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et si vous n'apprenez pas à dessiner, à chanter, à danser, à faire des vers et à jouer la comédie, comment voulez-vous devenir de bonnes femmes de ménage? » Le trait était si juste que Mme Campan se sentit visée et tenta (le bruit en courut du moins) d'obtenir l'interdiction de la pièce. Sa maison de Saint-Germain était en effet la plus réputée d'entre ces établissements où l'éducation se réduisait à l'enseignement des belles manières d'autrefois, la science à une nomenclature, la littérature à un verbiage sentimental et apprêté. Très vaine de son ancienne situation auprès de Marie-Antoinette, et profitant de l'ignorance de la nouvelle société pour donner à entendre qu'elle avait été non point simple femme de chambre, mais confidente et presque dame de la maison de la reine, elle s'enorgueillissait davantage encore d'avoir eu pour élèves les sœurs et la belle-fille du général Bonaparte. Par mode et dans le vague espoir de coudoyer des gens influents, on s'étouffait aux séances où elle faisait, fort agréablement d'ailleurs, jouer Esther par ses élèves, croyant singer les représentations de Saint-Cyr, et oubliant qu'après une courte expérience Mme de Maintenon avait cru devoir supprimer ces solennelles exhibitions.

Les jeunes filles se mariaient parfois encore pensionnaires; c'est chez Mme Campan que Lavalette eut sa première entrevue avec Emilie de Beauharnais. Mais le plus souvent, leurs études terminées, elles revenaient passer quelques semaines ou quelques mois à la maison paternelle, où les distractions leur étaient prodiguées. Les tenants de l'austérité se plaignaient qu'on ne les tint à l'écart d'aucune réunion mondaine, même la plus dissipée, et qu'elles devinssent « les compagnes, les amies et même les institutrices de leur mère ».

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C'était, comme à toutes les époques, un lieu commun pour les gens d'un certain âge et d'un certain caractère que de déplorer la disparition des bons domestiques, en s'indignant contre les exigences des serviteurs du temps présent et contre la faiblesse des maîtres modernes. En réalité, la Révolution, qui avait suscité parmi les domestiques des dévouements héroïques et d'abominables trahisons, avait au fond peu modifié leurs prétentions et leur condition. Les domestiques y avaient surtout gagné de ne plus être battus par leurs maîtres, à Paris du moins, et de ne plus encourir la peine de mort en cas de vol. Mais la police napoléonienne, qui se croyait de bonne foi appelée à exercer dans la société un magistère arbitrairement paternel, devait être tentée d'intervenir dans les querelles entre maîtres et serviteurs. Elle

usait envers ces derniers de procédés expéditifs et médiocrement légaux; voici, par exemple, en quels termes Pasquier entretenait le conseil supérieur de la police d'une femme de chambre, qui, renvoyée par une dame appartenant à la noblesse de l'Empire, s'était permis de répondre à ce congé par des injures : « M. le conseiller d'Etat l'a fait arrêter et propose de la retenir en détention pendant quinze jours et de la renvoyer ensuite à Cambrai où elle est née. »

Ces exécutions sommaires, dont le bruit se répandait et qui maintenaient les gens de service dans une crainte salutaire, avaient naturellement la chaleureuse approbation des patrons. Il en fut tout autrement d'une réglementation générale que Savary voulut établir peu de temps après son arrivée au ministère.

Au mois de septembre 1810, on apprit qu'à l'instigation de Dubois et de ses bureaux, la section de l'intérieur du Conseil d'Etat était saisie d'un projet de décret établissant pour les domestiques parisiens l'obligation d'un livret individuel de police. L'émotion fut très vive, non seulement dans la société, mais au Conseil d'Etat, qui, par cela même qu'il était le corps le plus dévoué à Napoléon et le plus intimement mêlé à l'action gouvernementale, était aussi celui qui avait conservé le plus d'indépendance. Savary d'ailleurs, en sa qualité de militaire improvisé ministre de la police, n'était point aimé des juristes du conseil le décret eût été rejeté, comme allait l'être quelques mois plus tard le projet de réglementation des fiacres, sans l'argumentation pressante de Pasquier, alors simple membre de la section de l'intérieur, qui fit valoir l'effrayante multiplication des vols domestiques et la nécessité d'y mettre obstacle.

