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LETTRES

SUR LA SESSION.

SITUATION ET DEVOIRS DU PARLEMENT.

Au Directeur de la Revue des Deux Mondes.

Depuis ma dernière lettre, monsieur, plusieurs évènemens ont marqué le cours de notre vie parlementaire : la loi des fonds secrets a été adoptée; la chambre des députés a rejeté successivement la loi du chemin de fer de la Teste, la proposition de M. Duvergier de Hauranne et celle de M. de Sade. Je me propose de rechercher la portée politique de ces différens votes et les devoirs qu'ils créent aux partis et aux hommes du parlement.

La discussion de la loi des fonds secrets a été féconde en surprises et en mécomptes. Elle a occupé trois journées, dont chacune a pris une physionomie distincte. La politique a eu sa trilogie, comme on dit à présent, et ce drame, pour n'être assaisonné ni de coups de poignards ni de poison, n'en a pas moins offert un curieux intérêt et vivement préoccupé les esprits. La scène se passait à la fois dans la salle des séances sous les yeux du public, et dans les couloirs sous la protection du huis-clos, et les incidens dérobés aux regards indiscrets de la presse n'étaient peut-être pas les moins piquans.

Je voudrais, sans trahir nos secrets intérieurs, vous retracer toutes ces péripéties. Si cette histoire rétrospective vous intéresse encore, suivez-moi par la pensée dans la chambre même, et reportons-nous à l'instant où s'ouvre la scène.

Presque tous les députés occupent leur poste : les malades ont quitté leur fauteuil; les blessés arrivent en boitant, les fonctionnaires ont obtenu un congé, ou plutôt un ordre de départ; les centres ont revu M. le marquis de Dalmatie, arraché par la piété filiale aux doux loisirs de la cour de Turin; on n'aperçoit presque aucun vide sur les bancs. La pairie occupe les places circulaires qu'une courtoise réciprocité lui a réservées dans notre enceinte. Le public se presse dans cette double rangée de tribunes, j'ai presque dit de loges, qui trahit notre besoin de représentation et de spectacle, et où la galanterie des questeurs assigne les premières places aux femmes, que nos voisins d'outre-Manche, moins chevaleresques, n'admettent pas même dans leur parlement.

Remarquez dans les diverses fractions les personnages considérables. M. de Lamartine a conservé, dans les régions neutres de l'extrême droite, le siége d'où on l'a vu, tour à tour adversaire ou défenseur des ministères, s'élancer à la tribune pour répandre sur l'assemblée les richesses de sa magnifique et capricieuse parole. MM. Dufaure et Passy, plus unis par les évènemens que par les opinions, semblent, non loin de M. de Lamartine, se concerter sur la lutte qui va s'engager. M. Berryer, assis à droite, auprès du banc des ministres, converse amicalement avec M. Villemain. Nous ne les entendons point; cependant je gage que nulle aigreur n'altère l'urbanité de leur spirituelle causerie. A l'autre extrémité, sur les bancs inférieurs de la gauche, M. Barrot semble contenir, par la gravité de son maintien et le calme de son attitude, les ardeurs parfois trop juvéniles de ses amis. M. Thiers, au centre gauche, captive ses voisins par la grace de sa conversation; les préoccupations des affaires et les soucis de la vie publique y disparaissent sous l'attrayante liberté d'un esprit toujours facile, piquant et aimable. A égale distance de M. Barrot et de M. Thiers, M. Dupin s'abandonne à sa verve caustique et la laisse éclater en bons mots; il compare le ministère, depuis l'adresse, à un lièvre atteint par le plomb du chasseur et qui n'a plus qu'à mourir dans le taillis. Au banc, des ministres, M. Duchatel, le statisticien du cabinet, étudie et annote une liste de députés; M. Guizot, dont le génie appartient à la tribune et l'habileté pratique à la stratégie parlementaire, interrompt sa méditation pour prodiguer à ses amis les sourires et les poignées de main; il interroge d'un œil inquiet les bancs du centre, écrit aux absens, fait appeler ceux qui s'oublient dans les couloirs, et concerte avec ses lieutenans le plan de la bataille. Pendant ce temps, une agitation moins. contenue règne dans la salle des conférences. Tout y révèle une situation critique; les députés ordinairement les plus solitaires se mêlent aux groupes et prennent part aux conversations; on s'interroge sur ses espérances, sur

ses craintes. On dresse des calculs statistiques; on s'épie, on se suit du regard; quelques visages rayonnans trahissent les promesses reçues; d'autres, consternés, révèlent les situations compromises; les opinions se mêlent, les alliances se dénouent, les antipathies s'effacent, au moins pour un instant; c'est un pêle-mêle général.

