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modèles. Les sculpteurs cultivaient l'art pour l'art, sans intérêt personnel puisqu'ils se sont à peine fait connaître et savaient tout le prix de la proportion et de l'harmonie. Ils pensaient qu'une œuvre est belle toujours quand elle est créée pour un but déterminé, et intuitivement, naturellement, ils pétrissaient de grâce et de force la matière lorsqu'ils voulaient donner aux idées abstraites la forme sensible de statues que nous admirons sous les porches des cathédrales ou dans les salles de nos musées. Pour ne parler que du Midi, vous connaissez tous, Messieurs, les beaux spécimens de sculpture de Saint-Nazaire de Carcassonne?

Devant ces statues, dont l'expression d'art aide mieux que tous les commentaires à la résurrection d'une époque disparue, le plaisir des yeux se fait tour à tour rêve ou pensée. Nous sommes presque au seuil du quatorzième siècle qui emprunte à son prédécesseur la forme éminemment classique des longs vêtements et donne à sa sculpture un mouvement de vie qui s'accentuera, cent ans plus tard, avec les belles statues de Rieux de votre musée.

L'architecture a gravi au treizième siècle des sommets que les âges suivants n'ont jamais atteints. Ses principes, basés sur la logique, le bon sens, la droiture d'esprit, ne dérobaient point, dans une construction, l'unité de l'ensemble sous la profusion des détails. Ils conciliaient, au contraire, avec les exigences du goût le plus délicat, les caprices d'une fantaisie que faisait voler, ramper ou courir le long des lignes d'architecture une faune décorative, tandis que a flore

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agreste embrassait le pourtour des chapiteaux. Les grands architectes de ce temps furent de grands poètes : l'on est frappé de la beauté indéfinissable des édifices qu'ils nous ont laissés, et l'on comprend la suprématie française sur l'Europe d'alors, suprématie aussi grande que celle que l'Athènes de Périclès fit reconnaître autour d'elle. Toutes les nations nous demandèrent des maîtres-des-œuvres pour faire monter comme des prières vers le ciel ces magnifiques cathédrales où s'affirme le sentiment chrétien dans ses espérances les plus hautes. En Orient, nos chevaliers croisés, d'une main tenaient la croix, de l'autre bâtissaient des forteresses, élevaient des églises que les Musulmans ont saccagées depuis débris superbes, témoins muets des gloires d'antan, se dressent comme les titres imprescriptibles du pouvoir et de l'influence qui nous appartint si longtemps 'dans les contrées d'outre-mer.

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Ce n'est pas seulement par ses artistes que la France dominait les pays voisins, c'était aussi par ses célèbres Universités, par ses trouvères, ses troubadours dont Dante Alighieri se reconnaît le disciple. Les chansons de gestes, héroïques épopées guerrières, les fabliaux, les romances. amoureuses, les mordantes sirventes, toutes ces formes surgissant à la fois du sein de notre littérature en sa fleur, jetèrent sur la poésie nationale le plus vif éclat.

Notre prééminence ne dura d'ailleurs que le temps, très limité, pendant lequel notre style devint commun aux nations qu'il avait unies par un lien d'école. Dans la suite, l'influence

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française se transforma au contact des techniques indigènes, ou plutôt les étrangers modifièrent notre conception d'art lorsqu'ils eurent secoué une tutelle toujours gênante pour l'amour-propre. La tradition ogivale continua sans doute à les guider pour créer des œuvres d'une personnalité telle qu'ils n'eurent plus rien à emprunter à la source où ils avaient puisé; mais ces œuvres touffues, riches, et d'une richesse sans mesure, ne sauraient égaler la sobriété noble et le goût parfait des productions de l'art français durant le quatorzième et le quinzième siècles. Toulouse en conserve quelques vestiges dont la vision, éphémère mais charmante, frappe le touriste qui passe sans s'arrêter pour aller droit aux monuments de votre Renaissance.

