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PÊCHEURS DE PHOQUES

IMPRESSIONS DE LA TERRE DE FEU

Au premier coup de midi, les notes stridentes et prolongées des sirènes à vapeur se faisaient entendre dans tous les coins du port. Le travail s'arrêtait partout à la fois comme par enchantement le bras levé de l'ouvrier lâchait le marteau, les caisses élinguées restaient dans les chalands, abandonnées par les treuils devenus muets. Du fond des cales surgissaient les arrimeurs hâtifs qui, tout en courant vers le déjeuner, enfilaient sur leurs torses en sueur, des vestes poussiéreuses et rapiécées.

A bord du voilier la Merva, Fischer, le maître d'équipage, se laissa aller, par habitude, à exécuter les trilles classiques qui, dans le langage universel des marins, annoncent le « diner ». C'était superflu, les matelots avaient couru aux cuisines et déjà mangeaient leur soupe en plein air, assis au hasard d'un paquet de filin ou d'une écoutille.

Fischer, s'étant assuré que tout était en ordre, se retira dans sa cabine sous le gaillard. C'est là qu'il prenait ses repas, seul; il ne négligeait rien pour augmenter son prestige auprès des hommes, tous nouveaux à bord. La Merva venait d'armer, trois semaines auparavant, après avoir passé tout l'été en réparations, et le capitaine Hans, son propre armateur, avait recruté son équipage avec le plus grand soin. Tout en mangeant, Fischer examinait du coin de l'œil, par l'entrebâillement de la porte, le dernier venu de ses hommes, arrivé le matin même.

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« Voici Marc Herzog, lui avait dit Hans en l'amenant à bord, un marin consommé que je connais à fond. Pour aller sur la rockery » 1, il n'a pas son pareil. La Providence l'a mis sur mon chemin hier; avec lui, le succès de la campagne est assuré. » L'homme maintenant était assis à deux pas de lui, et tranquillement achevait sa soupe. Il avait une face caractéristique de

1 Roches où gitent les phoques.

marin, brûlée au soleil et au hâle de toutes les mers, coupée de longues rides verticales, profondes comme des balafres; son regard clair et doux contrastait avec l'aspect presque sauvage que donnait à son visage une barbe rousse parsemée de poils blancs et une moustache hérissée, durcie à force d'être lavée par les embruns. La force peu commune dont il avait fait montre à la manœuvre, sa connaissance parfaite du métier affirmée par Hans, étaient conditions suffisantes pour que Fischer eût lieu de s'inquiéter déjà de l'influence qu'il pourrait prendre auprèsdu capitaine. Tout en bourrant sa pipe avec lenteur, comme s'il avait accompli un rite, il se décida à lui faire les premières avances.

Marc, son déjeuner terminé, avait, lui aussi, commencé de fumer. Debout, appuyé contre le bastingage, il inspectait de son œil connaisseur la voilure et la coque du navire.

Ainsi, vous avez déjà fait des campagnes de pêche? lui dit Fischer, en essayant de donner une expression aimable à son visage de chouette, et en redressant sa silhouette grêle, qui parut encore diminuée par la carrure formidable de Marc.

Oui, trois, dont deux avec le capitaine Hans, au temps où il commandait une goélette de la maison Vergel de Valparaiso. Ça va bien! Nous n'avons à bord que deux loberos accomplis, Johansen et Peterson, les Norvégiens. Quant aux autres... Bah! nous les formerons, dit Marc d'un air de confiance. Puis, s'animant, il continua:

- Le bateau me plait décidément : il est bien gréé, solide et taillé pour ces mers du Sud. Voici un an que je flâne dans le port de Hambourg ou sur les caboteurs danois. J'en avais par dessus les épaules de cette vie-là; c'est avec une vraie joie que j'ai accepté l'offre de Hans, lorsque je l'ai rencontré hier à Blankenesse. La campagne s'annonce bien, en effet nos cales peuvent tenir quinze mille peaux. Si la chance nous favorise, c'est la fortune. Une seule chose m'inquiète, ajouta Fischer sur un ton confidentiel. Le pilote a une tête et des manières qui ne me reviennent pas. Il ne parle à personne, s'habille comme un officier de paquebot, porte de grands cols irréprochables et se croit sûrement amiral. Il ne se passera pas longtemps avant qu'il nous donne du fil à retordre.

