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des discours qui ne respirent que la soif du sang; jamais l'ombre d'une pensée généreuse, d'un sentiment élevé, d'une idée politique. Nous n'en accusons pas les hommes: quelques-uns valent mieux, dit-on, que le langage qu'ils tiennent; d'autres gardent le silence, qui parleraient, s'ils l'osaient, pour protester contre la dégradation de leur pays; mais la même terreur pèse sur tous, et, sous l'influence constante de la même pensée, tout à Buenos-Ayres reculerait à grands pas vers la barbarie, si les relations nécessairement entretenues avec le reste du monde par un commerce actif et par une nombreuse population étrangère n'arrêtaient ce progrès à rebours d'une société que l'Europe avait crue appelée à un meilleur sort. Il y a tel de ces documens officiels, imprimés dans la Gazette de Buenos-Ayres par ordre du gouvernement, qui rappelle à s'y méprendre les lettres des Couthon, des Carrier, des plus vils et des plus féroces agens de la terreur révolutionnaire.

Nous compléterons ce tableau quand nous traiterons plus spécialement de Buenos-Ayres, et nous avons bien des traits à y ajouter. Tel qu'il est, il suffit pour faire juger de l'état intellectuel d'une société mise à un pareil régime, et pour expliquer, ce qui était notre but, comment le gouvernement de Montevideo, avec des défauts immenses, paraît un prodige de lumières, de civilisation et de libéralité, comparé à celui de Buenos-Ayres. A Montevideo, les journaux sont pauvrement rédigés; ils sont déclamatoires; ils immolent sans cesse la vérité à l'esprit de parti; au lieu de raconter simplement ce qui se passe à Buenos-Ayres, ils inventent des mélodrames absurdes qui font hausser les épaules ou soulèvent le cœur à tout homme de bon sens et de bon goût. Mais encore y trouve-t-on, à travers leurs déclamations et leurs mensonges, des sentimens, des idées et un langage, qui sont en harmonie avec les habitudes, les instincts et les vœux de notre époque. Aucun des documens officiels qui émanent du gouvernement oriental n'est rédigé dans ce style brutal, ignoble et cynique qui caractérise les documens de même nature publiés sur la rive opposée. Les deux chambres, qui jouissent à Montevideo. d'une certaine liberté, y discutent des affaires en termes convenables, et, sans s'élever à une grande hauteur, ne laissent pas d'honorer l'administration qu'elles soutiennent et le pays qu'elles représentent. L'existence de la justice civile, de la justice criminelle et de la justice politique se manifeste à Montevideo par les institutions et les faits qui la révèlent chez tous les peuples civilisés. On n'y impose point aux ministres de la religion des obligations politiques contraires à

leur caractère; on n'y donne point à l'action de la religion elle-même sur les esprits une direction détestable et impie; on n'y accoutume point toutes les oreilles à n'entendre, toutes les bouches à ne proférer que des cris de mort contre des ennemis vaincus, écrasés et dépouillės; enfin, on n'y a point érigé en système politique l'abrutissement et la dégradation de tout un peuple par la destruction des sentimens, des idées, des institutions et des garanties qui assurent et embellissent l'existence des sociétés humaines, qui les honorent et les élèvent à leurs propres yeux et aux yeux des autres nations. En un mot, et pour généraliser davantage notre observation, nous dirons qu'à Buenos-Ayres on se croit souvent en dehors de la civilisation moderne, tandis qu'à Montevideo on se sent toujours sous son influence. A Buenos-Ayres, l'esprit du gouvernement lui est hostile; à Montevideo, il lui est favorable. Et, quant au résultat pratique, ce sont les circonstances seules qui font qu'à Buenos-Ayres son action est moins nuisible, et à Montevideo moins utile qu'on ne pourrait le craindre ou l'espérer.