L'article premier du décret du 3 octobre 1810 imposait, sous peine d'une détention de huit jours à trois mois, l'obligation de s'inscrire dans des bureaux désignés par le préfet de police à <<< tous les individus de l'un et de l'autre sexe qui sont actuellement ou qui voudront se mettre en service, à l'année, au mois, même au jour, en qualité de domestiques, sous quelque dénomination que ce soit, dans notre bonne ville de Paris ». En s'inscrivant, ils recevaient un bulletin ou livret, analogue à celui des soldats. A l'inverse (art. 3 et 4), il était interdit de prendre un domestique non pourvu de bulletin; pendant tout le temps du service, le bulletin restait entre les mains du maître qui, en cas de séparation, le retournait à la préfecture de police, où le domestique venait le rechercher; mais les auteurs du décret n'avaient point osé édicter de peine contre les maîtres qui négligeraient de se conformer à cette prescription.

Une disposition additionnelle était destinée, de façon tant soit

peu radicale, à débarrasser le pavé de Paris de la foule encombrante et dangereuse des domestiques sans place (art. 7) : « Tout domestique sans place pendant plus d'un mois, et qui ne justifierait pas de moyens d'existence, sera tenu de sortir de notre bonne ville de Paris, s'il n'est autorisé à y séjourner, à peine d'être arrêté et puni comme vagabond. >>

Les deux derniers articles (9 et 10) édictaient au contraire des mesures d'atténuation. Les domestiques au service du même maître depuis plus de cinq ans étaient provisoirement exemptés de l'inscription et du bulletin. Enfin (et ceci était bien peu égalitaire), dans les grosses maisons, où il existait un «< intendant », c'est à ce dernier qu'incombaient les obligations imposées aux maîtres par le décret.

Pasquier, nommé sur ces entrefaites préfet de police, prit, le 22 novembre 1810, une ordonnance qui réglait les détails d'exécution. Les domestiques se firent inscrire en assez grand nombre; mais, de la part des maîtres, l'abstention fut à peu près générale. En vain Pasquier, pour faire ressortir les avantages du système, annonçait-il que l'inscription lui avait révélé parmi les domestiques la présence de beaucoup d'anciens condamnés, et qu'il en avait donné avis à leurs maitres actuels; les maîtres ne se départaient point de leur systématique inertie. Une note de rappel, publiée dans les journaux en mai 1813 par les soins de la préfecture, prouve indirectement qu'en pratique le décret de 1810 était demeuré lettre morte.

La police porta en cette affaire la peine de ses habitudes inquisitoriales et de la redoutable réputation qu'elle s'était acquise. Convaincus à juste titre qu'il y avait des espions partout, les Parisiens se persuadèrent que le véritable but de ce recensement des domestiques était non point de surveiller leur probité, mais d'épier, par leur intermédiaire, la conduite, les propos et les relations des maîtres. La répugnance fut si vive, même dans des milieux étrangers à la politique ou sympathiques au gouvernement, qu'elle paralysa la tremblante docilité avec laquelle on déférait d'ordinaire aux injonctions venues du quai Malaquais ou de la rue de Jérusalem. Pasquier, dont les intentions avaient été beaucoup plus administratives que machiavéliques, regretta l'échec du système qu'il avait fait sien mais il eut le bon esprit de s'en tenir là, et de prêcher la tolérance à Savary, qui eût peut-être été tenté d'en venir à des mesures comminatoires contre les patrons.

DE LANZAC DE LABORIE.

JOUSELE

NOVELLETTE DE PROVENCE

Mon Dieu! ayez pitié de moi ma barque est si petite et votre mer est si grande !

Prière du matelot breton.

