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DE

L'ÉDUCATION RELIGIEUSE

DES

CLASSES MANUFACTURIÈRES EN ANGLETERRE.

Un des écrivains les plus originaux et les plus intraduisibles de l'Angleterre actuelle, M. Carlyle, disait, en parlant des classes pauvres de son pays : « Les classes parlantes parlent et discutent chacune pour elle-même, mais la grande classe muette et souterraine gît semblable à un Encelade qui, lorsqu'il se plaint dans sa douleur, produit des tremblemens de terre. » C'était un cri de ce géant malade, c'était un soubresaut de cet Encelade sur son lit de douleur, qui naguère encore secouaient l'Angleterre dans ses fondemens. Les révoltes qui avaient troublé et ensanglanté les grandes villes manufacturières ont été réprimées, mais les causes qui les avaient produites subsistent toujours; le transport s'est calmé, mais la fièvre continue sourdement son travail dans ce grand corps; le volcan a refermé son cratère, mais le feu souterrain gronde encore et se trahit de temps en temps par des jets soudains de fumée et d'étincelles. La leçon prophétique de l'an dernier n'a pas été oubliée; tous les hommes politiques de l'Angleterre comprennent aujourd'hui que le grand fait, le fait supérieur qui domine l'histoire contemporaine de leur pays, c'est l'apparition et pour ainsi dire l'éruption de cette classe nou

velle et chaque jour croissante issue du développement immodéré de l'industrie, sans traditions, sans souvenirs, sans foyer paternel, sans foi, sans loi. Aussi voyons-nous depuis quelque temps l'attention de la législature se diriger de ce côté d'une manière aussi constante que significative. Les deux chambres du parlement ont retenti du récit de la détresse des classes laborieuses; après les plaies matérielles, les plaies morales de la nation ont été exposées et mises à nu devant le monde, et l'Angleterre a vu avec effroi que de ces millions d'enfans, qui grandissaient chaque jour dans les foyers de l'industrie, la plus grande partie n'avait pas plus de Dieu que de pain. Il a bien fallu ouvrir les yeux à la lumière. Il y a à peine quatre ans, un ministre disait dans le parlement que, dans quatre villes seulement, plus de 80,000 enfans n'avaient aucune notion d'instruction ou d'éducation, et il ajoutait: Dans ces 80,000 enfans sans religion, si toutefois ce n'est pas une dérision de parler de religion à propos de créatures si ignorantes, vous pouvez voir les chartistes de la génération qui vient. >>

On l'a laissée imprudemment grandir, cette génération redoutable; c'est elle qui remplit aujourd'hui les villes, et il a fallu qu'elle prouvât sa présence par une explosion dont l'écho dure encore, pour que la législature songeât enfin sérieusement à conjurer le danger qui menace la société. Lord Ashley, qui, dans les questions qu'on est convenu d'appeler sociales, a pris depuis quelque temps dans son pays la plus honorable initiative, a appelé dernièrement l'attention de la chambre des communes sur l'état religieux et moral des enfans des manufactures, et a donné à ce sujet des détails pleins d'intérêt. En 1801, la population de l'Angleterre proprement dite, y compris le pays de Galles, était de 8,872,980 individus, et en 1841, elle était de 15,906,829, accusant une augmentation de plus de 8 millions en quarante ans. En portant à un cinquième de la population le nombre des individus susceptibles de recevoir une certaine éducation, on a le chiffre de 3,181,365. En déduisant de ce nombre un tiers, comprenant les enfans élevés aux frais de leurs familles, de plus 50,000 enfans entretenus dans les maisons des pauvres, et 10 p. 100 pour les absens, il reste encore 1,858,819 individus dont l'éducation est à la charge de l'état. Or, les tables de statistique montrent que le nombre des enfans élevés dans la communion de l'église établie est de 749,626, et celui des dissidens de 95,000. Il resterait donc encore 1,014,193 individus dénués de toute espèce d'instruction et d'éducation; et si l'on considère l'augmentation croissante qui doit s'effectuer dans la population, d'environ 2,500,000 individus tous les ans, on comprend quels nouveaux élémens de désordre doivent successivement s'amasser dans une société ainsi composée. C'est naturellement dans les grandes villes que l'état moral de la population présente le spectacle le plus alarmant. A Manchester, il est entré dans les prisons, en 1841, 13,345 individus, dont 3,069 avaient moins de vingt ans, et dont 745 étaient des femmes. Dans les six premiers mois de 1842, sur le chiffre de 8,341, il y avait 5,810 hommes et 2,531 femmcs. Mais comment,

