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A vrai dire, cette lutte a commencé déjà par les remarquables brochures publiées contre les méthodistes par M. Athanase Coquerel. Suivant M. Coquerel, le mouvement d'idées qui, de nos jours, s'opère au sein de la réformation, doit logiquement s'accomplir en faveur de l'unitarisme. Sur ce point, l'opinion de l'éloquent prédicateur est aussi la nôtre. Nulle autre secte, pour qui n'approfondit point les discussions philosophiques, ne fait si bien la part des deux principes qui se disputent les sociétés depuis leur origine, le principe de liberté, par lequel s'améliore incessamment notre espèce, et le principe d'autorité, qui, dans le monde métaphysique et moral, maintient l'ordre aussi bien que dans les étroits domaines de la politique. Au xvIIe siècle, le socinianisme était la dernière halte des esprits qui, pour aboutir au rationalisme, se détachaient par degrés des opinions religieuses; c'est la première qu'ils fassent au XIX®, lorsque, pour se reprendre à ces opinions, ils désertent les régions de la pure philosophie. Mais, en dépit des circonstances qui de nos jours le favorisent, nous ne croyons pas qu'il puisse long-temps conserver les avantages de sa position actuelle. En montrant de quelles ténèbres l'idée de l'être suprême s'enveloppe, au faîte de sa synthèse, nous avons expliqué pourquoi, il y a deux cents ans, il fut impossible aux écoles sociniennes de retenir les penseurs qui se sentaient entraînés vers le déisme; c'est par le même défaut, par les mêmes hésitations, les mêmes incertitudes qu'il rebutera, dans les temps où nous sommes, les ames inquiètes qui, suivant la route contraire, aspirent à un dogme où se retrouve nette et précise l'expression de l'unité de Dieu. Moins injuste envers les Socin que les deux derniers siècles, l'époque où nous sommes leur assignera un rang élevé dans la famille des libres penseurs. Parmi les membres de cette famille immortelle, il en est sans aucun doute qui, pour définir les facultés de l'esprit, ont d'un regard plus sûr et plus ferme sondé les profondeurs de sa nature: il n'en est pas qui aient plus énergiquement proclamé l'excellence de cette nature et l'indépendance de ces facultés. S'ils ont fléchi dans l'étude, ou, pour mieux dire, dans la contemplation de l'essence divine, c'est qu'aux extrêmes confins des régions métaphysiques qu'il nous est donné d'embrasser et de parcourir, ils se sont efforcés d'abattre la barrière infranchissable qui sépare la religion de la philosophie, le dogme révélé des idées acquises par les légitimes opérations de l'esprit. Le dogme qui moralise l'homme et détermine ses actes, c'est la philosophie qui met l'homme en état de le recevoir ce n'est pas elle qui a mission de le formuler. De l'existence des effets on infère l'existence de la cause: l'essence même de la cause, comment la pénétrer et comment la définir? La notion des êtres, si claire et si distincte qu'elle soit, que nous apprend-elle sur leur origine? Que nous apprend-elle sur leur fin? On sait combien à ce faîte se troublait l'ame de Rousseau, qui, dans les extases mêlées d'incertitudes et de perplexités où le ravissaient les sublimes contemplations, a exprimé la vraie philosophie de son siècle : « A mesure que j'approche de l'éternelle lumière, s'écrie l'auteur de l'Emile, son éclat m'éblouit, me trouble, et je suis forcé

d'abandonner toutes les notions terrestres qui m'aidaient à l'imaginer....... J'ai beau me dire, Dieu est ainsi : je le sens, je me le prouve; je n'en conçois pas mieux comment Dieu peut être ainsi... Je m'humilie et lui dis: Être des êtres! je suis parce que tu es; c'est m'élever à ma source que de te méditer sans cesse. Le plus digne usage de ma raison est de s'anéantir devant toi : c'est mon ravissement d'esprit, c'est le charme de ma faiblesse de me sentir accablé de ta grandeur! »