I

Lorsque les Sarrasins eurent été expulsés de ces provinces du Midi où ils ont laissé tant de vestiges pittoresques de leur domination, ils revinrent longtemps encore, en expéditions de pirates, harceler et piller les côtes méditerranéennes. Leurs brigandages visitaient surtout le golfe de Saint-Tropez et y faisaient régner la terreur et la désolation. Enfin, au quinzième siècle, les habitants de la malheureuse contrée, organisés en troupes de bravadeurs, sous les ordres d'un capitaine de ville élu par eux-mêmes, chassèrent pour toujours les écumeurs de mer. La monarchie reconnaissante envers ces braves gens leur maintint le droit de défense qu'ils avaient si bien exercé, et les Tropésiens continuèrent à jouir de la franchise de recruter leurs corps de volontaires et d'élire leur chef jusque sous le règne de Louis XIV. Alors ces modestes prérogatives leur furent ôtées; la garde des côtes fut confiée à une troupe régulière, les bravadeurs dispersés et le le capitaine de ville remplacé par un officier du roi.

Il y eut une véritable consternation dans la petite ville ainsi dépouillée de sa mission et de ses privilèges. Du moins, elle ne voulut pas que les vestiges du passé disparussent totalement avec ses coutumes et elle institua pour le 17 mai, jour de la SaintTropez, une fête commémorative, qui, une fois par an, promènerait, le long des rues et sur le port, les uniformes, les tromblons, les bannières des temps héroïques. Le patron de la vieille cité avait été, lui aussi, un héros : soldat intrépide dans les légions romaines, il avait supporté avec une constance surnaturelle le dur martyre, après lequel son corps décapité, couché dans une barque,

sous la garde d'un chien et d'un coq, symboles de dévouement et de vigilance, était venu échouer à l'extrémité du golfe comme sur une terre d'élection. Il n'était donc que juste de mettre sous sa protection les solennités qui rappelleraient les prouesses des aïeux.

La fête, célébrée avec la verve toujours jaillissante, la foi confiante et joyeuse, l'orgueil naïf, la bonhomie exubérante de ces races si pleines d'élan, acquit un renom exceptionnel. Grands et petits, campagnards et citadins y voulaient faire figure, et contribuaient avec largesse à en rehausser l'éclat. Rien ne semblait trop beau, rien ne semblait trop cher. Le soleil de mai n'éclairait que de brillants uniformes, d'élégantes toilettes, des bannières resplendissantes, toutes sortes d'ornements battant neuf, et des bombances dignes de Gamache, offertes gratuitement par le capitaine de ville à la foule enthousiaste. Aujourd'hui, hélas! il n'en va plus de même; la démocratie a mis là comme partout sa laide et mesquine empreinte; les conseils municipaux radicaux se désintéressent de la fête; et, malgré le sentiment populaire qui les en avait empêchés jusqu'ici, ils viennent même de la supprimer tout à fait.

Mais la Saint-Tropez était encore digne de sa renommée le 17 mai 1880. Le capitaine de ville, Firmin Codou, fils d'un des plus riches bouchonniers du pays, n'avait pas ménagé la dépense. Son pantalon de casimir blanc, son écharpe multicolore, son bicorne à panache, éblouissaient les yeux par leur luxe, que rehaussait encore la beauté superbe du brillant capitaine. Redressant sa taille haute et souple, carrant ses larges épaules, agitant avec grâce sa chevelure bouclée, il montrait ses dents d'émail dans un sourire vainqueur et roulait en œillades assassines de grands yeux langoureux qui quêtaient avec confiance les suffrages des dames.

Ah! qu'ès béou! Ah! qu'ès béou! s'écriaient les vieilles et les jeunes. Et Firmin, gonflé d'aise, brandissait plus fièrement la pique enguirlandée de fleurs qui remplace l'antique épée du chef des bravadeurs.

Non moins resplendissante, non moins superbe et solennelle, la procession s'avançait à pas lents à travers les rues ornées de feuillages et de drapeaux. Elle s'était engagée sous la voûte de la Poissonnerie et débouchait, par le porche antique, sur le port couvert d'une foule empressée, que son apparition jetait toujours dans des transports d'allégresse. Des mâts couronnés de bouquets et reliés entre eux par des cordages ornés de banderoles avaient été plantés le long du quai; les bateaux rangés dans le port étaient également pavoisés, de grandes et de

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