Le premier jour de la discussion a commencé; il est destiné à l'exposition. Il va nous faire connaître les combinaisons des partis, les chances de l'avenir, le lendemain qui suivrait la chute du ministère. Nous n'avons besoin d'écouter ni M. Ledru-Rollin, dont le discours est commandé par sa situation, et qui, par un étrange effet, irrite les centres en attaquant M. Molé, tandis qu'il les laisse indifférens aux coups qu'il porte à M. Guizot, ni M. de Gasparin qui, dès son premier début oratoire, a déployé, avec un talent réel, des opinions tellement vives et absolues, qu'on sait d'avance tout ce qu'il va dire. Mais voici venir M. Desmousseaux de Givré, et je suis bien trompé s'il ne force pas ses adversaires à se mettre sur le terrain de la défensive. Écoutez bien : il n'a pas prononcé trois phrases, et déjà M. Passy l'interrompt, M. Dufaure demande la parole. Les deux honorables membres jouent un rôle essentiel; après avoir soutenu le cabinet, ils s'en sont séparés, et cette position spéciale, jointe à la juste considération qui les entoure, les a fait considérer comme le lien naturel d'une administration nouvelle, qui réunirait les deux centres dans une combinaison commune. Leur langage va préparer le dénouement et commencer l'action; aussi la chambre tout entière se tait, attentive à leurs paroles. M. Passy est debout à son banc, et, sans autre préambule, se déclare impossible comme ministre, en raison de ses opinions sur le droit de visite. C'est une verte leçon donnée au cabinet, qui a conservé le pouvoir, bien qu'il partageât les mêmes opinions, mais elle le sert puissamment aussi regardez M. Guizot, son visage radieux trabit une joie inattendue; le voilà, sans aucun effort, délivré d'un de ses plus dangereux concurrens. Cependant M. Dufaure va parler à son tour: chacun s'attend à une vigoureuse attaque contre le cabinet; l'opposition espère un appui, les dissidens du parti ministériel comptent sur une profession de foi politique qui pourra devenir le programme d'un cabinet nouveau et le drapeau de sa majorité. Vaine attente! M. Dufaure se prononce contre le cabinet, mais sa modération lui interdit d'expliquer ses dissentimens par les erreurs d'une politique qu'une longue indulgence l'autoriserait à juger avec sévérité. Il insiste avant tout sur le refus de la réforme électorale, dont il se déclare le partisan, et qu'il veut mettre à l'ordre du jour dès à présent, bien qu'il en ajourne l'application à trois ans. M. Guizot, en habile tacticien, le remplace à la tribune, abuse des ménagemens de l'honorable membre pour les traduire en approbations, développe sur la réforme et le progrès un de ces lieux communs qu'il sait si bien rajeunir par l'éclat du langage, et, malgré une vigoureuse réplique de M. Du. faure, laisse le parti conservateur convaincu qu'auprès de M. Passy démissionnaire, il ne trouvera qu'un inflexible ami de la réforme, qui approuve le

ministère tout en s'en séparant, et n'entrerait au pouvoir que pour inaugurer de dangereuses théories. Ainsi finit la première journée; l'exposition n'est pas complète; cependant le dénouement, s'il reste encore incertain, peut déjà se pressentir.

L'attaque contre le ministère doit occuper le lendemain; l'action va s'engager; tous les personnages sont en présence, et la scène promet un puissant intérêt. Reprenons notre poste. L'aspect général de l'assemblée a déjà subi un changement : l'assurance a reparu sur les bancs du centre; ceux de la gauche laissent percer un certain découragement. Cependant le débat, s'il est pressant, animé, s'il ne s'égare point, peut relever l'opposition et jeter de nouveau le trouble dans les rangs ministériels. Les premiers coups sont portés par M. de Tocqueville; mais dans son discours l'écrivain se montre bien plus que l'orateur, le publiciste que le lutteur politique. S'il fait réfléchir les esprits sérieux, il n'entraîne pas l'assemblée. Ce succès pourrait être réservé à M. de Lamartine; malheureusement, dès les premiers mots, il se place en dehors de la question qui se débat, et, dans une véhémente et hardie improvisation, il traduit toute la politique extérieure du gouvernement de juillet à la barre de l'assemblée, en finissant par cette audacieuse apostrophe : « Il faut que la France cesse d'être France, ou que vous cessiez de la gouverner! » Quel champ ouvert devant M. Guizot! M. Guizot doit une revanche à ses amis, car il n'a pas répondu au dernier discours de M. de Lamartine, à ce discours si brûlant qui a marqué son passage dans les rangs de l'opposition. M. Guizot se charge des deux réponses à la fois; il reprend tous les reproches accumulés par M. de Lamartine; généralisant la défense comme l'accusation, il se constitue le défenseur de la révolution de juillet, relève avec habileté les actes qui peuvent être défendus avec succès, et achève, au milieu des acclamations de la chambre, un de ses discours les mieux inspirés. De la question actuelle, pas un mot: il ne défend pas le cabinet du 29 octobre, il ne discute aucun des reproches qui le concernent directement, mais il a réfuté son adversaire et parlé éloquemment; en faut-il davantage à tant d'hommes qui ont plus d'imagination que de jugement, qui prennent le talent oratoire pour la logique, et placent les satisfactions de l'art audessus des froides raisons de la politique? L'action n'a donc pas été heureusement dirigée. Cependant tout n'est pas encore perdu; attendons le dé

