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L'ombre du peuplier ne bougeait pas d'un cil.
En extase, pendante et noire au bout d'un fil,
Le ventre en l'air, songeait une Parque araignée.
La terre se fendait au soleil indignée;

A peine si le bois inerte respirait.

Seul vivant dans ce monde ébloui sans arrêt,
Un grillon noir, au pied d'une lychnis roussie,
Attaquait le silence à coups de dents de scie.

L'enfant s'ennuie. Il a fait le tour du jardin.
Il a vu fuir au trot des biches, et soudain
Se percher, dans le fond bleuâtre d'une allée,
Une couple de paons à la queue étoilée.
Comme il eût caressé les merveilleux oiseaux!
Il est las de jouer même avec ses ciseaux.
Il a déjà coupé toutes sortes de choses;
S'étant piqué souvent à l'épine des roses,
Il en a déchiré plusieurs avec raison.
Il s'eşt mis à genoux au milieu du gazon
Pour attraper au vol les sveltes sauterelles.
L'insecte se laissait couper ses pattes grèles
Qu'il regardait sauter dans le creux de sa main.
Mais quoi, toujours seul! poids affreux pour un gamin.
Il commence à sentir la brûlante atmosphère.
Il rêve, un pouce au fond de la bouche. Que faire?

III.

Trouvaille! Il revient voir son maître. L'écolier,
C'est l'esprit entre tous volage et familier;

Ce moineau s'apprivoise à tout, viole, épie,
Raille, et puis tout à coup s'envole. Il est impie,
Crédule, effronté, leste, ailé, l'enfant, l'oiseau,
Ce chien de bec pointu, ce fripon de museau;
Ces deux petits démons ont la même frimousse.
Donc, notre chérubin s'approche sur la mousse.
Le monstre n'est pas bien terrible : la rumeur
Continue à sortir du gosier du dormeur.
Son chef blanc et chenu vacille et se dandine,
Et voici que l'enfant l'accompagne en sourdine
Et tout bas contrefait le magister, riant
D'avoir trouvé ce bruit tout à l'heure effrayant.
Et rien n'est plus plaisant à voir que cette lutte
Du lugubre basson et de la molle flûte.
Voilà l'espiègle en joie; et radieux, battant
La mesure, branlant ses boucles par instant;
Selon que le vieillard la redresse ou la penche,
La tête blonde mime et suit la tête blanche.
Puis, tout à coup comment démêler l'écheveau
De fils ténus brouillés en ce tendre cerveau?
L'enfant, la joue encore animée et vermeille
Et dont un soupir long et profond s'exhala,
Tombe en arrêt devant sa barbe.

En ce temps-là,

Toute la France, prince ou clerc, évêque ou comte,
Portait la barbe. Nul n'était glabre sans honte.

Tout homme se parait de tout son poil viril.
Qui volait, qui mentait, qui fuyait le péril,
Etait saisi, tondu, rasé : c'était l'usage.

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37

L'honneur ou le forfait se lisait au visage
Comme on lit à l'habit la caste ou la tribu.

Le sénéchal, étant prud'homme, était barbu
Et doublement faisait profession de sage.

Tout quidam saluait cette barbe au passage,

Et disait, du plus loin qu'il parût : « C'est Platon! »
Le bonhomme portait pour enseigne au menton
Cette candeur autour de sa bouche éloquente.
Elle frisait semblable à la feuille d'acanthe.
Et, comme une médaille achevée au burin,
Son visage, entouré d'un nuage serein,
Semblait le front d'un saint flottant sur l'auréole.
Cette barbe avait l'air de vivre sa parole.

Qui l'entendait parler, fût-ce un àne, à lui voir
Sur le sein doctement frémir et s'émouvoir
Ces beaux flocons pareils aux fils d'or des orfèvres,
Croyait qu'il lui tombait de la neige des lèvres.
Le marmot contemplait cette barbe, ébloui.

Un pêcheur qui verrait sous son toit de glui
Entrer, avec sa cour de pairs qui l'environne,
Un empereur portant le sceptre et la couronne;
Le moine en oraison devant qui, quelque soir,
Jésus-Christ jaillirait vivant de l'ostensoir
Sur un champ de vitrail flamboyant de topaze,
Seraient moins confondus, moins pénétrés d'extase
Que cet enfant devant cette barbe.

Un désir

Pour l'enfant, c'est un dieu. L'étreindre, le saisir,

Posséder son idole et jouir de sa proie,
C'est sa façon à lui d'aimer. Achille à Troie,
César en Gaule sont comme lui conquérants.
Ainsi, l'enfant ardent regarde, ouvrant tout grands
Ses yeux qui scintillaient d'un éclat d'escarboucle.
Ses ciseaux lui pendaient à l'index par la boucle,
Grands ouverts.

Le vieillard dormait, l'enfant songeait.

Un rayon de soleil illuminà d'un jet

La barbe qui brilla comme un fer à la forge.
L'enfant sentait son cœur lui sauter à la gorge.
Un souffle traversa les feuilles, fit frémir

Les poils; le vieillard cesse un instant de dormir,
Ouvre un œil où le rêve encore se devine.
Une cloche tintait à l'église voisine.

Le maître sur-le-champ se rassoupit.

IV.

Alors,

Avec des gestes lents, doux, calculés, le corps
En suspens, manoeuvrant du mouvement oblique
D'un sous-diacre qui veut atteindre une relique,
Approchant prudemment, sourdement, pas à pas,
Du dormeur entêté qui ne l'entendait pas,

L'enfant, qu'un démon pousse et que l'angoisse étouffe,
Saute à la barbe, attrape au hasard une touffe,
Tire et taille, tandis qu'avec une clameur
Dont le marmot resta stupéfait, le dormeur

Se réveille et bondit sur ses deux pieds, terrible.

V.

Combat épique! Lutte à décrire impossible!
Comme un berger volant des petits d'émouchet
Au faîte d'un vieux orme où leur nid se perchait,
Le père furieux fond du ciel à leur aide,

Il s'attaque au pillard qui, nouveau Ganymède,
Livre bataille en l'air et résiste éperdu;
Ainsi, le sénéchal vous ramasse le drôle,
L'empoigne, et l'enlevant à hauteur de l'épaule,
Il vous le corrigeait, brossait, battait, rossait;
Et le brigand riposte et devient on ne sait

Quel petit singe affreux qui mord, griffe, égratigne,
Et s'échappant du bras sec comme un nœud de vigne
Dont l'autre l'étreint, grimpe à coups de reins nerveux,
Fait des mains et des pieds, tire barbe et cheveux.
L'air s'ouate du poil candide qu'il arrache
Comme filandre au mois d'octobre. Et le vieux crache,
Souffle, tousse, regimbe, et l'on lui voit plier
La nuque sous le poids du petit cavalier
Qui lui griffe la joue à coups d'ongles rebelles.
Ah! la pédagogie en entendit de belles!
Dès que le philosophe épuisé, vaincu, las,
Put se débarrasser du drôle et jeter bas
Le gamin qui roula sur les genoux à terre,
Et qu'il sentit un peu ralenti dans l'artère
De sa gorge le sang dont son cœur suffoquait,
Alors le précepteur, à travers son hoquet,

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