disait lord Ashley, comment s'étonner que le crime abonde dans une ville où tout y pousse? On compte, à Manchester, 129 pawnbrokers (prêteurs sur gage), 1,267 cabarets, 695 maisons de prostitution, et 763 filles publiques dans les rues. Dans les autres grands centres de population, à Birmingham, à Leeds, on retrouve le même spectacle, et partout c'est la classe la plus jeune qui fournit au crime le plus fort contingent. On voit figurer dans les tables des enfans de sept et huit ans, et un très grand nombre au-dessous de quatorze ans. On peut lire dans un des rapports de la police: «< Il y a des cabarets avec des chambres où garçons et filles montent deux par deux; généralement, le commerce des sexes commence à quatorze ou quinze ans. Il y a des cabarets où on ne reçoit que des enfans. » Un autre rapport dit qu'on voit dans ces maisons des enfans de douze à quatorze ans qui amènent avec eux des filles du même âge. Dans les derniers troubles des districts manufacturiers, les garçons de quinze ans formaient la plus forte portion des insurgés. La ville de Sheffield ne fut préservée d'un incendie et d'un pillage organisés que par une révélation accidentelle. Une troupe considérable d'hommes et d'enfans se mit en marche pendant une nuit, et ne fut arrêtée dans son œuvre de destruction que par des mesures de défense prises sur le moment. On saisit sur ceux qui furent pris une grande quantité de chaussestrapes destinées à estropier les chevaux, des piques et des combustibles. Plusieurs d'entre eux s'étaient engagés à mettre le feu à leurs propres maisons pour commencer l'incendie général de la ville.

L'état de profonde ignorance des enfans et des jeunes gens est la cause première de cette démoralisation. On en voit, dans les interrogatoires, répondre que Ponce-Pilate et Goliath sont des apôtres. D'autres n'ont jamais entendu prononcer le nom de Jésus-Christ, ni celui de la reine, ni celui de Bonaparte, ni celui de Wellington; ils ne connaissent que les noms des bandits célèbres dont on a mis les aventures en roman, comme Dick Turpin et Jack Sheppard. D'autres répondent que Jésus-Christ était un berger, que Dieu a envoyé Adam et Ève sur la terre pour nous sauver, qu'ils n'ont jamais entendu parler de Dieu, et qu'ils ont seulement entendu dire god damn....; qu'ils ne savent ce que c'est que la France, ou l'Écosse, ou l'Irlande, ou l'Amérique.

Dans les districts à mines, la promiscuité des sexes et l'emploi des femmes pour les travaux les plus durs engendrent une dépravation effrayante. Les filles acquièrent toutes les habitudes des hommes, elles montent à cheval, boivent, jurent, sifflent, se battent, et se moquent du reste. « Les hommes et les garçons, dit un des inspecteurs, n'ont pour tout vêtement qu'un pantalon; les femmes et les filles n'ont qu'un jupon en lambeaux et une chemise ou、 verte, sans manches. » Le jeu et l'ivrognerie sont les vices les plus répandus dans ces classes; hommes, femmes et enfans, vont dans les cabarets pour jouer du gin; on a calculé que les classes ouvrières dépensent annuellement, plus de 25 millions sterling en liqueurs fortes (625 millions).

L'intempérance, dans les classes inférieures, mène presque toujours au crime, mais n'est-ce pas aussi l'ignorance et pour ainsi dire la barbarie de l'intelligence qui mène à l'intempérance? Ce qui serait dépensé par l'état pour l'éducation des classes pauvres ne serait-il pas épargné sur les frais nécessités par la répression des crimes? Il y a en Angleterre une disproportion honteuse entre le budget de la police et le budget de l'instruction publique, entre le chiffre des fonds appliqués à l'éducation du peuple et celui des fonds dépensés dans la poursuite et le châtiment des criminels. En 1841, le budget des prisons, des maisons de correction et de la police rurale, s'est élevé à la somme de 604,965 liv. st. ou 15 millions de francs, et la somme votée par le parlement pour l'éducation publique dans tout le royaume ne s'élève an-、 nuellement qu'à 30,000 liv. st. ou 750,000 francs. Il y a un des comtés de l'Angleterre, le Lancashire, qui, à lui seul, absorbe en frais criminels plus de 25,000 liv. st., c'est-à-dire une somme à peu près égale à celle du budget total de l'instruction publique.