nouement.

Il va s'accomplir dans la troisième journée; mais combien tout est changé ! La salle est à moitié vide; on entre et on sort; les chefs des diverses nuances de l'opposition paraissent déconcertés; ils s'abordent et se quittent pour se reprendre bientôt; pendant long-temps la tribune laisse l'assemblée inattentive. Dans les couloirs, dans ces salles de marbre qui servent de succursales à celle des séances, de refuge aux parleurs et de théâtre aux intrigues, les députés se réunissent en groupe selon leur parti, et semblent se consulter sur la marche à suivre. Je crains bien que le désordre ne soit dans le camp des

assaillans, et que l'armée ne manque de direction et de discipline. Il est encore possible de rem-ttre le feu aux batteries; mais où est le plan de la journée, où sont les généraux ? Les huissie:; ont annoncé que M. Billault est à la tribune, allons l'entendre; il n'a pas cédé au découragement général; toujours prêt, animé, incisif, il entend à merveille cette polémique qui n'oublie aucun sujet d'accusation, qui sait les grouper et en faire un corps. Il est chaleureux sans colère, complet sans prolixité, personnel sans injures. M. Duchâtel et M. Teste ont demandé la parole et se disposent à lui répondre; cependant à leur place se présente un de leurs amis, M. Janvier, esprit vif, preste et quelque peu mobile, qui a commencé par être du parti social avec M. de Lamartine, et qui appartient aujourd'hui au système du 29 octobre. Il a compris le péril et s'empresse de faire appel aux intérêts de parti, dernier, mais décisif argument des causes compromises. Les conservateurs iront-ils se décapiter en renversant M. Guizot? En quelles mains passera l'influence, s'ils la laissent échapper? A peine prend-il la défense du cabinet contre M. Billault, mais il a frappé juste et on l'a compris. Toutefois la question n'est pas encore résolue : on a parlé d'une scission dans le parti ministériel; si elle éclate au grand jour, le cabinet peut tomber. M. Billault avait sommé les dissidens de se produire, M. Janvier les désigne à son tour on dit qu'un discours foudroyant doit partir de leur sein. L'occasion serait belle, et il est des fortunes politiques qui se perdent en laissant échapper leur quart d'heure. Tout homme public a le sien, dont parfois dépend sa destinée entière. Quoi qu'il en soit, le discours ne sera pas prononcé. Cependant l'opinion qu'il devait défendre ne restera pas sans organe. Un homme de cœur et de talent, à qui pèserait le silence, M. de Carné, vient exprimer les honorables scrupules qui le séparent de l'ancienne majorité, et qui lui font désirer une combinaison nouvelle. S'il suffisait de quelques mots pleins de sincérité et de conviction, il déciderait de la situation; mais cette protestation n'est que le cri d'une conscience inquiète et ne suffit point pour ramener les opinions ébranlées par les paroles des uns et le silence des autres. La victoire du ministère est désormais assurée. M. Lacrosse a présenté l'amendement qui porte en soi une déclaration formelle, de défiance, il le soutient avec vigueur et fermeté. M. Odilon Barrot fait entendre quelques mots empreints de ce caractère de loyauté et d'élévation qui lui appartient entre tous; le cabinet lui répond avec plus de confiance que d'àpropos; un appui inattendu lui est prêté par M. Mauguin, qui a déjà plus d'une fois surpris le public et la chambre par ses allures étranges, et qui se livre à une de ces boutades qu'un homme d'esprit peut se permettre partout ailleurs qu'à la tribune. Sans convaincre personne, il fournit des argumens à ceux qui veulent soutenir le ministère tout en le poursuivant de leurs plaintes et de leurs défiances, et la chambre passe au vote au milieu d'une grande confusion. Le ministère obtient une majorité de 45 voix, réduite à 40 par la constatation de trois erreurs matérielles, et la séance est levée.

Tel est le résumé fidèle de cette discussion parlementaire. Après cela, les

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