Les observations que nous venons de présenter sur l'état intellectuel et social de Buenos-Ayres et de Montevideo seront peut-être regardées comme trop sévères pour l'une et trop flatteuses pour l'autre de ces deux villes. Nous ne les croyons que justes, mais nous devons ajouter qu'il ne faudrait en tirer aucune conclusion favorable ou contraire au génie respectif des deux populations. On se tromperait également, si l'on en concluait qu'à Montevideo les vrais principes de la liberté sont sainement compris et religieusement respectés. Le gouvernement actuel de la République Orientale est, comme la plupart de ceux de l'Amérique espagnole, un gouvernement de fait, produit d'une guerre civile, et qui a de nombreux ennemis. Ces ennemis, qui appartiennent en général à la classe riche et élevée du pays, il ne les inquiète pas, il ne les persécute pas, il ne confisque pas leurs biens, et ce sera son éternel honneur. Mais il ne leur permettrait assurément pas de l'attaquer par la presse, de se réunir, de parler contre lui. Ainsi, le nombreux parti de l'ex-président Oribe n'a d'organes ni dans les journaux ni dans les chambres. Il existe, il intrigue, il espère, mais il ne se montre pas. Si le général Oribe ressaisit le pouvoir, le parti contraire s'effacera de la même manière, jusqu'à ce qu'une nouvelle révolution s'opère à son profit. Les dissentimens politiques ne se manifestent donc point par l'existence d'une opposition, mais par la guerre civile actuelle ou toujours imminente. Les pays qui en sont là ne sont pas encore sortis de la

période révolutionnaire pour entrer dans celle de la liberté constitutionnelle. Peu importent le nom et la forme extérieure de leur gouvernement. République ou monarchie, c'est tout un. Ils ne sont pas libres. De tous les états indépendans qui se sont formés dans l'immense étendue de l'Amérique espagnole, le Venezuela, l'Èquateur et le Chili, ce dernier surtout, sont les seuls qui aient un peu affermi leurs institutions et qui marchent avec honneur dans des voies régulières et sages. Si nous n'ajoutons pas à cette courte liste le nom de la république orientale de l'Uruguay, c'est que nous considérons toujours ce pays comme en état de guerre civile, et parce que son gouvernement n'a qu'une existence précaire et sans cesse menacée, et il faut plutôt en accuser les circonstances extérieures que les intentions et le caractère de l'administration elle-même ou l'esprit de la population.

La République Orientale est gouvernée depuis la fin de l'année 1838 par le général D. Fructuoso Rivera, militaire heureux, homme habile et politique rusé, esprit fécond en ressources, chef débonnaire et de mœurs faciles, mais administrateur insouciant de la fortune publique, qu'il dilapide et laisse impunément dilapider. Ambitieux et remuant, le général Rivera semble n'aimer du pouvoir que ses jouissances vulgaires; il travaille peu, il n'éprouve pas les besoins des grandes ames; il n'a ni les qualités ni les défauts des grands caractères; il est sceptique dans l'exercice de la puissance, et, bien qu'on lui suppose des projets dont la réalisation honorerait sa mémoire, toute sa conduite semble mesquine, parce que l'intrigue est l'ame de sa politique. Entre Rivera et Rosas, il y a, si magna licet componere parvis, la différence de Richelieu à Mazarin.

Depuis son avènement au pouvoir, le général Rivera s'est réservé la direction de la guerre et des relations extérieures, principalement avec les provinces de la République Argentine qui se sont séparées du gouvernement actuel de Buenos-Ayres, et avec les dissidens de la province brésilienne de Rio-Grande; mais, trop ami du plaisir, il s'est tenu long-temps sur la défensive et dans l'inaction, n'entretenant autour de son quartier-général qu'un fantôme d'armée, tandis que les armées du général Rosas, obéissant à une impulsion énergique et soutenue, écrasaient successivement les forces de l'insurrection dans toute l'étendue de la confédération argentine sur la rive droite du Parana. Aussi, quand le général Lavalle eut été vaincu à Tucuman, et le général La Madrid à Mendoza, en septembre 1841, la Bande Orientale n'avait-elle pas d'armée pour repousser une inva

sion qui paraissait imminente. La victoire éclatante que remporta le général Paz dans la province de Corrientes sur les troupes d'Echague, lieutenant et allié de Rosas, a sauvé alors Montevideo, et donné aux événemens une direction nouvelle. Rivera s'est réveillé de son assoupissement, a réuni à la hâte une armée qui néanmoins ne pouvait pas inspirer une grande confiance, et s'est préparé à profiter de l'avantage inattendu que la victoire de Paz avait momentanément donné à sa cause personnelle et à celle des Argentins armés contre Rosas. Mais alors il a tout compromis par ses prétentions, par les exigences de son amour-propre, et par les justes défiances qu'il a jetées dans l'esprit de ses alliés. On a perdu le temps en négociations inutiles pour décider à qui appartiendrait le commandement en chef opiniâtrément réclamé par Rivera. L'armée victorieuse du général Paz, qui avait envahi la province de l'Entrerios, province voisine de Buenos-Ayres, et fort attaché au système de la fédération, se désorganisa et retourna dans son pays; le parti vaincu reprit possession de la capitale de la province, et se mit en rapport avec Oribe, général en chef des troupes de Rosas sur l'autre rive du Parana; Rosas se sentit raffermi, et, pour se venger de ceux qui peut-être s'étaient indiscrètement réjouis de ses embarras, lâcha la bride aux assassins, qui ont renouvelé à Buenos-Ayres, en mars et avril 1842, les meurtres impunis du mois d'octobre 1840.

