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avec toutes les ressources musicales et poétiques de son organisation, ou plutôt à cause même de ces ressources, ne réussit pas toujours en pareil cas, et le public de Vienne lui reprochait, au plus fort de son enthousiasme, de sacrifier Beethoven à son élan fantasque, et de mettre sa propre individualité à la place de celle du grand maître. Cette œuvre d'interprétation exige, de la part de celui qui s'y livre, des qualités de recueillement et d'abnégation qui ne se rencontrent guère d'ordinaire chez les virtuoses accoutumés à faire la chasse au succès: qualités négatives, si l'on veut, mais en fin de compte les seules utiles, tant qu'on ne nous prouvera pas que l'art de l'exécutant ait été inventé dans un autre but que celui de traduire, pour l'édification du plus grand nombre, le texte sacré des maîtres.

Les concerts de M. Berlioz ont manqué cette année; ce complément indispensable au carnaval nous a fait défaut. A l'heure qu'il est, l'auteur de Benvenuto Cellini voyage en Allemagne et promène, à travers les villes et les bourgs de la Prusse et de la Bavière, le théâtre forain de ses symphonies. Au nombre des particularités amusantes qui signalent ce pèlerinage au pays de Mozart et de Beethoven, on cite un fait digne du Roman comique, et que nous craindrions de passer sous silence. Dernièrement, M. Berlioz donnait concert à Berlin, et, selon les habitudes hétéroclytes du musicien fantastique, il y avait deux orchestres sur la scène, un orchestre que dirigeait à tour de bras le bénéficiaire lui-même, l'autre conduit par M. Mendelsohn. Jusque-là, tout allait bien. Celui-ci avait le département des trombones et des ophycléïdes, celui-là menait les grosses caisses. Courage Mendelsohn! bravo Berlioz! vive le chantre de Paulus! gloire à l'immortel poète d'Harold aux montagnes! L'enthousiasme grandissait avec le bruit. On se renvoya la paume à qui mieux mieux, on s'anima, on s'échauffa, on s'exalta, on fit si bien, que, sur les dernières mesures, les deux maëstri, n'y tenant plus, s'élancèrent tout ébouriffés l'un vers l'autre, et, après s'être embrassés comme deux oncles de comédie, échangèrent solennellement leurs bâtons de mesure aux yeux de tout un public qui ne comprenait rien à ce singulier manège. Ainsi, voilà. l'univers bien et dûment averti que désormais c'est avec le bâton de Mendelsohn-Bartholdy, l'auteur de Paulus, que l'auteur de la Symphonie fantastique dirigera dans la salle Musard l'exécution de ses chefs-d'œuvre, et qu'à son tour Mendelsohn-Bartholdy, l'auteur de Paulus, aura pour conduire Paulus la baguette sacro-sainte dont se servait naguère le chantre de la Symphonie fantastique! Les journaux allemands, qui, malgré qu'on en dise, s'obstinent à ne vouloir prendre au sérieux ni M. Berlioz, ni sa musique, se sont fort égayés de cette ridicule pasquinade. Nous citerons, entre autres, dans la Gazette de Leipzig, un article très vif attribué à l'auteur des Lettres sur Paris. Certes, si M. Gutzkow ne se fût jamais attaqué qu'à de semblables sujets, à coup sûr personne n'eût songé à se récrier. Un Français qui parcourt l'Allemagne en y donnant des représentations tombe naturellement sous la juridiction de la critique du pays. Un concert public n'est point une invitation privée, une de ces admissions toutes de confiance où la TOME II. SUPPLÉMENT.

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plume de l'écrivain, à plus forte raison lorsque cet écrivain est étranger, n'a rien à voir. Si, comme on l'a prétendu, M. Berlioz voyage en Allemagne par ordre du ministre de l'instruction publique, nous demanderons de quelle utilité il peut être pour les progrès de la musique en France que la symphonie d'Harold soit applaudie ou sifflée à Berlin; et que signifie une semblable mission, à moins qu'elle n'ait eu pour but secret de cònquérir à notre pays le bâton de mesure de M. Mendelsohn-Bartholdy?

