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'Grand Politique, eh! bien ? destitué par l'âge,
Te voilà morne et sombre à ton foyer glacé ;

Mais, des bords du cercueil contemplant le passé,
Du poids de ton néant son fracas te soulage.
Redis-nous ces congrès où, réglant tous les droits,
Des antiques États tu changeais la fortune,
Et ces luttes d'orage où, roi de la tribune,
Tu parlais de plus haut que tous les autres rois.'

'Je ne m'en souviens pas; non, mais je me rappelle Que je fus au collége à douze ans, couronné;

On appelait mon père un père fortuné,

Et ma mère pria longtemps dans la chapelle.'

'Mon grand Poëte, eh! bien? voilà que tes cheveux
Rares et blanchissants, pendent sur ton épaule,
Comme sur le roc nu le feuillage du saule.

Mais ton œil d'aigle encor nous lance tous ses feux.
C'est que les souvenirs sont le brasier dans l'âtre,
Qui, plus ardent, pétille au souffle des hivers ;
Comptons tous les lauriers moissonnés par tes vers,
Comptons tous les bravos de ton peuple idolâtre.'

- 'Je ne m'en souviens pas; je me souviens qu'un soir Elle me regarda, vaguement inquiète.

Un ange, une déesse, un rêve de poëte! . . .

Et je l'aimai!... Jamais nous ne pouvions nous voir!'
Ainsi, de tous les biens qui font le sort prospère,

Que nous reste-t-il au départ?

La chanson d'une sœur, le sourire d'un père,
Le rapide aveu d'un regard.

Deschamps.

Ex. 246.

Le Meunier Sans-Souci.

L'homme est dans ses écarts, un étrange problème.
Qui de nous en tout temps est fidèle à soi-même ?
Le commun caractère est de n'en point avoir;
Le matin incrédule, on est dévot le soir,
Tel s'élève et s'abaisse au gré de l'atmosphère
Le liquide métal balancé sous le verre.

L'homme est bien variable; et ces malheureux rois,
Dont on dit tant de mal, ont de bon quelquefois,
J'en conviendrai sans peine, et ferai mieux encore;
J'en citerai pour preuve un trait qui les honore ;
Il est de ce héros, de Frédéric second,

Qui tout roi qu'il était, fut un penseur profond.

Il voulait se construire un agréable asile,
Où loin d'une étiquette arrogante et futile,
Il pût, non végéter, boire et courir les cerfs,
Mais des faibles humains méditer les travers.
Sur le riant coteau par le prince choisi,
S'élevait le moulin du meunier Sans-Souci.
Le vendeur de farine avait pour habitude
D'y vivre au jour le jour, exempt d'inquiétude;
Et de quelque côté que vînt souffler le vent,
Il y tournait son aile, et s'endormait content.
Fort bien achalandé, grâce à son caractère,
Le moulin prit le nom de son propriétaire;
Et des hameaux voisins, les filles, les garçons,
Allaient à Sans-Souci pour danser aux chansons.
Sans-souci... ce doux nom d'un agréable augure
Devait plaire aux amis des dogmes d'Epicure.
Frédéric le trouva conforme à ses projets,
Et du nom d'un moulin honora son palais.
Hélas! est-ce une loi sur notre pauvre terre
Que toujours deux voisins auront entre eux la guerre ;
Que la soif d'envahir et d'étendre ses droits
Tourmentera toujours les meuniers et les rois?
En cette occasion, le roi fut le moins sage;
Il lorgna du voisin le modeste héritage.

On avait fait des plans, fort beaux sur le papier,
Où le chétif enclos se perdait tout entier,
Il fallait sans cela renoncer à la vue,
Rétrécir les jardins et masquer l'avenue.

Des bâtiments royaux l'ordinaire intendant

Fit venir le meunier, et d'un ton important:

- Il nous faut ton moulin; que veux-tu qu'on t'en donne? Rien du tout; car j'entends ne le vendre à personne. Il vous faut, est fort bon mon moulin est à moi, Tout aussi bien, au moins, que la Prusse est au roi.

Allons, ton dernier mot, bon homme, et prends-y garde. Faut-il vous parler clair?-Oui.-C'est que je le garde : Voilà mon dernier mot. Ce refus effronté

Avec un grand scandale au prince est raconté,
Il mande auprès de lui le meunier indocile,
Presse, flatte, promet; ce fut peine inutile,
Sans-Souci s'obstinait. Entendez la raison;
Sire, je ne peux pas vous vendre ma maison.

Mon vieux père y mourut, mon fils y vient de naître ; C'est mon Potsdam, à moi. Je suis tranchant peut-être; Ne l'êtes-vous jamais? Tenez, mille ducats,

Au bout de vos discours, ne me tenteraient pas,

BB

Il faut vous en passer, je l'ai dit, je persiste.
Les rois, malaisément, souffrent qu'on leur résiste,
Frédéric un moment par l'humeur emporté :

Vraiment, de ton moulin c'est bien être entêté;
Je suis bon de vouloir t'engager à le vendre!
Sais-tu que sans payer je pourrais bien le prendre?
Je suis le maître.-Vous!. . . . de prendre mon moulin?
Oui, si nous n'avions pas des juges à Berlin.

