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actes d'une pièce bien faite, pour contribuer à cette impression. Des tableaux ne vont pas sans portraits, et donc on trouve de nombreux portraits dans l'œuvre de M. de Broglie. Et de même qu'il y a des antithèses dans les tableaux, il y a des parallèles dans les portraits.

Si nous sourions de ces artifices, ce n'est pas que nous y soyons insensibles, ni que nous ne nous laissions pas gagner par l'intérêt, par l'émotion même, que, maniés avec goût et avec sincérité, ils sont de nature à créer; c'est que nous y reconnaissons des procédés dont on a depuis beaucoup usé avec moins de bonheur. C'est de l'art, pardonnez-moi, Messieurs, c'est de l'art académique, reconnaissable à sa composition ordonnée et à sa noblesse de ton...; c'est même peut-être autre chose. A une époque, vers 1888, où je résidais à Rome, le duc de Broglie y vint en visite avec son frère, et celui-ci, que j'ai beaucoup aimé, me demanda de les conduire tous deux au Palatin. Par une claire après-midi d'hiver nous parcourûmes pas à pas les ruines du palais de Septime Sévère et des Flaviens. Je donnais de mon mieux les identifications proposées par les archéo·logues, à l'abbé qui m'interrompait pour m'interroger sur le Pentateuque, et au duc, silencieux, songeur, distrait de la traditionnelle distraction des Broglie. Nous arrivâmes ainsi aux terrasses de la maison des Césars, d'où le regard plonge sur le Forum, sur ce vaste champ où, fûts de colonnes, amorces de murs, pavés de basiliques et de voies, toute l'activité éclate des fouilles de ces derniers temps. Le duc s'arrêta, surpris, et se

tournant vers moi : « Il y a cinquante ans, me ditil, rien de tout cela n'était découvert; un pâturage s'étendait sur l'emplacement de ces ruines, et de voir des troupeaux qui paissaient aux pieds de la tribune où Cicéron avait parlé... » Il hésita, puis, souriant, il finit sa phrase: «...... Cela prètait à la rhétorique », ajouta-t-il.

Retenons ce mot comme l'indication d'un penchant qui fut celui de la jeunesse de M. de Broglie, et que sa mère avait pressenti pour le lui dénoncer. Reconnaissons que le style de M. de Broglie avait le défaut d'être oratoire, plus oratoire que son éloquence, et ne cherchons pas là son originalité.

Nous ne la chercherons pas davantage dans. cette manière d'écrire l'histoire, que, faute d'un terme meilleur, nous serions tenté d'appeler aristocratique. Sans prétendre contredire la maxime: l'homme s'agite, mais Dieu le mène, on est en droit de penser que Dieu se repose aussi sur cette agitation qui est proprement le cours des choses. Or, dans ce cours des choses humaines, une fois la part faite des imprévus, il ne reste, pour expliquer l'évolution, que deux facteurs les moeurs, c'est-à-dire l'humanité anonyme, et, d'autre part, l'action supérieure de certains hommes. Cette humanité anonyme ne serait-elle pas véritablement le chemin qui marche? Ne serait-ce pas dans sa masse mouvante que les idées et les passions se propagent comme des ondes sonores? Ne serait-ce pas, en dernière analyse, l'impulsion ou la réceptivité propre à chacune des unités qui la composent, qui crée les courants contraires et

finalement la puissante poussée qui nous entraîne? Des historiens comme Taine nous ont appris ce que nous devons à ces causes impersonnelles qui sont la race, le milieu, le moment, et des romanciers de génie comme l'auteur de la Guerre et la Paix nous ont intéressé à la collaboration des masses. Si nous avions à raconter la conversion de l'Empire romain au christianisme, au temps de Constantin, et l'intolérance finale du temps de Théodose, nous serions porté à les étudier de préférence dans les faits où se manifeste l'évolution du sentiment général. « Les gouvernements, a dit très justement M. de Broglie, sont composés d'hommes, ils sont faits de chair et d'esprit, et ne peuvent tarder à être gagnés par l'ardeur qui circule dans l'atmosphère ».