Heureusement pour Marc, qui n'aimait pas à mal parler de ses supérieurs, l'attention des deux hommes fut attirée par l'arrivée d'un canot accostant l'échelle de la goélette. Un jeune homme de seize à dix-huit ans, assez bien vêtu, monta à bord aussitôt.

- Tiens! Wilhelm, fit Marc surpris, je ne t'attendais pas si tôt. Le jeune homme serra la main rude du marin sans mot dire, puis, comme il saluait Fischer, Marc le présenta :

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Fischer, jugeant qu'il avait assez causé avec son subalterne, rendit le salut et se retira, les laissant en tête à tête..

Comptable depuis vingt ans dans une agence maritime, Friedrich Herzog, le père de Wilhelm, n'avait jamais tout à fait pardonné à son frère Marc d'avoir préféré le col bleu au rond de cuir. Son âme d'employé, façonnée par la vie mesquine qu'il tirait de ses maigres appointements, ne trouvait pas d'excuse au coup de tête de son cadet qui, au lendemain de la mort de leur père, s'embarquait comme mousse pour ne reparaitre que dix ans après, dans sa ville natale, barbu, ridé, méconnaissable.

Le petit Wilhelm, âgé, alors, de sept ans, avait poussé de grands cris à la vue de cet homme d'aspect terrible, qui voulait l'embrasser. Sa mère se montra plus douce envers son beau-frère qu'elle devina désemparé dans cette ville où s'était ébattue son enfance joyeuse et insouciante. A la demande de sa belle-sœur, Marc renouvela souvent sa visite, et apprivoisa son neveu avec quelques bibelots exotiques. Depuis, pendant les longs quarts, la silhouette du joyeux gamin, la grâce du petit Wilhelm lui revenait à la mémoire. Pour lui les relâches étaient une occasion de courir les bazars à la recherche d'un souvenir qu'il gardait quel quefois de longs mois au fond de son sac à son intention.

Pendant l'année qui précéda son embarquement sur la Merva, il avait dû se contenter, faute d'autre emploi, de faire la manœuvre ingrate des bateaux qui desservent les rives de l'Elbe. Wilhelm venait d'entrer dans sa dix-septième année; ses classes terminées, il jouissait de ses dernières vacances avant de prendre la place qui lui était réservée au bureau de son père.

Souvent il accompagnait Marc sur son bateau, prenant plaisir à respirer l'air vif du fleuve, dans lequel son imagination lui faisait retrouver les effluves salés des brises marines. Parfois, lorsque le matelot avait quelques heures de répit, ils en profitaient pour tirer quelques bordées en face de Blankenesse, avec un petit côtre dont ils connaissaient le patron.

A la veille de sceller définitivement son sort de rond-de-cuir, la nouvelle du départ prochain de Marc avait plongé Wilhelm dans un état de surexcitation qu'il ne parvenait pas à dominer. Il avait aussitôt décidé d'aller voir son oncle à son bord, et la seule idée de cette visite lui donnait la fièvre, tellement ses désirs de voyage devenaient intenses en présence de la réalité menaçante.

I ne dormit guère cette nuit-là, et se surprit plusieurs fois à mûrir des projets d'évasion, se posant cent fois la même question: « Marc consentirait-il à l'emmener, s'il l'en suppliait? »

Le lendemain, matin, il prit le chemin du port. Il s'engagea

dans l'Admiralitätstrasse, l'étroite rue sombre, où parmi tant d'autres offices se trouvait celui où travaillait son père. Sa pensée alla à ce peuple d'employés, penchés sur des livres, derrière les murs noirs des maisons, éléments obscurs de l'activité incessante dont palpitait la ville terrestre, dirigeant par d'invisibles fils les mouvements de la ville flottante, dont les mâts rayaient le ciel, au bout de la rue.

Arrivé à la station du vapeur de Baumwall, il s'assit sur un banc de bois où d'autres gens déjà attendaient. Il devait se rappeler souvent, dans la suite, cette attente solitaire, indécise au début, pendant laquelle son projet d'évasion prenait corps, s'affirmait comme une nécessité.

