patiemment. Vuillemin surtout l'intéressait. Mais enfin, il fallait tout voir. Il voulait frapper à coup sûr.

SAINT-JOUEN.

La suite prochainement.

PARIS SOUS NAPOLÉON

QUELQUES ASPECTS DE LA VIE SOCIALE

I. FINANCIERS ET FOURNISSEURS; Mme RÉCAMIER

La Révolution, tout en guillotinant et en ruinant beaucoup d'entre les financiers de l'ancien régime, avait été le point de départ d'un grand nombre de fortunes du même genre, fortunes rapides et souvent louches, mais que leurs possesseurs étalaient avec la traditionnelle ostentation des parvenus. En 1799, les lois fiscales du Directoire agonisant avaient contraint les nouveaux riches à dissimuler leurs capitaux pendant quelques mois; après le coup d'Etat, que plusieurs d'entre eux avaient commandité, ils se dédommagèrent par un redoublement de luxe; pendant les deux premières années du Consulat, en dehors des fêtes officielles, il n'y eut guère de réceptions somptueuses que chez les hommes d'argent.

Leurs fastueuses dépenses, qui excitaient l'ébahissement et l'envie, ne leur donnaient point de véritable crédit moral. Le critique Geoffroy se laissait égarer par sa manie de dénigrement quand il s'écriait : « Il y avait autrefois une puissance d'opinion supérieure à celle de l'or, tandis que le despotisme de l'or n'est aujourd'hui balancé par aucun contrepoids. » Contestable même au début du vingtième siècle, l'observation était manifestement fausse pour l'ère napoléonienne; à défaut de l'esprit de tradition et de l'influence aristocratique, l'orgueil national, l'ambition individuelle, le goût des aventures, le prestige des emplois publics, faisaient obstacle à la prédominance des financiers. Ceux-ci étaient impopulaires dans toutes les classes de la société. Le même Geoffroy, mieux inspiré ce jour-là, convenait que de tous les personnages-types de la comédie classique, c'était peut-être le seul qui eût conservé sa vérité : « S'il n'y a plus de bourgeois gentilshommes, il y a beaucoup de manants enrichis qui travaillent à se donner des gràces, et qui s'y prennent fort maladroi

tement. On ne rencontre que des Turcarets libertins par ton,. avares par nature, prodigues par vanité, protecteurs des arts et des talents uniquement pour se mettre à la mode, mais qui, au fond, ne savent pas distinguer Rode d'avec les ménétriers de la Courtille, et Garat d'avec les chanteurs du Pont-Neuf. » Ce portrait ne s'appliquait assurément pas à certains parvenus d'élite, si l'on peut ainsi parler, comme Ouvrard, dont les manières étaient aussi irréprochables que le goût, ou Séguin, qui était en musique non seulement un amateur, mais un exécutant distingué : il témoigne à tout le moins de préventions qui n'étaient point particulières à Geoffroy. Reichardt, le maître de chapelle allemand, se laissait raconter chez Erard que les « nouveaux riches » achetaient des harpes comme objets de mobilier. Les agents de Dubois recueillaient des propos dénigrants sur la dureté et l'avarice de ces enrichis; le mécontentement populaire devenait de l'indignation quand il s'agissait d'hommes de couleur, paradant en public avec des domestiques blancs. A l'autre extrémité de l'échelle, Talleyrand, si souvent l'obligé et l'associé des hommes d'argent, un jour qu'on racontait devant lui que la fille d'un ancien chaudronnier menait grand train et faisait monter un <«< chasseur » derrière sa voiture, Talleyrand se croyait obligé de reprendre, d'un ton nonchalamment narquois : « Ce n'est pas un chasseur, c'est un braconnier. >>