Les deux Socin ont soumis la religion tout entière au contrôle absolu de la pensée humaine; trop peu avancés encore dans les voies philosophiques, ils n'entrevoyaient pas les écueils où devaient l'entraîner en dernier résultat ses investigations ardentes et précipitées. A l'homme qui plus tard lui a imposé le principe de certitude suivant lequel elle a réalisé toutes les notions qu'elle peut acquérir et juger, il appartenait de la ramener à son véritable point de départ et à son but véritable. On se souvient en quels termes Descartes protestait de son respect pour le dogme révélé : il suffirait de rappeler, si l'on mettait en question la sincérité de Descartes, qu'au XVIIe siècle ses deux plus illustres disciples se nommaient Malebranche et Bossuet. Cette harmonie parfaite que Bossuet et Malebranche ont rêvée entre la foi et la raison, et qui pour nous subsiste déjà dans l'ordre politique, par la séparation des deux puissances, nous ne savons s'il est réservé à notre âge de la voir réaliser dans l'ordre purement métaphysique : ce qu'il y a de sûr du moins, c'est que sa part du labeur intellectuel imposé aux époques où la civilisation grandit consiste à tout entreprendre pour l'y établir. Nos pères ont fait leur tâche, accomplissons la nôtre; grace à eux, nous ne sommes plus superstitieux ni fanatiques: mais qui ne se sent de temps à autre inquiet et troublé ? Serait-ce un progrès bien digne de nous, après tant de polémiques et de controverses, que d'avoir abouti au scepticisme?

X. DURRIEU.

LE

MOIS DE MAI A LONDRES.

Le mois de mai est ce qu'on appelle, à Londres, la saison par excellence. C'est l'époque de l'année où l'aristocratie anglaise quitte ses châteaux pour la capitale, et l'isolement superbe de la vie féodale pour le mouvement tumultueux de la vie mondaine. C'est le temps où les séances du parlement sont le plus remplies, le plus agitées, et où se passent d'ordinaire ces grandes luttes qui décident du sort du pays; le temps où les théâtres font tous leurs efforts pour attirer le public indifférent, où les livres nouveaux se multiplient, où les œuvres d'art se produisent, où les concerts se donnent, où les exhibitions s'ouvrent, où les voyageurs qui se sont envolés vers toutes les parties du monde reviennent s'abattre sur le sol natal avec leur moisson de souvenirs et d'anecdotes. C'est le moment des grands dîners publics, des meetings nombreux, des anniversaires de toutes les sociétés de bienfaisance, de science, de littérature, de piété, de politique, qui abondent à Londres. C'est enfin la saison où le climat de cette sombre cité est habituellement le plus doux et le plus salubre, où les brouillards de l'hiver se dissipent un peu, où les parcs et les squares sont dans tout l'éclat de leur magnifique verdure, où les

environs se parent de toutes leurs beautés, où Windsor offre aux promeneurs ses ombrages séculaires, Epsom ses courses, Richmond sa vue pittoresque, Chiswick ses belles fleurs, Hamptoncourt ses galeries, et Greenwich ces petits poissons exquis si avantageusement connus dans toute l'Europe sous le nom de white baits.

