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contemporains d'un Miniftre des plus illuftres que la France ait eu dans le dernier fiécle, difoient de lui quelque cho fe d'approchant.

Quand nous fommes dans un de ces réduits ou plufieurs joueurs font affis autour de différentes tables, pourquoi un instinct fecret nous fait-il prendre place auprès des joueurs qui rifquent de plus groffes fommes, bien que leur jeu ne foit pas auffi digne de curiofité que celui qui fe joue fur les autres tables? Quel attrait nous ramene auprès d'eux, quand 'un mouvement de curiofité nous a fait aller voir ce que la fortune décidoit fur les théâtres voisins? C'eft que l'émotion des autres nous émeut nous-mêmes, & ceux qui jouent gros jeu nous émeuvent davantage, parce qu'eux-mêmes ils font plus émus.

Enfin il eft facile de concevoir comment les imitations que la Peinture & la Poëfie nous préfentent, font capables de nous émouvoir, quand on fait réflexion qu'une coquille, une fleur, une médaille où le tems n'a laiffé que des phantômes de lettres & de figures, excitent des paffions ardentes & inquiétes: le défir de les voir, & l'envie de

les pofféder. Une grande paffion allu mée par le plus petit objet, eft un événement ordinaire. Rien n'eft furprenant dans nos paffions qu'une longue durée.

SECTION V.

Que Platon ne bannit les Poëtes de Ja Re publique, qu'à caufe de l'impreffion trop grande que leurs imitations peuvent faire.

L'IMPRESSION ́ que

PRESSION que les imitations

font fur nous en certaines circonstances paroît même fi forte, & par conféquent fi dangereufe à Platon, qu'elle eft caufe de la réfolution qu'il prend de ne point fouffrir l'imitation Poëtique, ou la Poëfie proprement dite, dans cette Répu blique idéale dont il regle la conftitution avec tant de plaifir. Il craint que les peintures & les imitations qui font l'effence de la Poëfie, ne faffent trop d'effet fur l'imagination de fon peuple favori, qu'il fe repréfentoit avec la conception auffi vive & d'un naturel auffi fenfible que les Grecs fes compatriotes. Les Poëtes, dit Platon, ne fe plaisent,

point à nous décrire la tranquillité de l'intérieur d'un homme fage, qui conferve toujours une égalité d'efprit à l'épreuve des peines & des plaifirs. Ils ne font pas fervir le talent de la fiction à nous peindre la fituation d'un homme qui fouffre avec conftance la perte d'un fils unique (a). Ils n'introduifent pas fur les théâtres des perfonnages qui fçachent faire taire les paffions devant la raison. Les Poëtes n'ont pas tort fur ce point. Un Stoïcien joueroit un rôle bien ennuieux dans une tragédie. Les Poëtes qui veulent nous émouvoir, c'eft Platon qui reprend la parole, préfentent des objets bien différens : ils introduisent dans leurs Poëmes des hommes livrés à des defirs violens, des hommes en proie à toutes les agitations des paffions, ou qui luttent du moins contre leurs fecouffes. En effet les Poëtes fçavent fi bien que c'est l'agitation d'un acteur qui nous fait prendre plaifir à l'entendre parler, qu'ils font difparoître les perfon nages dès qu'il eft décidé s'ils feront heureux ou malheureux, dès que leur deftinée eft fixée. Or, fuivant le fentiment de Platon, l'habitude de fe livrer

(4) De Rep. lib. 10. p. 604. Edit, Serrani,

aux paffions, même à ces paffions artificielles, que la Poëfie excite, affoiblit en nous l'empire de l'ame fpirituelle, & nous difpofe à nous laiffer aller aux mouvemens de nos appétits. C'est un dérangement de l'ordre que ce Philofophe voudroit établir dans les actions de l'homme qui, felon lui, doivent être reglées par fon intelligence, & non pas gouvernées par les appétits de l'ame fenfitive.

Platon (a) reproche encore un autre inconvénient à la Poëfie: c'eft que les Poëtes, enfe mettant auffi fouvent qu'ils le font à la place des hommes vicieux dont ils veulent exprimer les fentimens, contractent à la fin les mœurs vicieuses dont ils font tous les jours des imitations. Il est trop à craindre que leur efprit ne fe corrompe à force de s'entretenir des idées qui occupent les hommes corrompus. Frequens imitatio, a dit depuis Quintilien (b) en parlant des Comédiens, tranfit in mores.

Platon (c) appuie de fa propre expérience les raisonnemens qu'il fait fur les

(a) De Rep. lib. 3. p. 396.
(b) Inft. Or lib. 1.c. 11.
(4) De Rep,lib. 10.p. 60%.

mauvais effets de la Poëfie. Après avoir avoué que fouvent il s'eft trop laiffé féduire à fes charmes, il compare la peine qu'il fent à fe féparer d'Homere à la peine d'un amant forcé, après bien des combats, à quitter une maîtreffe qui prend trop d'empire fur lui. Il l'ap pelle ailleurs le Poëte par excellence & le premier de tous les inventeurs. Si Platon exclut les Poëtes de fa République, on voit bien qu'il ne les en exile que par la même raifon qui engage les Prédicateurs à prêcher contre les fpectacles, & qui faifoit chaffer d'Athenes ceux des citoyens qui plaifoient trop à leurs compatriotes.

Voilà les motifs qui font profcrire à Platon la partie de l'Art poëtique qui confifte à peindre & à imiter; car il confent à garder dans fa République la partie de cet Art qui enfeigne la conftruction du Vers & la compofition du Métre; c'eft la partie de l'Art qu'on nomme fouvent Verfification, & que nous appellerons quelquefois dans ces Réflexions la Mécanique de la Poëfie. Platon vante même affez cette partie de l'Art poëtique, laquelle fçait rendre un difcours plus pompeux & plus agréable

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