C'est, tout autour, un va et vient ininterrompu de vapeurs, un vacarme affolant de sirènes et de sifflets. Les jollenfuhrers, courts et trapus, peints en vert, affluent sans cesse chargés d'ouvriers et de matelots. Entre les hautes maisons, des canaux sombres pénètrent jusqu'au cœur de la ville, encombrés de chalands et de remorqueurs, sillonnés d'embarcations automobiles.

Wilhelm prend enfin passage pour l'Amerikanhoeff où sont les voiliers. Le jollenfuhrer gagne le milieu du fleuve, qui troue d'une longue perspective l'entassement des chantiers aux toitures inégales. Indéfiniment les navires succèdent aux navires à peine différenciés par la couleur des cheminées, marque des compagnies, les uns chargés à couler bas, d'autres montrant hors de l'eau leurs coques vides, monstrueuses. Au loin, barrant l'horizon, le pont du chemin de fer dresse, en un enchevêtrement formidable, ses arcs d'acier dont les courbes aériennes dominent le vaste panorama d'une complexité déconcertante.

Devant le regard de Marc, qui interroge le collégien d'hier, T'employé de demain ne trouve rien à dire, tant ce qu'il est venu demander lui parait maintenant ridicule. Il a conscience que ses habits bourgeois sont déplacés dans ce poste d'équipage, où Marc l'a conduit pour être plus seuls. Ses yeux vont de la table de bois qui en occupe le centre aux six couchettes adossées à la muraille sur deux rangées; il calcule que, dans l'étroit espace resté libre, les autres hommes doivent accrocher leur hamac.

Eh bien, tu avais à me parler?

La voix de son oncle le ramène à la réalité. Il se décide : Marc, je viens te demander de tenir ta parole. Emmène-moi! Le matelot sursaute. Il se souvient bien, parbleu, d'avoir fait cette promesse, mais jamais il n'avait pensé qu'il serait mis en demeure de la tenir.

Tu n'y songes pas, s'écrie-t-il plus ému qu'il ne veut le

paraître, ce serait folie. Ta place n'est pas ici ni sur aucun autre bateau.

Elle est sur un rond de cuir, n'est-ce pas?... Eh bien, non! Je ne veux pas du rond de cuir. Ce matin, en venant, je me suis décidé je m'embarquerai aujourd'hui ou demain, ici ou ailleurs, n'importe!

Tu ne feras pas cela!... Je préviendrai ton père.

Marc, je t'ai parlé d'homme à homme, avec la confiance que tu m'as habitué à avoir en toi, ce serait une trahison! Le jeune homme s'était échauffé en prononçant ces derniers mots. Marc, que le reproche blessait, l'arrêta :

-Tu as raison. Ton secret est en sûreté... Mais quant à être ton complice, t'aider à t'évader. Non, pas cela.

Le sifflet du maître d'équipage appelait les hommes à la manœuvre, ils remontèrent sur le pont. Fischer désigna à Mare le capitaine qui, très échauffé, discutait avec son second:

Quand je vous le disais, voilà le rapport qui commence. Le «< skipper » est furieux contre le second, parce que Geldern, un excellent matelot, a déserté à cause de lui.

Hans les aperçut :

Qu'est-ce que c'est que ce fantassin à mon bord?

Wilhelm Herzog, mon neveu, pour vous servir, capitaine.
Un solide gaillard, fit-il en toisant le jeune homme.

Puis il ajouta avec une nuance de dédain :

Dommage de f...icher des muscles comme ceux-là dans de la flanelle.

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Si je n'étais pas à votre bord, je vous en ferais essayer la force, repartit le jeune homme d'un ton vexé.

- Il m'amuse ton neveu, dit Hans déridé. Ah! c'est un gaillard. Et il lui tâta les biceps.

— C'est un vrai gaillard! Pourquoi ne pas en faire un marin? - C'est l'affaire de son père, fit Marc.

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Non, c'est la mienne, capitaine. Mon plus grand désir est de m'embarquer.

Bien, mon garçon. Voilà un vrai Herzog! Je m'y connais. Allons, au revoir.

Et, tournant sur ses talons, le capitaine s'éloigna brusquement.

Comment Wilhelm parvint-il à convaincre le capitaine Hans de le prendre à la place de Geldern, Marc ne le comprit jamais. D'ailleurs, le jeune homme lui-même, tandis qu'il voyait défiler les rives de l'Elbe, ne s'expliquait pas très bien à quels senti

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