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ce n'est pas la neutralité, mais tout au contraire la restriction de cette neutralité, qu'il aurait voulu voir étendue à toute la Savoie. C'était évidemment une mesure préventive dirigée contre la France.

Pendant quarante-quatre ans, de 1815 à 1859, on n'eut jamais occasion d'appliquer les stipulations de neutralité de la Haute-Savoie. En 1859, on en tint fort peu compte; les troupes françaises et le matériel traversèrent impunément le territoire neutralisé, par la voie ferrée, de Culoz au torrent de Sierroz, près d'Aix-les-Bains.

Nous arrivons ainsi au traité du 24 mars 1860, dont l'article 2 est ainsi formulé: « Il est également entendu que S. M. le roi de Sardaigne ne peut transférer les parties neutralisées de la Savoie qu'aux conditions auxquelles il les possède lui-même, et qu'il appartiendra à S. M. l'empereur des Français de s'entendre à ce sujet tant avec les puissances représentées au Congrès de Vienne qu'avec la Confédération helvétique, et de leur donner les garanties qui résultent des stipulations rappelées au présent article. »

Quelles sont les conséquences de cet article? Les opinions sont divisées. A le prendre à la lettre, il semble bien qu'il ne soit que la confirmation du passé. Mais si on examine avec attention les précédents, si on se demande comment, pour qui, contre qui avait été stipulée la neutralité, on est forcé de reconnaître que ses raisons d'être n'existent plus. Évidemment le roi de Sardaigne ne pouvait céder la Savoie que dans les conditions auxquelles il la possédait lui-même. Il ne pouvait modifier à lui seul le traité du 20 novembre 1815. Mais dans l'intérêt de

qui cette neutralisation avait-elle été faite? Le roi de Sardaigne l'avait demandée avec instance au Congrès, on ne la lui a pas imposée, il la voulait pour la Savoie tout entière. Ses prétentions furent toujours combattues par M. de Talleyrand au nom de la France; et on arrival à une transaction, à la neutralité restreinte; c'est cette estriction que la Sardaigne dut subir avec regret. L'état exceptionnel de la neutralité de la Savoie était une sauvegarde pour la maison de Savoie à Turin contre les tendances de la France et de la Suisse. Elle n'avait tenu qu'au déplacement des princes au delà des Alpes, où étaient leurs moyens d'action; et d'où ils pouvaient défendre la Savoie.

Le roi de Sardaigne avait obtenu la faculté, en cas d'hostilites ouvertes ou imminentes, de faire passer ses troupes de Savoie sur le territoire neutre de la Suisse, afin qu'elles pussent regagner le Piémont par le Valais; c'était bien indiquer que le danger venait de la France. Et une fois la France en possession de la Savoie, ces dispositions n'ont plus de sens; la France aurait sur son propre territoire un privilège que lui aurait cédé la Sardaigne, et qui serait dirigé contre elle-mème; ce serait absurde (1). Elle n'en a besoin contre personne pour défendre et fortifier sa frontière.

Qui pourrait se prévaloir de ce privilège? (Car, encore une fois, ce n'est pas une situation imposée, mais sollicitée). Ce n'est pas l'Italie; elle a cédé son droit. — Se

1. Journal de Genève, mai 1860. Lord John Roussel, à la Chambre des communes, 29 juin 1860.

Brunet.

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rait-ce la Suisse? Le rôle qui lui était assigné par l'art. 8 du traité du 29 mars 1815 a été clairement résumé par M. Thouvenel dans sa dépêche du 17 mars 1861 au représentant français à Berne: « Cet arrangement avait pour but de couvrir une portion de la Savoie, et la Suisse, par son acquiescement, s'obligeait à en assurer l'exécution, en s'engageant d'une part, à livrer passage aux forces sardes pour rentrer en Piémont, et de l'autre à placer, au besoin, des troupes fédérales dans le pays neutralisé...

