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anglais. Elles se composent de carrés parfaits, qui ont une certaine étendue de côté, étendue plus ou moins grande selon les lieux, mais fixée une fois pour toutes dans chaque ville. Les rues sont droites et se coupent à angles droits. Ces carrés s'appellent manzana, ce qui veut dire pomme, nom singulier pour un carré. A Montevideo, ils ont cent vingt vares de côté, ce qui équivaut à cent quatre mètres. Il est impossible qu'avec une parcille disposition les maisons aient une profondeur égale. Celles qui occupent en longueur, depuis la façade sur la rue jusque dans l'intérieur de la manzana, un espace de soixante vares, sont dites avoir un fond complet et possèdent deux ou trois cours. Mais on conçoit aisément qu'il y a beaucoup de terrain perdu dans cette manière de bâtir. Si la première cour est entourée de constructions à un étage, il n'en est pas de même de la seconde, où quelques constructions légères et basses servent de cuisines, de magasins, d'écuries. Ces dépendances indispensables de toute grande maison se trouvent ainsi éparpillées, sans égard aux facilités du service, sur un espace quelquefois assez considérable, et que l'on pourrait, ce semble, utiliser autrement. Pourtant il ne vient à l'esprit de personne de convertir en jardin une de ces cours poudreuses et sales. Du haut des terrasses, l'œil ne plonge que dans un labyrinthe de petites cours, séparées par de mauvaises murailles, et sans autre verdure pour rafraîchir la vue que des pots de fleur ou quelques plantes grimpantes. Des arbres, il n'en faut pas chercher dans l'intérieur de la ville; au dehors, il n'y en a pas beaucoup plus. Rien qui ressemble à une promenade, rien qui rappelle les alamedas de l'Espagne, ou plutôt des romans espagnols et sur l'Espagne. Les trottoirs des rues y suppléent. C'est sur les trottoirs de celle du Porton, le long des boutiques ou dans les boutiques, que l'on peut passer en revue les élégantes de Montevideo. Pour nous, Parisiens ou provinciaux, cela ne nous dédommage que très imparfaitement du boulevard, des Tuileries, ou des gracieuses et fraîches promenades qui embellissent nos villes de province.

Les femmes de Montevideo ne sont point d'une beauté remarquable, mais il y a parmi elles un très grand nombre de jolies personnes. Elles s'habillent avec élégance et même avec luxe, suivent d'assez près les modes parisiennes, qui envahissent le monde, et n'ont rien conservé des modes de leurs mères, que nous avons peut-être tort de regretter. La seule coiffure originale que l'on rencontre dans les rues de Montevideo est celle des Basquaises, coiffure pleine de grace et de coquetterie. C'est un mouchoir de coton ou de soie à

couleurs tranchantes, noué sur le devant de la tête et posé obliquement. La mantille espagnole est tout-à-fait inconnue. Quelques femmes résistent au chapeau et s'en tiennent au voile posé immédiatement sur les cheveux, qui encadre fort agréablement la figure; mais le chapeau est adopté par le grand nombre. A défaut de costume national, la Montevidéenne se révèle, au milieu des Françaises, des Anglaises, des Allemandes, qui se coudoient sur les trottoirs, par une démarche dansante et par un balancement voluptueux des hanches qui n'est pas assez prononcé pour choquer. Dans la danse, et surtout dans la contredanse espagnole et dans la valse, cette légère particularité des mœurs locales ressort davantage. Le mouvement des bras est plus arrondi, le haut du corps est plus rejeté en arrière, tout l'ensemble est plus à l'effet, plus en scène que dans ces froides marches et contremarches qu'on appelle maintenant la contredanse française.

On ne sera pas étonné de ces graves observations sur la manière de danser des Montevidéennes, quand on saura que la danse est fort en faveur sur les deux rives de la Plata. La moindre réunion se transforme très vite en soirée dansante, au moyen d'un piano dont toutes les maisons sont pourvues. Bon gré, mal gré, il faut danser, et on ne tarde pas à y prendre assez de goût pour donner le branle au besoin. De converti on devient prosélyte. Un bal, toutes les fois qu'il n'est pas improvisé entre jeunes gens, doit commencer par un menuet sérieux, que dansent fort cérémonieusement, à deux ou à quatre, les personnages les plus distingués de la réunion. Au menuet sérieux ou liso, nous préférons le menuet appelé montonero sur les deux rives de la Plata, et consacré maintenant à Buenos-Ayres sous le nom de menuet fédéral. C'est une danse de la campagne, aux mouvemens vifs et passionnés, entremêlée de walse, et dans laquelle, à défaut de castagnettes, les danseurs s'accompagnent par un claquement de doigts. Le menuet montonero prête beaucoup au développement des graces physiques de ceux qui le dansent. Aussi dégénère-t-il quelquefois, à certains momens, et même dans la meilleure compagnie, en hardiesses d'expression sur lesquelles il faut fermer les yeux.