L'archéologie a retrouvé dans les archives des documents irréfutables en faveur de notre vitalité artistique au seizième siècle. Sans elle, on continuerait à écrire l'histoire de l'art français. comme on l'avait fait depuis la Renaissance. Il y a quatre-vingts ans encore, il était de convention courante, sur la foi d'assertions qu'on ne s'était pas donné la peine de contrôler, que notre pays, précédé par l'Italie dans l'imitation de l'Antique, avait vu s'accomplir chez lui, brusquement, une révolution d'art nouveau sous la haute direction de maîtres italiens. A lire Vasari et ses compilateurs, la France avait sommeillé depuis la chute. de l'Empire romain, table rase était faite de notre civilisation médiévale jusqu'à l'arrivée des Renaissants d'au-delà les monts à la suite de nos rois. Or, il est maintenant prouvé que cette intro

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duction du style antique fut moins une révolution qu'une évolution de nos artistes nationaux vers des tendances qui régénéraient la face de l'art. Loin d'accepter la servilité de l'imitation, les Français plièrent avec tant d'habileté l'art nouveau à ce qu'ils exigeaient de lui, ils l'approprièrent si heureusement aux nécessités du climat et des mœurs, qu'en peu de temps il atteignit chez nous son apogée. La prodigieuse faculté d'assimilation de la race permit à nos artistes d'être d'admirables interprètes de la Renaissance, sans toutefois renier dans leurs œuvres les traditions et la technique qui avaient fait si longtemps à l'étranger le renom de leur patrie. Toulouse, avec sa pléiade d'hommes de talent, les Bachelier en tête, participa à ce grand mouvement qui nous a légué des. monuments, honneur et décor de la cité palladienne. Tous, nous les connaissons, ces beaux monuments, tous, nous les admirons par un privilège bien spécial à Toulouse, où la compréhension des choses d'art n'appartient pas seulement à une élite, mais à des éléments empruntés à tous les degrés de l'échelle sociale et réunis par la seule attraction du sentiment artistique. C'est d'ailleurs un plaisir pour l'esprit, un régal pour les yeux de constater l'étonnante variété des oeuvres sorties des mains de vos peintres et de vos sculpteurs dont la fécondité ne se lasse point. Grâce à eux, la France conserve, en dépit des orages politiques et des secousses menaçantes de l'émancipation humaine, la source, jamais tarie, de l'inspiration et du génie.

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Je me souviens qu'il y a quelques années, ren trant de Grèce et ayant parcouru la Provence parfumée, je compris, en arrivant dans le pays toulousain, toute la force du principe qui veut que la nature et le climat influent sur les milieux. Il fallait l'azur lumineux de votre ciel, Messieurs, et la variété de vos sites pour nourrir la vive propension des Toulousains vers les travaux des arts et de l'esprit qui sont comme l'apanage des intelligences de choix. Les sept troubadours de 1323 n'auraient trouvé nulle part un cadre mieux approprié à leur réunion de la « gaie science. » Enfin, votre sol antique pouvait seul fournir à Clémence Isaure l'argile rare dont elle façonna le vase aux formes harmonieuses où, depuis plus de cinq siècles, les poètes viennent tour à tour verser le vin odorant des rèves.

Jelons des roses dans ce vin,

nous dit Ronsard :

Dans ce vin jetons des roses,

Et beuvons l'un et l'autre afin
Qu'au cœur tristesses encloses
Prennent, en beuvant, quelque fin!

Veuillez, Messieurs, pardonner à mon penchant pour l'archéologie les pensées que je viens d'exprimer. Elles sont inopportunes. J'aurais dû, je le sens, ne vous parler en ce jour que de ma reconnaissance. Elle remplit d'autant plus mon cœur que je me croyais peu appelé à partager vos travaux et à juger dans vos concours les jeunes poètes qui viennent, ayant puisé au trésor

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