Le monarque, à ce mot, revient de son caprice.
Charmé que sous son règne on crût à la justice,
Il rit, et se tournant vers quelques courtisans:

Ma foi, messieurs, je crois qu'il faut changer nos plans.
Voisin, garde ton bien, j'aime fort ta réplique,
Qu'aurait-on fait de mieux dans une république ?
Le plus sûr est pourtant de ne pas s'y fier;
Ce même Frédéric, juste envers un meunier,
Se permit mainte fois telle autre fantaisie;
Témoin ce certain jour qu'il prit la Silésie;
Qu'à peine sur le trône, avide de lauriers,
Épris du vain renom qui séduit les guerriers,
Il mit l'Europe en feu. Ce sont là jeux de prince;
On respecte un moulin, on vole une province.

Andrieux.

Ex. 247.

L'Enfance du Poëte.

Pourquoi devant mes yeux revenez-vous sans cesse,

O jours de mon enfance et de mon allégresse?

Qui donc toujours vous rouvre en nos cœurs presque éteints,
O lumineuse fleur des souvenirs lointains?

Oh! que j'étais heureux! oh! que j'étais candide!
En classe, un banc de chêne, usé, lustré, splendide,
Une table, un pupitre, un lourd encrier noir,
Une lampe, humble sœur de l'étoile du soir,
M'accueillaient gravement et doucement; mon maître,
Comme je vous l'ai dit souvent, était un prêtre
A l'accent calme et bon, au regard réchauffant,
Naïf comme un savant, malin comme un enfant,
Qui m'embrassait, disant, car un éloge excite :

Quoiqu'il n'ait que neuf ans, il explique Tacite.
Puis, près d'Eugène, esprit qu'hélas Dieu submergea,
Je travaillais dans l'ombre,-et je songeais déjà
Tandis que j'écrivais;-sans peur, mais sans système,
Versant le barbarisme à grands flots sur le thème,

Inventant aux auteurs des sens inattendus.

Le dos courbé, le front touchant presque au Gradus,
Je croyais, car toujours l'esprit de l'enfant veille,
Ouïr confusément, tout près de mon oreille,
Les mots grecs et latins, bavards et familiers,
Barbouillés d'encre, et gais comme des écoliers,
Chuchoter, comme font les oiseaux dans une aire,
Entre les noirs feuillets du lourd dictionnaire;
Bruits plus doux que le bruit d'un essaim qui s'enfuit,
Souffles plus étouffés qu'un soupir de la nuit,

Qui faisaient par instants, sous les fermoirs de cuivre,
Frissonner vaguement les pages du vieux livre!
Le devoir fait, légers comme de jeunes daims,
Nous fuyions, à travers les immenses jardins,
Éclatant à la fois en cent propos contraires.
Moi, d'un pas inégal, je suivais mes grands frères;
Et les astres sereins s'allumaient dans les cieux,
Et les mouches volaient dans l'air silencieux,

Et le doux rossignol, chantant dans l'ombre obscure,
Enseignait la musique à toute la nature;
Tandis, qu'enfant jaseur, aux gestes étourdis,
Jetant partout mes yeux ingénus et hardis,
D'où jaillissait la joie en vives étincelles,
Je portais sous mon bras, noués par trois ficelles,
Horace et les festins, Virgile et les forêts,
Tout l'Olympe, Thésée, Hercule, et toi, Cérès,
La cruelle Junon, Lerne et l'hydre enflammée,
Et le vaste lion de la roche Némée.

Victor Hugo.

Ex. 248.

Les Hirondelles.

Captif au rivage du Maure,
Un guerrier, courbé sous ses fers,
Disait: Je vous revois encore,
Oiseaux ennemis des hivers,
Hirondelles, que l'espérance
Suit jusqu'en ces brûlants climats,
Sans doute vous quittez la France:
De mon pays ne me parlez-vous pas ?
Depuis trois ans je vous conjure
De m'apporter un souvenir
Du vallon où ma vie obscure
Se berçait d'un doux avenir.

Au détour d'une eau qui chemine
A flots purs, sous de frais lilas,
Vous avez vu notre chaumine:
De ce vallon ne me parlez-vous pas?
L'une de vous peut-être est née
Au toit où j'ai reçu le jour;
Là, d'une mère infortunée
Vous avez dû plaindre l'amour.
Mourante, elle croit à toute heure
Entendre le bruit de mes pas;
Elle écoute, et puis elle pleure.
De son amour ne me parlez-vous pas?
Ma sœur est-elle mariée?
Avez-vous vu de nos garçons
La foule, aux noces conviée,
La célébrer dans leurs chansons?
Et ces compagnons du jeune âge
Qui m'ont suivi dans les combats,
Ont-ils revu tous le village?

De tant d'amis ne me parlez-vous pas ?
Sur leurs corps l'étranger, peut-être,

Du vallon reprend le chemin ;

Sous mon chaume il commande en maître;

De ma sœur il trouble l'hymen.

Pour moi plus de mère qui prie,

Et partout des fers ici-bas.

Hirondelles de ma patrie,

De ses malheurs ne me parlez-vous pas ?

Béranger.

Ex. 249.

La Mort de Jeanne d'Arc.

A qui réserve-t-on ces apprêts meurtriers?
Pour qui ces torches qu'on excite?

L'airain sacré tremble et s'agite.

D'où vient ce bruit lugubre? où courent ces guerriers,
Dont la foule à longs flots roule et se précipite?
La joie éclate sur leurs traits,

Sans doute l'honneur les enflamme;
Ils vont pour un assaut former leurs rangs épais;
Non, ces guerriers sont des Anglais

Qui vont voir mourir une femme.

Qu'ils sont nobles dans leur courroux!

Qu'il est beau d'insulter au bras couvert d'entraves!
La voyant sans défense, ils s'écriaient ces braves:

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