Nous n'avons rien à dire sur le costume des hommes. La redingote, l'éternel habit noir, à basques plus ou moins larges, et le chapeau de soie, font le tour du monde. Il n'y a pas jusqu'au manteau espagnol, qui commence à perdre du terrain, et céder la place au disgracieux, mais commode paletot.

Il résulte de tout ceci que Montevideo n'a point de physionomie

propre, rien d'original, rien de grandiose, rien de fortement prononcé. C'est une ruche cosmopolite où chaque abeille fait son miel, le plus vite possible. Tous les grands ports de commerce maritime en sont à peu près au même point, et il faut que les amateurs de l'imprévu en prennent leur parti, surtout dans l'Amérique du Sud. Valparaiso, qui a fait tant de progrès depuis dix ans, et qui attire de plus en plus le commerce de l'Océan Pacifique, est, comme Montevideo, une ville entièrement européenne. L'originalité des caractères, des costumes, des idées, se réfugie dans les campagnes et dans l'intérieur des continens. Chuquisaca, Quito, Bogota, doivent avoir gardė plus d'habitudes espagnoles et américaines que Valparaiso, Montevideo et Buenos-Ayres. Ce qui contribue d'ailleurs à priver Montevideo de physionomie, c'est que la nature y est terne, commune et mesquine. Une côte plate, peu de végétation, pas de montagnes, sauf une colline appelée le Cerro, qui est en face de Montevideo, de l'autre côté de la baie; une mer bourbeuse, le peu d'arbres qu'on voit d'un feuillage pauvre, rien n'est moins pittoresque, et pourtant cela n'est point sévère, comme le sont nos côtes de Bretagne, si belles dans leur sauvage âpreté. Mais on est dédommagé par un accueil aimable et facile; toutes les maisons vous ouvrent leurs portes, tous les salons vous tendent les bras sans étiquette, sans exagération de promesses, sans engagemens pour le lendemain. Cet accueil est naturel et vrai, dans la mesure du sentiment auquel il se rapporte, et dont il faut savoir comprendre la portée. En un mot, on est naturellement sociable. Venez causer, nous causerons; venez danser, nous danserons; venez chanter ou toucher du piano, vous nous ferez grand plaisir. Dirons-nous qu'il ne faudrait pas en demander davantage, parce qu'on ne le trouverait pas? Ce serait peutêtre vrai; mais à quoi bon le dire? Souvenons-nous d'ailleurs qu'on nous fait le même reproche, à nous, Français, et qu'on nous le fait depuis long-temps. Jean-Jacques Rousseau arrivant à Paris est frappé d'une certaine facilité à promettre et d'une fâcheuse négligence à tenir, qu'il dénonce en termes charmans, et, chose rare chez lui, sans trop d'humeur. Il concluait peut-être en cela du particulier au général, avec une légèreté que nous ne voulons pas imiter en parlant de l'accueil qu'on fait aux étrangers sur les deux rives de la Plata. Nous serons d'autant plus réservé à ce sujet que nous connaissons plusieurs exemples tout-à-fait contraires au principe qu'on nous croirait tenté d'établir, et, quand même nous n'en connaîtrions pas, nous aimerions mieux encore supposer que les

TOME II.

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étrangers eux-mêmes se contentent de cet aimable accueil, de cette facile introduction dans la société américaine, sans appuyer et sans chercher autre chose.

Montevideo présente l'apparence d'un mouvement intellectuel assez actif. On y publie deux grands journaux politiques, entre lesquels il existe une nuance assez tranchée pour alimenter la discussion, et qui donnent quelquefois de bons articles. On y traduit souvent des poésies françaises, quoique sans discernement, et l'on en imite beaucoup d'autres. Mais, quand on essaie de voler de ses propres ailes, on est bien moins heureux, soit en prose, soit en vers. Ce n'est cependant pas l'imagination qui fait défaut : c'est le goût, c'est l'étude, c'est le travail; car on sent que les jeunes littérateurs de Montevideo se livrent trop à des caprices faciles et vulgaires qui ne sont pas même rachetés par le mérite de l'originalité.

