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ce qui a disparu de nos romans contemporains. Je ne veux pas dire qu'il y ait là de bien parfaits modèles, et assurément je ne conseillerai à personne ni personne ne s'avisera d'imiter les Deux Cousines que nous a donné naguère Abel Rémusat, ou la Femme Accomplie (1) que vient de publier un membre de la société asiatique: on serait parfaitement sûr de n'avoir pas vingt lecteurs. Mais comme ce n'est pas là une invention française, comme c'est tout bonnement une traduction, le piquant du contraste littéraire vient s'ajouter à l'intérêt de mille révélations inattendues sur les mœurs du céleste empire. Ce qui intéressera les lecteurs français dans la Femme Accomplie ne sera pas, à coup sûr, ce qui intéresse en Chine les nombreux lecteurs de ce populaire roman. Pour eux c'est une composition littéraire qui charme leur imagination; pour nous ce sera surtout une sorte de voyage, un tableau de mœurs qui exciteront notre curiosité. Les mandarins, s'ils savaient la destinée de leurs livres chez nous, seraient peu flattés : ce dédain de leur littérature les choquerait autant que cet étonnement curieux de leur façon de vivre. Décidément nous sommes des barbares, comme disent les proclamations de l'empereur de Chine.

L'intrigue du roman, traduit par M. Guillard d'Arcy, est fort simple. Il s'agit d'une jeune fille nommée Ping-Sin: le père de Ping-Sin, impliqué à tort dans la disgrace d'un général qui avait mal défendu les frontières, est parti pour l'exil et a laissé la pauvre enfant entre les mains d'un tuteur corrompu qui veut la perdre. Or un mauvais sujet du canton, Kouo-Khi-Tsou, fils d'un magistrat puissant, s'est épris de Ping-Sin et veut l'épouser malgré elle. Mais la belle jeune fille qui, pour être candide et pure, n'en a pas moins beaucoup de malice, déjoue habilement tous les plans, toutes les tromperies du séducteur et du tuteur conjurés : c'est presque l'Adroite Princesse des contes de Perrault. En vain, à plusieurs reprises, on essaie de l'enlever : toujours quelque tour vengeur vient mortifier ses deux ennemis. Cependant les marauds ne se tiennent pas pour battus, et, simulant à la fin un ordre du roi qui gracie le père de Ping-Sin, ils réussissent à faire pénétrer chez elle une troupe d'affidés. Ces bandits emmènent Ping-Sin de force et la conduisent chez le préfet qu'on a gagné et qui doit consommer le mariage. Mais il y a une Providence pour les jeunes filles dans le chemin ces misérables ont l'insolence de renverser un passant; il se trouve que ce passant est Tchoung-Yu, le héros vertueux et courageux par excellence. Tchoung-Yu se venge aussitôt et intervient avec bruit; tout se découvre alors, et voilà un sauveur pour la jeune fille persécutée. Cependant le magistrat et ses complices dissimulent, afin de frapper plus sûrement Tchoung-Yu: on l'accueille donc à merveille, on le loge même dans un couvent de bonzes pour qu'il guérisse ses blessures. Mais ce n'est là qu'une fourberie, qu'un moyen meilleur d'assurer la vengeance; les bonzes, en effet, empoisonneront leur hôte à

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(1) Un vol. in-8°, chez Benjamin Duprat; rue du Cloître-Saint-Benoît, 7.

