1300.

Libertéz de

faires dont l'iffue lui feroit funefte, s'il ne donnoit à l'Eglife Romaine la Tofcane dont il prétendoit difpofer ; & il fit tout fon poffible pour lui faire rompre l'alliance qu'il avoit contratée avec la France.

Il s'emporta auffi contre Philippe Nogaret en- le Bel, & il tint de lui des difcours fi defobligeans, que l'Ambaffadeur Nogaret jugeant qu'il n'avoit pas intention de s'en tenir à de fimples paroles, prit hautement la défenfe de fon Maître, & donna à Boniface fur diverses actions de fa vie paffée, & fur fa conduite prefente, des avis qui pouvoient être regardez comme de veritables reproches. Le Pape furpris de la liberté de Nogaret, lui demanda s'il avoit ordre du Roi fon Maître de lui tenir de tels difcours, ou s'il loit de fon propre mouvement. Nogaret répondit, Qu'il ne craignoit pas que le Roi fon Maître defavonât tout ce qu'il venoit d'avancer ; mais que prévoyant les maux que devoit caufer l'bumeur du Pape, le zele qu'il avoit pour le repos de l'Eglife & pour l'honneur de la France, l'avoit porté à lui dire tout ce qu'il avoit cru capable de lui ouvrir les yeux fur le danger qu'il y avoit de

par

fe commettre mal à propos avec un Prince auffi inftruit de fes droits, & aussi jaloux de fa puiffance, que l'étoit le Roi

de France.

Ce difcours fit connoître au Pape qu'il devoit marcher doucement dans l'execution du deffein qu'il avoit pris de réduire les Puiffances temporelles fous la fienne, & que l'adreffe feroit un moyen plus propre pour y réuffir que la force ouverte. Il fongea donc à faire fortir de France Philippe le Bel & les Grands du Royaume, fans qu'on s'apperçût de l'artifice, afin que la France fe trouvant comme épuisée & vuide des forces qu'il redoutoit, il pût fans obftacle y établir fa domination à la faveur du Clergé & du peuple dont il n'avoit rien à craindre. Dans cette vûe il feignit de vouloir plus que jamais s'unir avec le Roi. Il preffa le Comte de Valois fon frere de paffer en Italie avec fon armée pour l'y amufer, fous prétexte d'y pacifier les troubles dont elle étoit agitée ; & il pria le Roi d'avancer les préparatifs neceffaires pour la Croifade à laquelle il le voyoit porté.

'Invention des Croifades

Rien n'étoit plus plausible & ne paroiffoit plus legitime, venant de la utile à l'avan

part du Pere commun de la Chrétien-
té;
té; rien en méme tems n'étoit plus
propre pour fatisfaire honnêtement
l'ambition de Boniface, & pour fe dé-
faire promptement de tous ceux qui
lui étoient incommodes, qu'une Croi,
fade qui devoit les éloigner de leur
pays, & les expofer à perir fans qu'il
s'en mêlât. Auffi les Historiens les plus
judicieux ont-ils remarqué que rien
n'a tant avancé la puiffance moderne
des Papes que l'invention de ces for-
tes de voyages d'outre-mer, entre-
pris fous l'étendart de la Croix pour
délivrer le tombeau du Sauveur, ou
détruire l'infidelité par le fer & par le
feu. Ces expeditions fe faisant fous
leur nom & par leur autorité, por-
toient le refpect & la foumiffion aux
Papes par tout où paffoient les armes
des Croifez. Les exemptions, les In-
dulgences & les Pardons que Rome
accordoit à ceux qui entreprenoient ces
voyages, ou qui contribuoient à leur
dépenfe, flattoient une infinité de
gens, & augmentoient l'idée que les
peuples avoient du pouvoir des Papes.
L'impofition qu'ils en faifoient pour
la penitence ou l'expiation des pechez,
& le commandement prefque abfolu

dont ils ufoient envers les Princes, pour les obliger à y aller en perfonne, fous prétexte d'une chofe fpirituelle qui s'entreprenoit pour le bien general de la Religion, & pour le falut particulier de leurs ames, fervoient auffi beaucoup à leur affujettir les efprits, ou à les retenir dans la dépen

dance.

1300.

X. L'Evêque de

Pamiers envoyé au Roy

Sa mauvaise

conduite. Son

Procès.

Boniface perfuadé par la bouche de l'Ambaffadeur de France, que Philippe le Bel avoit de la difpofition pour l'expedition d'outre-mer, voulut lui par le Pape. dépêcher l'Evêque de Pamiers pour hâter fon départ, & lui faire quitter fon Royaume, afin que profitant de fon abfence & de celle de la Nobleffe, il pût y faire telles entreprises, ou tels établissemens qu'il jugeroit à propos, fans y trouver d'oppofition. Cet Evêque étoit Bernard de Saiffet, connu à Rome dès le tems de faint Louis, fous le nom d'Abbé de faint Antonin de Pamiers. Il n'y avoit pas encore cinq ans que Boniface avoit Sponde, ad rendu cette ville Epifcopale, en la dé- ann. 1296. n. tachant de l'Evêché de Toulouse. Bernard qui en étoit déja le Seigneur temporel, en fut fait le premier Evêque, tant en reconnoiffance du zele qu'il

8.

avoit fait paroître pour le faint Siege, 1300. que parcequ'on avoit pris l'Eglife de faint Antonin pour en faire la Cathedrale, & que c'étoit fon Abbaye qu'on convertiffoit en Evêché, en confervant fes Chanoines Reguliers dans leur Regle. Cette création s'étant faite contre le gré de Philippe le Bel, ou fans fon confentement, le Pape pour l'appaiser avoit laiffé l'adminiftration de ce nouveau Diocese à faint Louis Evêque de Toulouse, petit-neveu du Roi faint Louis, afin d'ôter lieu de croire qu'on eût voulu dépouiller ce faint Evêque d'une partie de fon Evêché, & afin de donner le tems à Bernard de gagner les efprits de ceux qui ne l'aimoient pas. Après la mort de S. Louis de Touloufe, Bernard ayant trouvé diverfes difficultez à son établiffement de la part de la Nobleffe & de plufieurs perfonnes mécontentes de fa conduite, s'étoit retiré près du Pape, qui le trouvant d'une humeur allez femblable à la fienne, l'avoit retenu pour en faire le Miniftre de ses entreprifes fur la puiffance feculiere.

Le Pape favoit que cet homme ne pouvoit être agréable au Roi après les conteftations & les querelles qu'il avoit