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rection du nord-est; mais alors ce quartier s'éloignerait trop du port et de tous les établissemens publics ou particuliers, qui se groupent autour de lui et se rattachent au commerce maritime. Comme nous l'avons dit tout à l'heure, les maisons sont recouvertes d'une terrasse légèrement inclinée pour faciliter l'écoulement des eaux pluviales, que l'on recueille avec soin dans des citernes; cependant cette inclinaison n'empêche pas de s'y promener à l'aise; les enfans y jouent et les familles s'y réunissent souvent le soir. C'est du haut des terrasses qu'on se livre pendant les trois jours du carnaval à une lutte aquatique des plus divertissantes, au moins pour celui qui en sort vainqueur, c'est-à-dire pas trop mouillé, car il est difficile d'échapper complètement aux attaques des voisins et surtout des voisines. Ce jeu consiste à jeter de l'eau sur les passans et à se lancer d'un côté à l'autre de la rue, de bas en haut, de haut en bas, à travers et pardessus les terrasses, des œufs remplis d'eau et dont l'ouverture a été bouchée avec de la cire. Malheur à l'imprudent étranger que l'on n'a pas charitablement averti de cette singulière coutume! Plus sa toilette est recherchée, plus on sera heureux de le mouiller des pieds à la tête, et plus il sera hué s'il a le mauvais goût de se fâcher. Mouillé ne serait rien, s'il ne recevait dans les yeux ou dans le cou que cette légère aspersion d'eau de Cologne ou d'eau de rose, avec laquelle le salueraient les plus jolies mains et les plus charmans minois de la ville, tant à Montevideo qu'à Buenos-Ayres; mais quelquefois le liquide dont on l'inonde est équivoque, quelquefois une porte traîtresse s'ouvre inopinément à son passage, et, avant qu'il ait eu le temps de se reconnaître, la vigoureuse main de quelque grosse mulâtresse lui aura lancé avec force un seau d'eau qui l'aveuglera et mettra le dehors et le dedans de son costume dans l'état le plus déplorable et le plus risible, tandis que de la terrasse voisine une autre douche défoncera son chapeau, et que, pour compléter sa déroute, deux ou trois œufs, dirigés d'une main sûre, lui viendront éclater au beau milieu de la figure. Et l'assistance de rire, et le pauvre inondé de regagner sa maison à toutes jambes en riant aussi, car il n'a rien de mieux à faire. Qu'on ne croie pas que ce sont là des exagérations de voyageur; nous sommes plutôt resté au-dessous de la vérité dans cette peinture d'une folie qui est sans doute nécessaire aux nations civilisées, puisque c'est une espèce de vertige dont elles sont toutes atteintes au même instant et qui se manifeste selon les degrés de latitude par des symptômes différens. A Buenos-Ayres et à Montevideo, cette façon de célébrer le carnaval par une grande dépense

d'eau froide n'a guère d'inconvéniens au mois de février qui, par les 34 ou 35 degrés de latitude méridionale, répond à notre mois d'août. En vain les gouvernemens, quelque peu honteux de cette mode américaine, ont-ils essayé de la combattre; ils n'ont réussi tout au plus qu'à la régler et à réprimer les excès. Nous avons vu des soldats de police, envoyés en patrouille pour veiller à l'exécution des ordonnances, recevoir gravement les projectiles et les seaux d'eau qu'on leur lance d'autant plus commodément que leur marche est plus lente. Toutes les terrasses se couvrent de femmes et d'enfans armés de parapluies, et dont la toilette est à dessein très négligée pour engager le combat. Les domestiques s'en mêlent librement; ce sont des saturnales. Dans la rue, des hommes à cheval ou à pied, vêtus pour la circonstance, passent avec des paniers d'œufs qu'ils épuisent vite, et mettent leur gloire à passer au galop, sans être atteints, sous une grêle de projectiles qui vont salir les portes, les murailles et les trottoirs du côté opposé. Le général Rosas, gouverneur de Buenos-Ayres, prenait autrefois une part très active à ces jeux. On le voyait, il y a quelques années, parcourir la ville en costume qui ne sentait rien moins que l'étiquette, mouillant et mouillé, avec un entrain et une verve de jeune homme, et avec une de ces bonhomies à l'espagnole qui s'allient d'une façon étrange au plus terrible exercice d'un pouvoir sans bornes. Maintenant sa famille, qui aime beaucoup à se divertir, et dont les goûts naturels ne sont point gênés par des délicatesses d'emprunt, se livre avec une sorte de fureur à ces jeux du carnaval. Il l'y encourage, il applaudit de tout son cœur aux bons tours qu'elle a joués aux passans et aux voisins, et à l'énorme consommation d'œufs qu'elle a faite. Cela lui plaît, non seulement parce que cela lui plaît, mais parce que cela est du pays, parce que cela est populaire, américain et porteño. Quelque chose de plus raffiné, de moins bruyant, ne lui plairait pas au même degré. Chez cet homme singulier, l'instinct du pouvoir, le génie national et populaire se manifestent en tout; il serait à désirer pour sa gloire que ce ne fût pas quelquefois avec excès, et que ce fut toujours aussi innocent.