Nous ne terminerons pas sans dire un mot d'une fondation toute méritante et faite pour intéresser au plus haut point le dilettantisme éclairé. Il vient de se former dans le monde, et sous la présidence de M. le prince de la Moskowa, une association ayant pour but de mettre en lumière les chefs-d'œuvre, fort ignorés encore chez nous, des anciens maîtres italiens, et de développer le sentiment de la musique religieuse. A une époque où la chapelle du roi a cessé d'exister en France, une pareille tentative ne saurait qu'être approuvée des gens de goût, d'autant plus que l'intelligence parfaite du directeur (il faut bien lui donner son nouveau titre), non moins que l'instinct musical des patronesses, les plus illustres voix qu'on cite dans la société parisienne, répondent d'avance des soins qui seront apportés tant dans le choix des morceaux que dans l'exécution. M. de la Moskowa, qui joint aux connaissances techniques d'un compositeur l'érudition et la patience d'un archiviste, a découvert, à ce qu'on assure, de véritables trésors dans ce genre. Il ne s'agit de rien moins que de nous faire entendre ou plutôt de nous révéler Orlando di Lasso, Allegri, Scarlatti, et jusqu'à Vittoria, vieux maître espagnol dont à coup sûr vous ne vous doutiez guère. On parle déjà d'un certain cantique: Alla Trinità, du xv1a siècle, et sans nom d'auteur, qui aux répétitions fait merveille. Nous le dirons encore, une semblable institution trouvant ses ressources en elle-même, et dirigée avec tact et bon goût, ne peut manquer d'avoir pour la musique de très utiles et de très avantageux résultats. Seulement, s'il nous était permis de risquer un avis, nous recommanderions au directeur de veiller de toute son autorité à ce que l'esprit du programme soit maintenu, et d'empêcher que cette fondation pour la musique religieuse et classique ne dégénère, à la longue, en une société de concerts où Bellini et Donizetti finiraient par prendre la place d'Allegri et de Palestrina. De toute façon, en pareille matière, un peu d'exclusion ne messied pas. Ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de rester ce qu'on est, et de ne point oublier qu'il s'agit d'une institution tout aristocratique, d'une espèce d'Almacks musical.

H. W.

CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.

14 avril 1843.

Aucun fait important n'a modifié la situation dans la quinzaine qui vient de s'écouler, et n'est venu altérer d'une manière notable le bilan respectif du ministère et de l'opposition.

Le cabinet a obtenu, à la majorité d'une voix, la loi sur l'augmentation du personnel de la cour royale de Paris, victoire qu'il a la loyauté d'assimiler à une défaite; il s'est vu renvoyer, par la chambre, plusieurs pétitions importantes, malgré ses vives résistances: voilà la part de ses revers.

L'opposition, de son côté, a subi un échec sur la proposition introduite par l'honorable chef de la gauche relativement à la révision de divers articles des lois de septembre. Cet échec, assurément, était aussi facile à éviter qu'à prévoir, et M. Odilon Barrot connaît trop bien la chambre pour avoir entretenu quelque illusion sur le sort réservé à une proposition si subitement introduite. C'est donc sciemment qu'il s'est fait battre. Une telle résolution n'est jamais habile, mais elle est parfois nécessaire, et nous sommes disposés à admettre que, dans l'état actuel des choses, il était assez difficile à M. Barrot de ne pas lever au moins une fois son propre drapeau, même avec la certitude d'être vaincu.

Tant que les questions ministérielles ont été pendantes, la gauche, jusque dans ses nuances les plus vives, s'est effacée avec une abnégation qu'il est juste de reconnaître; elle ne s'est refusée à aucun ajournement, à aucune tactique, à aucune transaction pour faire arriver au pouvoir des hommes sans aucun engagement avec elle. On sait quel a été le résultat de cette modération inaccoutumée : toutes les prévisions ont été déconcertées, le cabinet a traversé les plus dangereuses épreuves, et la gauche n'a pas eu seulement le

malheur d'être battue, accident dont elle est coutumière; elle s'est encore vue comme abandonnée par le centre gauche, au profit et sur l'insistance duquel elle avait consenti à s'effacer à ce point. Cette partie notable de l'opposition, refusant en quelque sorte le combat, évitant la tribune avec autant de soin qu'elle en mettait naguère à y monter, a laissé la gauche constitutionnelle en butte aux reproches des opinions ardentes, aux excitations des hommes excentriques, et n'ayant rien, pas même un demi-succès, pour se consoler de ses sacrifices.

Un mouvement naturel à prévoir a dû s'opérer alors au sein de ce parti. Les esprits les plus absolus, les moins touchés du côté pratique des choses, ont pu, avec une assez spécieuse apparence, accuser cette modération, que les évènemens ont rendue stérile; ils ont réclamé de la gauche un retour à l'énergie de ses principes, à l'ardeur de ses vieilles convictions. Mais il n'est pas plus donné aux partis de reprendre leurs passions et de retourner vers leur passé qu'aux fleuves de remonter à leur source, qu'à l'âge mûr de retrouver la verdeur de la jeunesse. De tels efforts n'aboutissent d'ordinaire qu'à montrer de plus en plus la foi qui se retire et l'ardeur qui s'éteint. C'est de cette loi générale que la gauche a subi l'empire. C'est là ce qui explique également la mollesse avec laquelle a été soutenue la proposition de M. Barrot, et l'éclatant échec que cette tentative a provoqué.

