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LE SALON.

I. LE JURY.

En 1841 et 1842, le nombre des objets d'art exposés au Louvre dépassait deux mille; cette année, il ne va guère au-delà de quinze cents; c'est une diminution d'un quart. On attribue ce subit abaissement du chiffre à un redoublement de sévérité de la part du jury, qui a procédé cette fois par des exécutions en masse. Il a voulu, dit-on, faire de la terreur pour écarter à l'avenir la cohue des prétendans qui devient chaque année plus compacte, et apporter ainsi quelque obstacle à ce débordement inoui de peinture. Telle serait, suivant quelques personnes, la cause de ce grand auto-da-fé. Si ce bruit a quelque fondement, il révélerait dans le jury une singulière méprise sur la nature et l'étendue de ses attributions. Il aurait évidemment outrepassé ses pouvoirs en se chargeant ainsi, sans mission, de la haute direction administrative de l'art. Son entreprise, si elle était réfléchie, ne serait rien moins qu'un coup d'état, et un coup d'état sans portée et sans effet. L'exubérance actuelle de la production a sa source dans des causes trop générales pour être arrêtée par des sentinelles placées à la porte du Louvre. Ce serait donc là une de ces mesures illusoires enfantées par le génie prohibitif, c'est-à-dire par la plus mauvaise économie politique. Mais nous ne pouvons

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croire que le jury ait porté si loin ses prévisions; de si grandes vues sont trop étrangères à ses modestes fonctions pour qu'on l'en soupçonne gratuitement. Ce bruit n'a sans doute d'autre fondement que le besoin d'expliquer d'une manière un peu raisonnable la rigueur inusitée avec laquelle il a sévi cette année; et si ses verdicts ont eu tant de retentissement, c'est moins à cause du nombre des condamnations qu'à cause du rang et de la position des condamnés. Les plaintes des blessés, qui d'ordinaire s'exhalaient obscurément et à vide, ont ému l'opinion publique; elles ont, à ce qu'on assure, éveillé la sollicitude royale. On parle même d'une démonstration collective projetée par les artistes, et formulée dans une supplique adressée directement au roi. Cette supplique, déjà rédigée et couverte de nombreuses et notables signatures, sera, tout porte à le croire, sincère, équitable, modérée, respectueuse, digne, en un mot, et de ceux qui la font, et de ceux à l'occasion de qui elle est faite, et de l'autorité souveraine à qui elle est adressée.

La critique ne saurait rester indifférente et neutre dans ce mouvement.

Il est si facile de déclamer, et on a tant usé de la déclamation à l'égard du jury, qu'on s'est habitué, et qu'il s'est surtout habitué luimême, à ne voir dans les plaintes dont il est l'objet que des lieuxcommuns d'opposition, que tout pouvoir, grand ou petit, doit se résigner à supporter philosophiquement. Rassuré par cet axiome de haute politique pratique, le jury poursuit tranquillement le cours de ses opérations, et, si parfois il arrache quelques cris aux patiens, il n'a pas de peine à se les expliquer par la susceptibilité tout exceptionnelle des vanités auxquelles il a affaire. De leur côté, les artistes rejetés ne songent guère à chercher le motif de leur exclusion dans la cause la plus naturelle, la mauvaise qualité de leur œuvre; ils préfèrent supposer quelque machination secrète d'un ennemi imaginaire, quelque mystère d'iniquité bien noir. Ils se donnent tous, et chacun individuellement, pour des victimes innocentes, et le public, qui ne s'attendrit pas aisément sur les malheurs de ce genre, les laisse crier. Dans certaines occasions, les battus ont voulu résister. Ils ont, entre autres moyens, essayé des expositions particulières des œuvres refusées, genre de protestation qu'ils avaient l'amour-propre de croire irréfutable et décisif; mais ces exhibitions, auxquelles, à tort ou à raison, les hommes de quelque valeur ne voulaient point coopérer, ont toujours été si pitoyables, qu'on aurait pu les croire faites moins dans l'intérêt des exposans que dans celui du jury. C'est

ainsi que les artistes ont un peu contribué eux-mêmes, par le ridicule de leurs récriminations et par des démarches inconsidérées, à faire penser à beaucoup de gens que leurs plaintes n'ont aucun fondement légitime, au jury lui-même qu'il exerce son droit d'une manière irréprochable, enfin au public en général que cette institution est fondamentalement bonne et utile, et ne peut être attaquée que pour des motifs intéressés et par conséquent suspects.