Maintenant, s'il faut en croire les dernières nouvelles, la Bande Orientale est sérieusement menacée. Après avoir remporté un faible avantage, Rivera aurait été complètement battu par le général Oribe, et se verrait bientôt forcé de repasser l'Uruguay. Montevideo serait en alarme; on y aurait donné la liberté à tous les esclaves en masse, mesure extrême depuis long-temps proposée et devant laquelle le gouvernement avait reculé jusqu'alors; le général Paz, dont les talens militaires ne sont pas douteux, et qui, écarté par la jalousie ou par les prétentions de Rivera, était à Montevideo dans l'inaction, aurait été appelé au commandement des milices et chargé de sauver la république. Si tout cela est vrai, comme nous le pensons, il faut s'attendre à l'invasion immédiate de la Bande Orientale par l'armée victorieuse du général Oribe, que Rosas n'a pas cessé de reconnaître pour le président légal de l'état de Montevideo, et qui compte dans cette capitale un grand nombre de partisans. Oribe, si long-temps éloigné du véritable but de son ambition, doit être impatient de reparaître sur un théâtre où il va travailler à sa propre fortune, et le général Rosas, qui a trouvé en lui l'instrument habile, heureux et

dévoué de sa politique, n'est pas homme à perdre l'avantage du moment. Toutes les chances sont en leur faveur. Les conseils du gouvernement de Montevideo sont divisés; Rivera et les émigrés argentins ont toujours eu beauconp de peine à s'entendre; le danger commun ne les réunira point. On parlera au lieu d'agir, comme on l'a toujours fait à Montevideo; on y sera indiscret, comme on l'a toujours été; les rivalités et les jalousies iront leur train, et on ne saura opposer que des mesures mal conçues, mal exécutées, sans cesse affaiblies par les tiraillemens de volontés contraires, à l'énergie, à la persévérance, au secret impénétrable qui caractérisent l'action du général Rosas, et à la supériorité réelle que lui donnent un pouvoir sans bornes et les grandes ressources de la province de Buenos-Ayres. Quoique le général Rivera ne soit pas tout à Montevideo, comme Rosas est tout à Buenos-Ayres, nous parlerons peu des hommes qui composent son gouvernement et auxquels il abandonne l'administration intérieure du pays. La plupart d'entre eux ont sans doute plus de lumières que Rivera, se rendent mieux compte des obligations morales d'un gouvernement, ont des idées plus générales, des sentimens plus élevés, plus de connaissance des affaires; mais aucun n'a de prestige, aucun n'a en lui l'étoffe d'un chef de parti considérable et puissant. Ils gémissent en silence des prodigalités de Rivera, et du peu d'activité qu'il déploie; mais ils restent, faute de mieux, attachés à sa fortune. Les deux principaux sont M. Vidal, aujourd'hui ministre universel, assisté de trois secrétaires d'état, et le général Henrique Martinez, ancien secrétaire général de Rivera, ex-ministre de la guerre, aujourd'hui président d'un conseil d'état formé exprès pour l'absorber, en lui donnant une grande position sans pouvoir réel. Telle est au moins l'opinion que nous avons trouvée généralement répandue à Montevideo sur cette combinaison. M. Vidal et M. Henrique Martinez étaient, dit-on, en lutte constante, dans le sein du même gouvernement. Le premier passait pour le défenseur du parti argentin, dont Rivera s'est toujours défié, et auquel il a joué plus d'un mauvais tour; le second, pour le dépositaire des secrètes pensées du président, pensées enveloppées de mystère et auxquelles convenait l'esprit rusé de M. Martinez. L'un inspirait le journal de l'émigration argentine; l'autre avait pour organe le Constitucional de Montevideo, qui combattait souvent avec une aigreur mal déguisée son confrère le Nacional, bien que tous les deux défendissent la même cause. Cependant Rivera a sacrifié M. Martinez en donnant ou en laissant prendre à M. Vidal la direction des affaires.

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