Nous voilà bien loin des terrasses de Montevideo, qui nous ont entraîné à parler des jeux du carnaval, parce que sur les deux rives de la Plata les terrasses des maisons remplissent dans ces jeux le principal role; mais aussi n'aurons-nous plus à y revenir. Nous sommes d'ailleurs bien sûr de réveiller plus d'un souvenir comique chez tous ceux de nos officiers de marine qui ont séjourné dans ces dernières

années, soit à Montevideo, soit à Buenos-Ayres, où la plupart d'entre eux étaient fort connus et avaient des relations qui rendaient ces plaisanteries plus piquantes.

Grace à ce mode de construction, c'est-à-dire aux terrasses plates qui couvrent toutes les maisons, l'aspect de Montevideo, comme celui de Buenos-Ayres, est assez gai. Il y a dans toutes les rues de l'air et du jour. Un grand nombre de ces terrasses sont entourées d'une balustrade à jour qui ne manque pas d'élégance, et les plus belles maisons ont de plus une espèce de belvédère appelée mirador, comme qui dirait regardeur, d'où la vue s'étend sur toute la ville, sur la campagne et sur la mer. C'est un panorama dont il est facile de se donner le luxe, et qui, avec les terrasses, est d'une grande ressource dans des pays où il y a peu de promenades, principalement à Montevideo. Dans cette dernière ville, un des miradores les plus élevés est celui de la veuve de l'ancien consul de France, M. Cavaillon, femme aimable, dont le gracieux accueil témoigne qu'elle est devenue toute Française. A Buenos-Ayres, le mirador de la maison du général Rosas est à la fois le plus élégant et le plus élevé. Ses couleurs tranchantes frappent la vue de très loin quand on arrive au mouillage, et c'est un des points qui, avec les clochers des églises, relèvent le mieux la monotonie d'un paysage sans grandeur et sans pittoresque.

Montevideo n'a d'ailleurs que fort peu d'édifices remarquables. L'église que l'on appelle de la Matriz est cependant d'un goût assez pur, grande et convenablement ornée, sans exagération. On y voit une sainte Vierge noire, au pied de laquelle les nègres viennent s'agenouiller de préférence. L'hospice est d'un aspect sévère, mais entièrement d'accord avec sa destination, et paraît bien tenu. Le fort ou palais du gouvernement est un édifice maussade et de l'extérieur le plus lourd; l'intérieur n'en vaut pas mieux. La grande salle de réception manque de grace et de majesté; elle est obscure et meublée pauvrement. La maison particulière du président de la république, le général Rivera, est beaucoup plus somptueuse. Quant au théâtre, il tombe en ruines, mais on en construit un nouveau.

L'immense accroissement que Montevideo a pris depuis quelques années a pour cause principale le blocus de Buenos-Ayres par la France. Mais l'impulsion était déjà donnée; le blocus a seulement accéléré un progrès qui est dans la nature des choses, et que Montevideo doit avant tout à sa situation. Cela est si vrai, que l'effet survit à la cause, et que le flot de l'émigration européenne, qui a tant fé