Telle n'est pas notre opinion. Nous croyons au contraire que ce tribunal, tel qu'il est constitué, ne peut que faillir à la tâche qui lui est assignée. Nous faisons bon marché des motifs plus ou moins odieux qu'on met d'ordinaire en avant pour expliquer les scandales, les passedroits, les abus de toute sorte contre lesquels on réclame. Ces motifs peuvent et même doivent exister quelquefois, car les membres du jury sont des hommes, et on peut, sans leur faire tort, leur supposer des préjugés, des passions, des faiblesses; mais ce sont là de simples accidens qui ne sauraient seuls, quelque part qu'on leur veuille faire, rendre compte de ce qui se passe. Nous repoussons cette explication, d'abord parce qu'elle est injuste, et ensuite parce qu'elle empêche de chercher et de trouver la véritable. Pour nous, la cause de ces mauvais résultats est principalement dans les difficultés intrinsèques de la chose à faire, difficultés telles qu'aucune forme ou composition du jury ne pourra jamais y suffire complètement. Nous avons plus d'une fois exposé les raisons de notre manière de voir sur la mission du jury. Ses derniers exploits ne sont pas, certes, de nature à la modifier.

L'histoire du jury d'admission est peu connue. Il serait cependant intéressant de suivre cette institution depuis son origine jusqu'à son état actuel, pour se faire une idée juste de sa nature et de son but. Elle date de la république, et apparaît en même temps que les premières expositions véritablement publiques des objets d'art. Avant la révolution, il y avait aussi des exhibitions. Cet usage remonte au siècle de Louis XIV. La première eut lieu en 1688, dans la cour du Palais-Royal; la seconde en 1699, au Louvre. Depuis, elles se renouvelèrent à des époques indéterminées et plus ou moins fréquemment; elles affectèrent dans certains intervalles une forme périodique, annuelle ou bisannuelle. Pendant tout le cours du XVIIe et du xvшe siècle, le droit d'exposer au salon était le privilége exclusif des membres de l'Académie de Peinture et de Sculpture, fondée par le grand roi. Le nombre des exposans était donc nécessairement assez restreint, quoique cette compagnie fût beaucoup plus nom