petites doses. Ce secret, heureusement, vient aux oreilles de Ping-Sin, qui n'hésite pas à braver la sévérité des coutumes chinoises et à faire enlever son libérateur, à le recueillir chez elle et à le sauver. La chose une fois connue fait grand scandale: une jeune fille qui a parlé à un jeune homme! c'est une grosse affaire, et Ping-Sin a bientôt ses apologistes comme ses détracteurs. Dans cet intervalle le père de la jeune fille est revenu de l'exil: les deux familles désirent un mariage. Tchoung-Yu et Ping-Sin y consentent, mais ils demeureront dans des appartemens séparés, ils ne seront époux que de nom; ils ne veulent pas qu'on les soupçonne d'avoir enfreint la loi, les rites sacrés qui exigent qu'un fiancé n'ait jamais vu sa fiancée. Avec le temps, l'empereur est informé de ces détails, et il évoque l'affaire; alors une enquête solennelle a lieu, et la conduite de Ping-Sin est réhabilitée avec toute sorte de louanges, ses persécuteurs sont punis comme ils le méritent, le mariage se consomme, et les deux jeunes époux s'en retournent couverts d'honneurs et de dignités. Tel est le cadre de ce roman chinois où des vues morales et des détails agréables viennent s'entremêler à propos. Le traducteur a bien fait de ne rien supprimer, de laisser subsister les longueurs, les redites; chaque acteur, en effet, qui revient en scène ne manque jamais de raconter ce qui vient de se passer, ce que le lecteur sait déjà. Encore une fois c'est là un caractère que les interprètes font bien de respecter on lit beaucoup plus un roman chinois pour s'instruire que pour s'amuser, et ce qu'on veut connaître, c'est la littérature orientale, non pas arrangée et parée, mais telle qu'elle est. Le roman de la Femme Accomplie avait déjà été donné en anglais par Davis: pour son début de sinologue, M. Guillard d'Arcy aurait donc mieux fait d'aborder un autre texte, un texte inconnu en Europe. On pense aussi que quelques détails sur l'auteur et le livre n'auraient pas été déplacés en tête de la Femme Accomplie; mais M. Guillard d'Arcy a cru devoir se dispenser de toute espèce de notice littéraire, en sorte que son livre devient inutile à quiconque sait assez d'anglais pour lire l'édition de Davis. Ce n'est pas ainsi qu'on relèvera ce métier honorable de traducteur que des maîtres comme Goethe n'ont pas dédaigné et qui demande aussi son inspiration.

V. DE MARS.

LETTRES

SUR LE
LE CLERGÉ.

1.

DE LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE.

Vous me prenez, monsieur, à l'improviste : la question est plus embarrassante que vous ne le pensez, et il me serait impossible de répondre par oui ou par non. Mieux vaut peut-être étudier les faits ensemble; après cet examen, la réponse deviendra moins difficile.

En me demandant s'il y a maintenant en France plus de tolérance religieuse qu'il n'y en avait avant 1789, ne craignez-vous pas de faire crier au paradoxe? S'ils pouvaient vous entendre, ceux qui se contentent de l'apparence en toutes choses hausseraient les épaules, ils vous répondraient en citant la charte, qui abolit la religion de l'état et qui garantit la liberté des cultes. Mais quand on va plus au fond, quand on croit qu'un principe qui est gravé dans les mœurs d'un peuple est mieux établi que s'il était écrit dans ses lois, on

TOME II.

1er MAI 1843.

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tombe dans une grande perplexité. L'histoire peut-être nous donnera le moyen de dissiper cette incertitude; souffrez que j'entre à cet égard dans quelques détails.

Lorsqu'on suit l'affaiblissement graduel de l'influence du clergé français, si puissant, si vénéré dans les anciens temps de la monarchie, on ne saurait s'empêcher de reconnaître que c'est surtout pour avoir à plusieurs reprises blessé le sentiment national, pour avoir trop souvent reçu des inspirations ultramontaines, qu'il a vu décliner son autorité. Dans la grande lutte de la France contre l'Angleterre, le clergé assista avec froideur à la délivrance de la patrie; parfois même il prit parti pour l'étranger. Dirigé au xvre siècle par la cour de Rome, après avoir chanté des hymnes de grace pour la SaintBarthélemi, il fit la ligue et bouleversa la France pour servir les projets de Philippe II. Vaincu d'abord par Henri IV, le parti ultramontain reparut bientôt; il s'allia avec la royauté pour abattre Port-Royal, et pour établir que les maximes de Sanchez et de Molina étaient préférables à la morale d'Arnauld et de Pascal. Les mœurs du cardinal Dubois, les turpitudes des abbés du temps de Louis XV, ne tardèrent pas à venger dans l'opinion de la France ces illustres victimes, et le fouet sanglant de Voltaire livra leurs persécuteurs à la risée du monde entier.