M. de Broglie préférait chercher dans le caractère et dans la pensée de quelques hommes privilégiés l'énergie motrice de leur temps; il concevait l'Empire et les affaires impériales comme gouvernées par des influences personnelles. Des hommes comme Constantin ou Théodose, comme saint Athanase ou saint Basile, semblaient avoir eu à ses yeux une même hégémonie morale. La part de son œuvre historique que M. de Broglie paraît avoir préférée est celle où s'exagère davantage cette prépondérance attribuée sur la conduite de toutes les affaires contemporaines à la très haute personnalité de saint Ambroise.

Sans doute, Messieurs, l'oeuvre de M. de Broglie y gagnait en animation : des détails, négligeables pour d'autres, prenaient avec lui un saisissant relief. Il n'était plus indifférent, en effet, que l'in

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fortuné empereur Valentinien, périssant à vingt ans dans une tragédie obscure et pitoyable comme celle où nous avons vu périr un roi de Bavière, eût dans l'angoisse de ses derniers jours appelé Ambroise à son aide. Il n'était plus indifférent que l'empereur Constantin, rentrant un jour à Constantinople, eût vu surgir dans l'ombre de la porte, droit devant lui, un homme qui, mettant la main sur la bride de son cheval, demandait justice, et que cet homme fût saint Athanase. Car l'évêque de Milan, comme l'évêque d'Alexandrie, aux yeux de M. de Broglie, étaient représentatifs de la catholicité autant pour le moins que Constantin ou Valentinien l'étaient de l'Empire: un geste suffisait à traduire une situation.

Sentez-vous en même temps, Messieurs, comme cette méthode concrète exprimait l'intense vie de l'histoire et mieux encore sa moralité? Il n'est pas un seul des personnages de premier plan, en qui M. de Broglie incarne la vie de l'Eglise ou de l'Empire, qui n'ait une âme passionnée ou délibérante, et dont l'historien ne s'applique à noter les mouvements ou les raisons. Cette préoccupation morale nous a valu le très beau portrait de Constantin tracé par M. de Broglie, et peut-être son chef-d'œuvre en ce genre historique. Lorsque, plus tard, M. Duruy entreprit de construire un Constantin tout autre, une sorte de déiste sournois qui aurait, sans renier le paganisme, dupé le christianisme par des formules équivoques, on vit mieux la solidité du portrait peint par le duc de Broglie, et comment, uniquement fait des données que fournissent les textes, il était

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peut-être plus inattendu et plus heurté, mais en réalité plus humain. Constantin s'était converti au seuil du pont Milvius, comme Clovis à Tolbiac; c'étaient des âmes plus religieuses que n'en avaient, sans doute, rencontré M. Duruy à la cour de Napoléon III ou que son stoïcisme n'était capable de les comprendre.

Cependant, Messieurs, si historique que soit cette psychologie de Constantin, M. de Broglie est amené à reconnaître que l'œuvre dépasse l'ouvrier « Entre les résultats de son règne et son mérite personnel, il n'y a point la proportion ordinaire de la cause et de l'effet. » Ce disant, M. de Broglie confesse que pareilles oeuvres ne s'expliquent point par l'action d'un protagoniste, mais aussi, sinon plus, par l'intervention continue du chœur, et qu'en définitive la conceptien aristocratique de l'histoire n'est qu'un aspect, le plus vivant, le plus moral, le plus brillant, d'une réalité autrement profonde.

Messieurs, la véritable nouveauté, la véritable force de l'œuvre historique de M. de Broglie, peut-être conviendra-t-il de la signaler dans l'intime union qu'il sut mettre entre deux histoires, d'ordinaire ombrageusement distinctes, l'histoire religieuse et l'histoire politique. L'esprit classique aime à séparer ces deux domaines et l'esprit théologique pareillement, le premier par peur de se compromettre dans des questions confessionnelles, le second par peur de donner à penser que l'intérêt de ces questions n'est pas souverain. En réalité, l'histoire n'admet ces catégories que comme des méthodes de travail; la vie d'une ci

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