breuse que les trois sections de l'Académie des Beaux-Arts, qui la représentent aujourd'hui. Toutes les statues, tous les tableaux cités dans les salons de Diderot, étaient des œuvres d'académiciens. Il ne pouvait être question, à cette époque, d'un comité d'admission. Cet état de choses subsista jusqu'à la révolution, qui abolit le privilége des académiciens et l'Académie elle-même. On songeait peu à l'art à cette époque. Cependant, en 1793, la convention décréta, sous l'inspiration de David, l'ouverture d'une exposition générale au Louvre des œuvres des artistes français. Cette exposition, qu'on appela un concours, fut, suivant toute apparence, entièrement libre. Dans celles, extrêmement rares du reste, qui eurent lieu sous le directoire et sous le consulat, l'inconvénient de l'encombrement ou le besoin d'écarter les mauvais ouvrages, toujours trop abondans, introduisit l'usage d'un examen préalable, qui échut, suivant les temps et les circonstances, à des autorités différentes. Sous l'empire, où tout se faisait administrativement, c'étaient les conservateurs et administrateurs du Louvre qui étaient chargés de ce soin. La restauration innova. Les affaires de l'art passèrent de l'administration à la cour. L'examen des ouvrages présentés fut confié à une commission ou conseil particulier, nommé ad hoc. Cette commission était renouvelée à chaque exposition, c'est-à-dire tous les deux ans. Elle se composait d'une réunion d'artistes, de gentilshommes amateurs, de fonctionnaires de cour ou autres, nominativement désignés par le roi, et présidés d'ordinaire par un grand seigneur. Souvent des membres de l'Institut y étaient appelés, non en vertu d'un droit quelconque, mais par le choix libre du prince. Sous toutes ces formes, et particulièrement la dernière, ce jury souleva des réclamations plus ou moins vives qui ne furent que peu ou point écoutées. Après 1830, le système de la restauration fut réformé. Cette intervention de la maison du roi dans une affaire dont la connaissance semblait devoir exclusivement appartenir à des hommes du métier, n'était pas en harmonie avec les idées et les sentimens réveillés par la révolution politique qui venait de s'accomplir. Un des premiers soins de la royauté nouvelle fut de faire disparaître cette anomalie. Les artistes demandaient avant tout un tribunal compétent; ils croyaient avoir tout gagné si l'on en expulsait les gens de cour. Ce premier point de la réforme était facile, mais l'établissement d'un nouveau système l'était moins. Dans ce temps-là, il fallait que tout se fit vite. Pour sortir promptement d'embarras, au lieu de créer un pouvoir tout neuf, on en prit un tout fait. L'Académie des Beaux-Arts

semblait mise là tout exprès pour remplir les intentions royales et pour satisfaire les exigences de l'opinion. Ce corps illustre offrait toutes les garanties désirables; tous ses membres étaient des artistes plus ou moins célèbres, des maîtres consommés dans leur art; à l'autorité de la science et du talent ils joignaient celle de l'âge, des honneurs légitimement acquis, d'une position élevée et indépendante. Que pouvait-on demander de plus? L'idée seule de confier à des hommes spéciaux, appartenant à un corps constitué, nombreux, permanent, recruté par l'élection, une mission attribuée jusqu'alors à des commissaires de compétence plus ou moins suspecte, isolément et arbitrairement désignés, était un progrès. Pour mieux marquer le sens de cette nouvelle institution, on l'appela, quoique assez improprement, un jury. L'intention était libérale; la mesure fut accueillie avec satisfaction.

On sait ce qui est advenu depuis. Ce jury, qu'on pouvait considérer comme un jury modèle, a donné lieu aux mêmes accusations que les précédens. Il est tombé, dit-on, dans les mêmes fautes, il a commis les mêmes erreurs. La liste de ses bévues, qu'on donne volontiers pour des méfaits, a grossi d'année en année, et, à l'heure où nous écrivons, il a à se défendre contre une attaque régulière des artistes, et contre un adversaire plus dangereux encore, l'opinion publique, qui, jusqu'ici indifférente, a fini par prendre parti.

Il importe avant tout de bien constater que cette opposition n'est pas dénuée de fondement. En mettant de côté les exagérations, les violences des amours-propres blessés, des médiocrités désappointées, des intérêts froissés, en faisant abstraction des griefs personnels, réels ou supposés, énoncés contre tels ou tels hommes, en élaguant toute la partie anecdotique et la chronique scandaleuse du jury, il reste encore assez de quoi légitimer les plaintes, et faire mettre en question l'utilité, la convenance, la justice de ce tribunal.

Les faits sont connus. Il est constant que chaque année on reçoit au Louvre deux mille morceaux, et qu'on en rejette deux mille autres, sans qu'on puisse justifier, dans le détail, ce partage autrement que par la nécessité supposée de proportionner la quantité des toiles ou des marbres admis à la mesure de telles ou telles salles du Louvre. Il est constant que chaque année les neuf dixièmes des ouvrages acceptés ne valent pas mieux que les neuf dixièmes des ouvrages refusés. Il est constant que, chaque année, des artistes d'un talent reconnu, accepté, classé, et quelquefois du premier ordre, sont laissés à la porte, tandis qu'on l'ouvre aux médiocrités les plus authentiques,

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