L'engagement accepté par la Confédération était le prix d'une cession de territoire faite au canton de Genève, comme la neutralisation éventuelle du Chablais et du Faucigny, une garantie stipulée au profit de la Sardaigne et la compensation d'un sacrifice. Cette neutralisation n'avait donc pas été principalement combinée en vue de protéger la frontière suisse, que sauvegarderait suffisamment une barrière infranchissable, c'est-à-dire la neutralité proclamée par l'accord des puissances; elle a été, au contraire, imposée comme une charge à la Suisse, qui l'a acceptée à titre onéreux. >>

Dans un traité de délimitation signé à Turin le 16 mars 1816, la Suisse reconnaissait et acceptait sans distinction ni réserve la neutralité de quelques parties de la Savoie « de même que si elles lui appartenaient. » Ces derniers mots ne pouvaient donner à la Suisse aucun droit politique ou d'immixtion sur les affaires de la Savoie durant la paix.

Les termes du traité de Vienne étaient formels. Cependant la Suisse alla jusqu'à prétendre vouloir s'an

nexer le versant méridional du Léman, le Chablais et le Faucigny, sous prétexte que l'acte final du congrès de Vienne avait neutralisé ces provinces au même titre qu'elle, et qu'il fallait le consentement de la diète fédérale pour changer l'état politique de ces provinces. On fut sur le point d'accéder à ces étranges prétentions. Mais en face du démembrement, des protestations indignées s'élevèrent dans toute la Savoie. Alors l'empereur déclara « que devant la répulsion de voir démembrer un pays qui a su se créer à travers les siècles une individualité glorieuse, et se donner ainsi une histoire nationale, il ne contraindrait pas au profit d'autrui le vœu des populations. >>

La France soumit néanmoins la question aux puissances représentées au congrès de Vienne. Les puissances se montrèrent peu disposées à intervenir, demeurèrent indifférentes. Elles considéraient cette neutralité comme surannée, sinon disparue.

La Suisse ne se tint pas pour battue. En 1883, au mois de novembre, des troupes françaises furent concentrées dans la zone prétendue neutralisée de la Savoie sur les confins du canton de Genève. En même temps on répandait le bruit que le gouvernement français faisait fortifier le Mont Vuache situé à 26 kilomètres au sud-ouest de Genève.

La presse s'empara de la question, le journal le Temps entre autres, considéré alors comme un organe officieux du ministère Ferry, démontra que la France avait le droit de fortifier cette zone. La Suisse s'émut; le 16 novembre le Conseil fédéral adressa à son ministre à Paris une dé

pêche dont copie devait être remise au ministre des af faires étrangères de France, et dans laquelle après avoir rappelé les textes des traités, il prétend que « la France est tenue comme l'était le roi de Sardaigne, de se conformer à l'art. précité du traité de 1815, que le Gouvernement français a déclaré solennellement, peu après la cession de la Savoie, qu'il acceptait la complète exécution de cette disposition. »> Nous ne voyons pas que la dépêche de M. Thouvenel du 17 mars 1861, qui contenait les explications de la France, soit une déclaration solennelle dans le sens du Gouvernement fédéral. Notre ministre dit au contraire que la neutralisation avait été imposée à la Suisse comme une charge, et au profit de la Sardaigne, qui en compensation avait cédé le territoire de douze communes au canton de Genève.

Aujourd'hui la France ne demande plus comme la Sardaigne à être protégée par la Suisse; si elle consent à laisser au canton de Genève le territoire qui était le prix de cette protection, la Suisse n'a pas à s'en plaindre, et le Gouvernement fédéral serait mal venu à réclamer de la France l'exécution d'une obligation dont lui seul est précisément tenu vis-à-vis de notre pays, mais dont on le dispense volontiers sans compensation.

Néanmoins notre ministre des affaires étrangères en 1883, M. Jules Ferry, crut devoir faire des déclarations satisfaisantes au ministre de Suisse ; et le Gouvernement fédéral crut opportun d'insister pour obtenir une réponse écrite. Le Gouvernement français ne s'y refusa point,et le 17 décembre, M. Arago remit au président de la Confédération la copie d'une dépêche de M. Jules Ferry, con

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