Au reste, quand nous parlons du mouvement intellectuel de Montevideo, quels qu'en soient les défauts, nous ne les attribuons pas exclusivement au théâtre sur lequel il se manifeste. Nous n'ignorons pas que les émigrés de Buenos-Ayres y prennent une grande part, la plus grande peut-être et la plus distinguée. Il n'y a point encore de génie littéraire sur les rives de la Plata; mais s'il existe quelque jour une littérature argentine, ce qui est fort douteux, il faudra un microscope pour distinguer le caractère local dans les œuvres littéraires auxquelles Buenos-Ayres ou Montevideo pourront donner le jour.

Dans l'état actuel des choses, le sommeil de l'esprit humain est moins profond à Montevideo qu'à Buenos-Ayres; voilà tout ce que nous avons voulu dire. Non-seulement le gouvernement de Montevideo n'est pas hostile par système à l'instruction, aux lettres et aux arts, mais il fait profession du contraire; il favorise, autant qu'il est en lui et que les circonstances lui permettent de s'en occuper, toutes les branches de l'enseignement public; il honore la culture de l'esprit, il provoque et récompense ses efforts; enfin, il marche dans la voie, et il parle le langage de tous les gouvernemens civilisés. Mais ce qu'il fait n'est rien; c'est surtout pour son influence indirecte que nous rendons cet hommage au gouvernement de Montevideo, et nous le lui rendons par contraste avec ce que nous avons à dire sur ce point du gouvernement de Buenos-Ayres. Aussi, pour nous faire comprendre, faut-il que nous présentions avec plus de détails le tableau de l'état politique et social des deux pays.

Entrez à Buenos-Ayres; tous les hommes que vous rencontrez, excepté les étrangers, portent à la boutonnière un large ruban rouge

sur lequel est imprimé le portrait du général Rosas, et au-dessous de ce portrait une légende plus ou moins longue, mais où figurent à coup sûr ces paroles: Meurent les unitaires! Même ruban rouge et même légende au chapeau. La plupart des hommes complètent par un gilet rouge ces témoignages extérieurs de leur adhésion au système fédéral. Les femmes, depuis la plus misérable négresse jusqu'à la plus élégante créole, portent sur la tête, dans les cheveux ou sur le chapeau, un noeud rouge, appelé moño; et malheur à celle qui l'aurait oublié! Voici un portrait qui passe! C'est celui du gouverneur. On l'a prêté pour orner une salle de bal ou pour figurer dans quelque cérémonie politique; il vient de la maison du gouverneur ou bien il y retourne. Ce portrait, tout le monde le salue au passage, on se découvre à sa vue. L'étranger à qui cela ne conviendrait pas ferait bien de rentrer chez lui ou de prendre un autre chemin que le cortège. Pendant la nuit, le sereno qui passe sous vos fenêtres, avant d'annoncer l'heure qu'il est et le temps qu'il fait, crie: Vive la fédération! meurent les unitaires! Lisez régulièrement, ou essayez de lire les deux journaux qui se publient à Buenos-Ayres en langue espagnole. Pendant quinze jours, pendant un mois de suite, ils seront de la plus complète insignifiance; vous n'y trouverez pas un mot, pas un fait, pas une réflexion, rien qui ait trait aux affaires du pays et qui indique que ces journaux sont ceux de Buenos-Ayres. Cependant vous retrouverez encore l'inévitable cri de mort contre les unitaires en tête de certaines annonces, ou celle d'une représentation au théâtre dans laquelle un unitaire sera égorgé par un fédéral sous les yeux du public. Mais enfin, après un silence plus ou moins long, le gouvernement aura jugé à propos de publier quelques nouvelles de la guerre. Alors que fait-il? Il entasse pêle-mêle dans un numéro de la Gazette, sans ordre de dates, sans ordre de lieux, les bulletins et les rapports de ses généraux, des lettres d'officiers à leurs familles, des correspondances saisies à l'ennemi, les lettres et les adresses de félicitation des gouverneurs de provinces ou des corporations au général Rosas, les réponses de celui-ci, des vers, des acrostiches ridicules ou atroces, et sur chaque évènement des réflexions du journaliste dans un style ignoble, bas et ampoulé. Une autre fois, on publiera le compte-rendu des séances de la junte (c'est ainsi qu'on appelle la chambre des représentans de la province); mais ce sera six mois après leur date. Et qu'y trouvera-t-on? Jamais l'apparence d'une discussion sérieuse; les plus dégoûtantes flatteries prodiguées sans mesure et sans terme au général Rosas,

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