Il est bien vrai que cette insuffisance des allocations faites par l'état est jusqu'à un certain point compensée, en Angleterre, par le produit des contributions volontaires, et que, en réalité, la somme annuelle votée par la législature n'est qu'une subvention accordée aux deux grandes sociétés organisées pour l'éducation des pauvres : la Société nationale et la Société anglaise et étrangère. Ce sont ces deux associations qui, en ce moment encore, dirigent et administrent l'instruction du peuple. Elles avaient d'abord été fondées sur le principe de l'égalité religieuse; mais, comme cela devait nécessairement arriver en Angleterre, où l'on ne connaît pas la neutralité en matière de religion, elles n'ont pas tardé à prendre couleur et à se ranger, la première sous la tutelle de l'église établie, la seconde sous le drapeau multicolore des sectes dissidentes. La Société nationale, placée sous la direction des évêques et des ministres anglicans, a donc pris un caractère exclusif, tandis que la Société anglaise et étrangère, à peu près abandonnée aux dissidens, restait ouverte à toutes les communions. On a voulu faire à cette dernière société un mérite de son libéralisme, mais il ne faudrait cependant pas oublier qu'en se dépouillant de tout caractère exclusif elle ne fait qu'agir selon le principe fondamental du dissent, qui est la liberté de conscience.

Quand on parle de l'Angleterre, il faut nécessairement parler de religion; toutes les questions qui sont agitées dans ce pays ne peuvent être qu'imparfaitement comprises si on ne les envisage pas sous ce point de vue, et, de toutes ces questions, il n'en est pas une qui soit plus immédiatement sous l'influence des considérations religieuses que celle de l'éducation. Tous les gouvernemens de l'Europe, instruits par les évènemens terribles qui ont marqué les soixante dernières années, ont dirigé leur attention vers l'instruction du peuple; on pourrait croire que l'Angleterre, où l'église règne avec l'état, a devancé sur ce point les autres pays il n'en est rien, et sir James Graham confessait lui-même la coupable négligence du gouvernement anglais à cet

égard: « Il est très triste pour nous, disait-il dans la chambre des communes, que l'Angleterre seule, l'Angleterre protestante et chrétienne, ait négligé, plus que toute autre nation civilisée de l'Europe, le devoir de diriger le peuple dans la voie où il doit marcher. Les derniers événemens qui se sont passés dans ce pays doivent être pour nous une leçon solennelle. »

Mais d'où provient cet état d'infériorité relative de l'Angleterre sur un point aussi grave? Sir James Graham ne le dit pas, et il ne pouvait pas le dire sans aborder un des problèmes les plus difficiles de la politique intérieure de l'Angleterre, celui des rapports de l'église avec l'état. La somme allouée par la législature à l'éducation du peuple signifie peu de chose en elle-même; la question n'est pas une question d'argent; il ne s'agit pas de savoir si le parlement votera un million ou vingt millions pour cet objet, mais bien de savoir par quelles mains et sous quelle direction religieuse et morale l'argent de l'état sera distribué et employé. Or, en Angleterre, l'église nationale, l'église établie, réclame le monopole exclusif de l'éducation religieuse donnée aux frais de l'état; elle conteste à l'état le droit et la faculté de rester neutre en matière de religion, et, à ses yeux, le gouvernement commet un acte d'impiété et d'apostasie en consacrant un seul denier public à la propagation de l'erreur. De leur côté, les dissidens refusent d'envoyer leurs enfans à des écoles où ils seraient instruits dans des doctrines qu'ils considèrent comme fausses, de sorte qu'entre ces prétentions de l'église et ces répugnances des sectes dissidentes, l'état moral et intellectuel de la population pauvre reste stationnaire.

Le gouvernement, le pouvoir séculier, a plusieurs fois tenté de secouer ce joug de l'église, mais sans y réussir. Il y a quatre ans, lord John Russell proposa aussi un plan d'éducation populaire. On sait qu'il n'y a pas en Angleterre, comme cela existe dans la plupart des autres pays, de département spécial de l'instruction publique. En ce qui concerne l'éducation du peuple ou l'instruction primaire, les fonds alloués par le gouvernement sont, comme nous l'avons déjà dit, partagés entre deux grandes sociétés qui recueillent aussi les contributions volontaires. Ces deux sociétés forment une espèce d'administration indépendante et sans contrôle sur laquelle le gouvernement n'exerce qu'une autorité très limitée. Lord John Russell proposait de constituer un comité spécial composé de cinq membres du cabinet et du conseil privé, et qui aurait été chargé de la surveillance générale de l'instruction primaire. Ce comité aurait nommé des inspecteurs chargés de faire des rapports sur l'état des écoles dans tout le royaume, et, de plus, il aurait eu la faculté d'accorder des subventions à d'autres écoles que celles qui étaient sous le patronage des deux sociétés.

Assurément rien n'était plus naturel et plus régulier que cette proposition. C'est un principe incontestable, que là où l'état applique une part des deniers publics, il a le droit de s'assurer que l'argent de la nation est employé judicieusement; mais quelque juste que fût cette prétention, elle avait le tort

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