A cette époque, l'Europe suivait avec un intérêt croissant les efforts de la France pour l'émancipation de la pensée en adoptant les idées de nos grands écrivains, les peuples devenaient nos alliés et presque nos tributaires. Le gouvernement tentait en vain de sévir contre les ouvrages les plus audacieux; à l'arrêt qui livrait l'Émile au bourreau, la France répondait en entourant Rousseau d'admiration, et le pape lui-même, entraîné par l'enthousiasme universel, recevait la dédicace de la plus hardie des tragédies de Voltaire. Si l'intolérance était encore dans les lois, les mœurs, plus fortes qu'elles, protégeaient efficacement la liberté des écrivains.

Malgré l'appui qu'il avait pu donner dans des temps de troubles à l'Angleterre ou à l'Espagne, le clergé aurait rétabli son autorité, s'il avait montré un sincère attachement pour les anciennes libertés de l'église gallicane, et s'il avait prouvé que, tout en respectant le chef de la religion, il savait rester Français. Mais les concessions que, depuis surtout l'établissement des jésuites en France, le clergé ne cessa de faire à la cour de Rome, éloignèrent de lui des hommes sincèrement religieux, qui s'en prirent d'abord aux disciples de saint Ignace, et qui, sans le vouloir peut-être, portèrent en même

temps de rudes coups à leurs alliés; car vous le savez, monsieur, ce furent des hommes pieux qui, craignant pour la religion, dont certaines maximes leur paraissaient altérer la pureté, obtinrent une première fois l'expulsion des jésuites. Protégé par les noms de Bossuet et de Fénelon, appuyé sur la célèbre déclaration de 1682, le clergé, au XVIIe siècle, releva son autorité; mais bientôt les jésuites reprirent tout leur empire. En cédant, à leur instigation, sur les points les plus essentiels, l'église gallicane compromit ses plus chers intérêts, et lorsqu'enfin, après une banqueroute prouvée judiciairement, les jésuites furent chassés de France aux applaudissemens universels, la nation confondit dans son jugement la congrégation dirigeante et les membres du clergé qui, sans trop de résistance, avaient suivi une si funeste impulsion.

Au commencement de la révolution, le sentiment religieux s'était tellement affaibli, que, malgré la persécution dirigée contre le clergé, il n'y eut, dans la masse de la nation, aucune réaction en sa faveur. Après la terreur, quand les esprits, trop long-temps comprimés, se relâchèrent, on rechercha les plaisirs et le luxe; les arts, les lettres et les sciences reprirent faveur, toutes les anciennes idées reparurent un instant, mais l'opinion publique resta muette à l'égard du clergé. Ce fut seulement lorsque Napoléon songea à se faire oindre par le pape, que le culte fut rétabli; cependant, quoique l'empereur se fut appliqué à donner au clergé une organisation nationale à l'aide du concordat, il fallut toute sa volonté pour faire accepter au peuple et à l'armée les cérémonies religieuses. Bien que soumis en apparence, le clergé, excité par la cour de Rome, ne tarda pas à s'insurger contre Napoléon. Si cette lutte n'eut pas de plus graves suites, l'indifférence publique en matière de religion y contribua au moins autant que la main ferme du maître. Les esprits alors n'étaient nullement préparés à recevoir les lumières de la foi. La philosophie de Condillac, soutenue par Cabanis et par M. de Tracy, était généralement reçue par le petit nombre de personnes qui s'occupaient encore de ces matières, et il était difficile de faire adopter la révélation par des hommes qui ne croyaient pas à la spiritualité et à l'immortalité de l'ame. C'est à la réforme de la philosophie, aux travaux de M. de Bonald et de Maine de Biran, et principalement à l'enseignement de M. RoyerCollard, que le clergé a dû d'abord la possibilité de faire entendre sa voix. Sous la restauration, il se fit un grand mouvement philosophique dans la jeunesse, par l'influence surtout de M. Cousin; et comme toute nouveauté réussit en France quand elle est appuyée

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