J'ai donc voulu faire comme tout le monde, et, au commencement du mois qui vient de finir, j'ai pris, moi aussi, la route de Londres. J'y ai trouvé tout ce que j'y cherchais, excepté le beau temps. Le mois de mai n'a été nulle part cette année, et en Angleterre encore moins qu'ailleurs, le mois aimable, lovely, que célèbrent avec tant d'amour les poètes anglais. Voltaire a dit quelque part que le mois de mai était l'emblème des réputations usurpées, et il n'a eu malheureusement que trop raison cette fois. Je ne sais pas s'il y a ya un soleil en Angleterre; tout ce que je puis dire, c'est que je ne l'ai pas vu. J'ai fait la première épreuve du temps qui m'attendait en mettant le pied sur le paquebot de Calais à Douvres. La mer était détestable, le vent contraire, l'horizon chargé de pluie. Il a fallu sept longues heures pour faire un trajet qui en demande ordinairement trois. Il est vrai que j'avais eu le tort de m'embarquer, par esprit national, dans un des paquebots français qui font le service des postes entre les deux pays. Ce paquebot, qui a nom l'Estafette, est bien le plus détestable véhicule qui existe. Je le dénonce à la vindicte publique. J'ai eu la douleur de voir le paquebot anglais, parti en même temps que le nôtre du quai de Calais, nous devancer fièrement en mer et arriver à Douvres trois heures avant nous. Ajoutez que ce spectacle affligeant se reproduit à peu près tous les jours. Je ne puis comprendre comment l'administration des postes peut conserver, sur un pareil point, de si mauvais instrumens. Nous avons ailleurs des bateaux à vapeur égaux, sinon supérieurs, à ceux des Anglais. Nos constructeurs valent au moins les leurs, et eux-mêmes en conviennent. Comment se fait-il donc qu'entre les deux pays, sur le point où la communication est la plus régulière, quand les deux pavillons sont en présence tous les jours sous les yeux de tous les voyageurs de l'Europe qui passent et repassent le détroit, nous puissions accepter volontairement une infériorité si marquée?

Mais oublions les ennuis du voyage et arrivons à Londres. Pourvu que la mer soit bonne et que l'on ne prenne pas le bateau français, on peut arriver aujourd'hui de Paris à Londres en moins de trente heures, par Calais et Douvres. Je doute que les chemins de fer ajoutent jamais beaucoup à une pareille vitesse. Dans tous les cas, les

deux nations sont intéressées à rendre leurs communications aussi actives que possible, car elles ont encore beaucoup à s'apprendre réciproquement. Dès qu'on touche le sol britannique, on sent qu'on entre dans un monde nouveau, très différent du nôtre, opposé même sous bien des rapports. Quand on y a séjourné quelque temps, on s'aperçoit que les différences sont moins profondes qu'elles n'avaient paru d'abord; on comprend qu'un travail se fait en Angleterre comme en France pour rapprocher l'état social, moral et politique des deux pays. Mais ce qui domine encore, c'est la différence. La comparaison entre Londres et Paris est naturellement ce qui préoccupe le plus un observateur français dans la capitale de l'Angleterre; à tout instant, on est frappé par des oppositions ou par des analogies. Je vais raconter mes impressions simplement, naturellement, comme elles me sont venues, mêlant ce qui est permanent avec ce qui est passager, et ce qui caractérise le spectacle de l'Angleterre en général avec ce qui est propre au mois où je l'ai vue.

Parlons d'abord, en peu de mots, de l'aspect matériel. L'aspect matériel de Londres a des ressemblances et des différences avec celui de Paris. Les deux villes sont bâties sur la rive septentrionale du fleuve qui les arrose; un grand faubourg, le bourg de Southwark, occupe à Londres l'autre rive de la Tamise, comme le faubourg Saint-Germain occupe l'autre rive de la Seine à Paris. Seulement le faubourg de Londres est industriel, tandis que le faubourg de Paris est scientifique et administratif; les usines remplacent à Southwark les écoles et les autres établissemens publics du quartier d'outre-Seine. Dans les deux villes, il y a une Cité, noyau originaire et primitif qui a produit ensuite un développement gigantesque; mais la vie des affaires est demeurée dans la Cité de Londres, c'est encore là qu'est le siége de l'activité commerciale, tandis qu'à Paris la Cité proprement dite a perdu toute son importance. Il est vrai que les quartiers de Saint-Denis et de Saint-Martin peuvent être considérés comme les appendices immédiats de la Cité de Paris, et que là aussi le commerce s'est conservé et a grandi; mais il y a loin de cette activité, si grande qu'elle soit déjà et si rapide que puisse être son accroissement, à l'immense agitation d'hommes, de capitaux et de marchandises qui fait de la Cité de Londres le centre commercial du monde entier.

La ville neuve, la capitale, est située, à Londres comme à Paris, à l'ouest de la Cité. La belle rue qui longe la Tamise et qui joint les nouveaux quartiers aux anciens, le Strand, peut être comparée

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