condé la Bande Orientale, continue à s'y porter presque exclusivement. Les Basques français et espagnols, les Canariens, les Sardes, les Galiciens, qui ne cessent d'y arriver, trouvent du travail dès qu'ils débarquent. Les Basques pavent la ville, construisent les maisons, font des chaussures et des habits, prennent de petites boutiques, se répandent dans les saladeros. Les Canariens cultivent les jardins des environs de la ville, et ont introduit un élément nouveau dans la nourriture des habitans de ces contrées, qui autrefois mangeaient encore plus de viande que maintenant. Les Sardes font le cabotage, travaillent dans le port et tiennent des cabarets. A cette population d'ouvriers, qui arrive par masses et qui vient chercher du travail à Montevideo, il faut ajouter un nombre sans cesse croissant d'industriels et de petits marchands que l'esprit d'aventure et l'espoir de faire fortune y pousse de préférence. Quand nous nous occuperons de Buenos-Ayres, nous parlerons encore de la population étrangère qui se multiplie sur les deux rives de la Plata. Cependant c'est à Montevideo que la basse classe de cette population entre pour une plus forte proportion dans la population générale, et à tel point que plusieurs personnages politiques du pays commencent à en manifester quelque inquiétude. Comme la plupart de ces étrangers trouvent de l'emploi dans la ville, il a déjà été question de prendre des mesures pour que les nouveaux arrivans se répandent dans la campagne; mais le gouvernement s'est montré plus libéral et plus éclairé. Il laisse faire, bien convaincu que cette émigration européenne enrichit le pays, multiplie ses ressources, donne à ses productions plus de valeur, et provoque un développement de commerce qui augmente d'une manière sensible les produits de la douane. En même temps, il a cherché à tirer parti des étrangers pour sa défense; il a cherché à les enrôler pour repousser l'invasion dont la Bande Orientale est menacée par le général Rosas et l'ancien président Oribe. Toutefois il s'est vu forcé de renoncer à son projet, tant par la résistance des agens étrangers que par la répugnance des émigrans eux-mêmes à prendre les armes pour une cause qui n'est pas la leur; car ces pauvres gens ne sont pas allés là pour se battre, mais pour vivre et faire fortune. Cependant les efforts même que le gouvernement de Montevideo fait pour engager les étrangers, et surtou les Basques, qui sont les plus nombreux, à prendre les armes, ont dû leur révéler leur force. Pour peu qu'ils se comptent, ils doivent voir qu'on ne les vexerait pas impunément, et qu'ils sont en état de se

faire respecter. Aussi, dans aucun cas, n'avons-nous d'inquiétude pour nos compatriotes.

Quelques personnes en France paraissent voir cette émigration basque avec déplaisir et voudraient que le gouvernement l'arrêtat, ne fût-ce que pour la diriger sur Alger. Nous ne saurions partager une pareille opinion. Il est possible que les bras deviennent un peu plus rares et le travail un peu plus cher dans certains arrondissemens des Landes et des Basses-Pyrénées; mais, avec la paix dont nous jouissons, ces vides se rempliront rapidement, et les quinze mille Français, plus ou moins (dont un grand nombre conserve l'esprit de retour), qui vont s'enrichir au dehors, valent mieux pour la France que s'ils restaient pauvres au dedans. Si à Montevideo ils réclament la protection de ses vaisseaux et peuvent lui occasionner de temps en temps quelques embarras, il n'en est pas moins vrai qu'ils ne cessent de lui appartenir, et paient sa protection en consommant au dehors des produits français qu'en France ils n'auraient jamais pu acheter. C'est une colonie qui ne coûte rien à la métropole. Quant à détourner l'émigration basque sur Alger, nous croyons qu'on n'y réussirait pas de si tôt, par la raison toute simple que les Basques ne trouveraient pas dans l'Algérie les immenses ressources que leur offre la Bande Orientale. Leur travail et leur industrie sont des marchandises qu'ils vont vendre sur le marché où ils en reçoivent le meilleur prix. Laissons la guerre accomplir son œuvre dans l'ALgérie; laissons nos braves soldats y déblayer le terrain, et la colonisation se fera ensuite d'elle-même, dès que le travail des colons y sera sûr et avantageusement rémunéré.

Les Basques établis à Montevideo restent fort unis entre eux. Déjà trop nombreux pour se perdre dans la masse de la population, ils ont leurs bals, leurs jeux de paume, leurs auberges tenues par des femmes de leur pays. Ils conservent aussi leur langue, qui ne ressemble à aucune autre, et, femmes et hommes, leur coiffure nationale. C'est plaisir de les voir le dimanche, si joyeux, si dispos et si propres, dans ces grandes et jolies maisons bâties par eux et pour eux sur la route du Miguelete, et de penser qu'ils sont destinés, selon toute apparence, à changer l'aspect de ces belles campagnes, comme ils ont déjà changé celui de la ville.

On sait que toutes les villes bâties par les Espagnols dans le Nou veau-Monde l'ont été sur un plan uniforme, qui ne peut mieux se comparer qu'à un échiquier, comme l'a fait remarquer un auteur

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