La législation de septembre 1835 a sans doute été un fait considérable, son établissement a soulevé de vives passions et prêté à de nombreuses critiques de détail; mais ce fait est aujourd'hui accepté sans résistance par le pays tout entier, et l'on espérerait en vain le tirer de son indifférence, ou, si l'on veut, de son apathie, en lui parlant de la définition de l'attentat. De telles questions ont pu servir à couvrir certaines positions parlementaires, à ménager certains antécédens et certains amours-propres, mais elles touchent trop peu d'intérêts pour qu'il soit possible de descendre par elles jusqu'au cœur même de la nation. M. Barrot n'a donc pas trouvé au dehors une compensation pour l'échec que lui ont infligé les bureaux de la chambre, et l'effort essayé par la gauche pour se reconstituer sur son ancien terrain a visiblement avorté dans l'opinion aussi bien que dans le parlement. Placée entre l'indifférence publique, la systématique réserve du centre gauche, et les témérités novatrices de M. de Lamartine, dans quelle voie l'opposition s'engagera-t-elle? C'est là un problème qui est encore bien loin d'être résolu pour elle-même.

Depuis l'ouverture de la session, les bons esprits avaient entrevu que le point d'attaque vraiment sérieux contre le cabinet gisait surtout dans les questions d'affaires. Les convictions individuelles, si affaiblies et si tièdes quant aux principes, se montrent par cela même plus intraitables dans tout ce qui touche aux intérêts matériels, et tel député des centres qui donnera un blancseing au pouvoir pour tout ce qui concerne l'esprit général de la politique et les rapports de la France avec l'Europe, ne lui sacrifiera pas une idée économique ou financière éclose dans son étude de notaire et développée à l'ombre

du clocher de son village. Le ministère est appelé à en faire bientôt une dangereuse expérience. Indépendamment de la loi des sucres, au sacrifice de laquelle il paraît à peu près résigné, il est à croire que le projet porté par M. le ministre des travaux publics pour la concession du chemin de fer du nord rencontrera les plus sérieuses objections. La discussion des bureaux l'a déjà fait pressentir, et il est difficile de penser que l'instinct auquel a cédé la chambre, en rejetant le projet d'emprunt pour la Teste, ne la fasse pas reculer devant les conditions du bail passé avec la compagnie anglo-française.

On sait que le bail provisoire dont l'homologation est réclamée contient les stipulations suivantes, qui sont la première application du système formulé dans la loi du 11 juin 1842. Chaussée, stations et travaux d'art, à la charge de l'état, qui doit acquitter également le prix des terrains, sauf son recours pour les deux tiers contre les départemens et les communes intéressées; - concession gratuite durant une période de quarante ans, à la compagnie, de tous les péages à percevoir sur la ligne; — réduction à deux catégories des trois espèces de wagons en usage aujourd'hui sur nos chemins français, ce qui obligera par le fait la plupart des voyageurs à monter dans les diligences au prix de 9 centimes par kilomètre, pour éviter les chariots découverts; remboursement à dire d'experts après les quarante ans de jouissance gratuite de la valeur des rails et du mobilier d'exploitation.

Ainsi l'état débourse une somme actuelle d'environ 100 millions que coûteront les terrassemens et travaux d'art sur le chemin de Bruxelles, avec la double bifurcation sur Calais et sur Dunkerque, et il reçoit de la compagnie un concours de 60 millions, sur lesquels moitié environ devront être remboursés à la fin du bail. Pour cette somme de 60 millions, il abandonne à la compagnie, sans nulle réserve, tous les produits du chemin de Belgique et d'Angleterre, c'est-à-dire de la communication la plus fréquentée de la France, pour ne pas dire de l'Europe. Or, la chambre sè trouvera ici en présence de chiffres et de documens d'une haute gravité : elle aura sous les yeux les calculs même de M. Stephenson, l'agent de la compagnie, qui ne porte pas à moins de 21,126,959 francs par année le chiffre de la recette probable sur ce chemin, même avec le tarif d'Orléans, inférieur à celui qui est concédé à la compagnie du nord. En estimant à 50 pour 100 des recettes brutes les frais d'administration, de traction et d'entretien, le chiffre des bénéfices nets à réaliser par la compagnie n'en resterait pas moins fixé à plus de 10 millions par an, intérêt qui pourrait bien être trouvé par trop usuraire.

Dans une pareille situation, et en face d'un bénéfice mathématiquement assuré, il est difficile d'expliquer pourquoi l'état, au lieu d'affecter 100 millions au chemin du nord, n'emprunterait pas 60 millions de plus, qu'il ne lui serait pas plus difficile d'obtenir d'une compagnie financière à titre d'emprunt qu'à titre de subvention spéciale; il serait ainsi complètement maître de la ligne la plus importante du royaume, et retirerait de ses capitaux des bénéfices gratuitement concédés pendant une période de quarante ans.

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