Napoléon partageait à cet égard les sentiments de ses sujets, et ne s'en tenait point aux épigrammes. Si quelques banquiers trouvaient grâce à ses yeux, si par exemple il faisait du neuchàtelois Perregaux un sénateur et de son fils un chambellan, les fournisseurs n'étaient pour lui que d'odieux fripons. Beaucoup d'entre eux sans doute, brouillés de longue date avec les notions vulgaires de probité, achetaient la connivence des généraux et colportaient cyniquement le récit de leurs aubaines, comme ce Jaillou qui, après l'expédition de Junot en Portugal, énumérait « avec beaucoup d'indiscrétion » dans les cercles parisiens les profits que lui avait valus l'entreprise des charrois de l'artillerie; on conçoit que l'empereur fût exaspéré quand les rapports de police lui révélaient ces vilenies et ces vanteries. Mais son antipathie ne s'arrêtait pas là: naturellement porté à critiquer et à limiter même le bénéfice légitime des simples commerçants, il se refusait à admettre que dans certains cas la spéculation pût être licite et utile; il ne comprenait pas notamment, il ne voulait

Toutes les assertions de cette étude sont appuyées sur des documents dont nous supprimons ici la longue énumération, mais dont on trouvera les références très précises dans l'ouvrage que M. de Lanzac de Laborie va publier incessamment chez Plon. (N. D. L. R.)

pas comprendre que le discrédit des finances publiques sous le Directoire, en rendant très aléatoire le paiement des créances, avait autorisé les fournisseurs à stipuler d'énormes avantages, et que «< la République avait été trop heureuse de trouver des spéculateurs hardis qui voulussent fournir, à quelque prix que ce fût. » Le souvenir des tripotages surpris ou soupçonnés à l'armée d'Italie effaçait celui des services rendus. Le maitre tenait pour impures et méprisables toutes les fortunes faites à cette époque et dans ces conditions; on l'aurait mécontenté sans le convaincre en essayant de lui démontrer que les agioteurs si honnis par lui avaient à leur façon tenté la fortune des batailles, et qu'ils <«< avaient avec audace et intelligence exploité, escompté, liquidé les circonstances »>.

Ainsi, il ne négligeait aucune occasion de faire rendre gorge aux nouveaux traitants, et se montrait impitoyable quand il croyait avoir la preuve de leurs malversations ou de leurs intrigues (il suffit de rappeler l'orageuse histoire de ses démêlés avec Ouvrard); ainsi surtout, il entendait que les spéculateurs fussent mis au ban de l'opinion.

En présence de telles dispositions chez un maitre aussi impérieux, les hommes d'argent ne pouvaient avoir aucune influence sérieuse, ni politique, ni même sociale. Mais comme leur hospitalité était accueillante, leur intérieur élégant, leur table délicate, ils voyaient se presser chez eux cette foule hétéroclite qui, dans une grande ville comme Paris, fait passer le souci de ses plaisirs avant toute considération de dignité ou de prudence: en grondant d'un tel empressement, Napoléon se sentait impuissant à le réprimer.

Une des maisons les plus courues, en raison des amusants contrastes qui s'y rencontraient, était celle de Seguin. Chimiste, artiste et collectionneur en même temps que spéculateur, Seguin était surtout célèbre par ses traits d'originalité. La principale source de son immense fortune venait de ce que, par un procédé de son invention, il avait réussi à tanner rapidement le cuir destiné aux souliers et aux harnais des armées de la Convention. Dans son hôtel de la rue d'Anjou, meublé avec la dernière recherche et où une galerie de tableaux voisin ait avec un laboratoire, le célèbre chef d'orchestre mulâtre Julien jouait des contredanses dont le financier avait acheté le monopole et qui ne s'exécutaient que chez lui. Avec cela, soit amour de ses aises, soit dédain du qu'en dira-t-on et attachement aux habitudes de son humble jeunesse, on le trouvait toujours, même à ses bals, en redingote1 et en pantoufles.

'La redingote n'était même point, comme à présent, la plus habillée des tenues de jour, mais un costume de fatigue, une sorte de houppelande.

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