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une histoire de brigands et de vieux châteaux, aujourd'hui ils vont à Newcastle ou à Philadelphie pour rapporter un récit de fabriques et d'ouvriers, demain ils visiteront les campagnes qui entourent Paris et Londres, afin de surprendre quelque chronique de villas et d'élégans. Pour que l'esprit ne s'épuise pas à toutes ces excursions et ne finisse point par devenir comme un voyageur blasé qui voit chaque pays qu'il parcourt à travers les noires vapeurs du spleen, il faut qu'il s'y livre avec réserve, en attendant l'heure où l'y entraînent ses seuls instincts. Pressés toujours par des nécessités implacables, les conteurs en titre du public n'apportent point cette retenue dans leur besoin de pérégrination. Leur imagination, éternellement en marche, occupée sans cesse à chercher des aspects nouveaux, se fatigue vite, et n'aperçoit bientôt plus sur tous les objets qu'une même teinte ingrate et uniforme qu'elle est condamnée à reproduire.

Ainsi M. Soulié, en transportant un de ses drames dans les paysages du Nouveau-Monde, ne présente pas à nos yeux une nuance qui les avertisse qu'ils errent sur un horizon inaccoutumé. Vous avez ri quelquefois aux expositions du Louvre de ces peintures désignées au livret sous cette inscription : Plaine de la Mitidjah, que vous aviez prises d'abord pour des vues de la plaine Saint-Denis. Le Bananier rappelle ces tableaux. Si parmi ses personnages ne figurait pas un grand nombre de nègres, ce roman pourrait aussi bien se passer sur la lisière du bois de Romainville que sur les confins des forêts vierges où s'étalent encore dans une splendeur intacte les primitives merveilles de la création. Le fils d'un négociant du Hâvre a fait un voyage au canton de Matouba, dans la Basse-Terre, pour épouser la fille du correspondant de son père. Ce jeune homme, nommé Clémenceau, est sollicité en faveur des nègres par un sentiment que l'auteur appelle une philantropie d'épicier. Si nous nous sommes résigné à écrire cette expression, c'est qu'elle suffit, nous en sommes convaincus, pour donner une idée complète du livre dans lequel elle se trouve, si complète qu'elle nous dispense même d'une plus ample analyse. On peut juger de la manière dont M. Soulié doit développer une passion qu'il désigne par des termes de cette nature. Et les argumens dont se sert M. Clémenceau pour soutenir ses utopies, et ceux que tous les personnages qu'il rencontre emploient pour détruire ses illusions, toutes les dissertations dont ce roman abonde portent un même caractère de fastidieuse et je dirais volontiers d'irritante vulgarité. Quand les écrivains doués de l'imagination la plus élevée, de la plus mordante verve, de la plus entraînante éloquence, viennent échouer presque tous dans cette périlleuse entreprise du roman social, on peut facilement comprendre quels résultats a obtenus la tentative de M. Frédéric Soulié. Je ne sais point, même en pensant au livre immortel de Cervantes, s'il pourrait exister un récit romanesque aux proportions assez vastes et assez puissamment combinées pour contenir cette grande question de l'esclavage, qui tient encore incertaine à l'heure qu'il est la conscience des nations civilisées. Mêlées aux intrigues que forge l'auteur du Château des Pyrénées, et surtout traitées dans la langue qu'il

manie, imaginez-vous ce que deviennent des idées qu'auraient pu soulever à peine l'enthousiaste bon sens d'où naquit Don Quichotte, le triomphant esprit qui créa Candide.

Les Prétendus, entièrement différens dans leur sujet du Château des Pyrénées et du Bananier, ont un rapport intime avec ces deux œuvres dans la trivialité de leur forme. Une veuve, la marquise d'Houdailles, riche de deux cent mille francs de revenu et belle comme une fille de quinze ans obligée de se passer de dot, vient faire un séjour de quelques semaines à la campagne auprès de son frère, M. Ménier. Ce frère est marié, à telle enseigne même qu'il est atteint du genre de fléau qui appartient exclusivement à l'hymen : M. Ménier, qui a épousé une demoiselle comme George Dandin, a le même sort que le gendre de Mme de Sotenville. Sa femme, Claire de Perdignan, entretient depuis nombre d'années une liaison qui commence presque à devenir respectable avec le comte de Cancelle. Voilà où est le nœud de l'intrigue. Ce comte de Cancelle a aimé autrefois la marquise d'Houdailles avant son mariage, et, pour qu'il ne retourne pas à ses anciennes amours, il faut que la veuve se réengage bien vite dans une nouvelle union. C'est ce que comprend Mme Ménier; elle convoque donc, aussitôt qu'elle apprend l'arrivée de sa belle-sœur dans son château, toute une armée de prétendus. Or, cette armée a le grand inconvénient d'entourer des yeux les plus clairvoyans et des oreilles les plus subtiles, des oreilles et des yeux d'amans, l'intérieur de M. Ménier. Ce qui avait été pendant huit ans un mystère se découvre en quelques jours. On sait que M. de Cancelle aime les deux belles-sœurs et reçoit les faveurs de l'une d'elles :

Laquelle des deux est l'infame?

Est-ce ma sœur? Est-ce ma femme?

dit M. Ménier, en s'appliquant les deux vers d'une ballade qu'une fatalité singulière l'a poussé à chanter à la fin d'un repas. Tous les prétendus sont aussi intéressés que lui à résoudre la question qu'il se pose. La catastrophe qui amène le dénouement les aide puissamment à obtenir cette solution. Claire de Perdignan, dans un accès de fureur jalouse, se tue et tue son amant. Un des prétendus convoqués épouse la marquise d'Houdailles. Quant à M. Ménier, il y avait dans son existence un fait que nous n'avons point révélé plus tôt, parce qu'à ce fait comme à l'expression que nous tirions tout à l'heure du Bananier, il aurait fallu suspendre toute analyse. Le mari de Claire se consolait des coquetteries de sa femme envers les autres et de ses duretés envers lui par un commerce avec Catherine. Or, Catherine, vous frémissez d'avoir compris, Catherine était une cuisinière. La fille des Perdignan est à peine descendue au tombeau que sa servante prend sa place. M. Ménier, que le romancier représente comme un modèle de délicatesse et d'honnêteté, fait succéder à son ignoble adultère un mariage plus ignoble encore. Il tire de la cuisine ses honteuses amours pour les produire à la lumière des cierges

sacrés qui brûlent sur le maître-autel de l'église. Il est une classe de lectrices auxquelles le roman de M. Frédéric Soulié plaira infiniment sans doute, et, à vrai dire, c'est cette classe, qu'il n'est pas besoin de désigner, que le romancier semble avoir eue toujours en vue dans son style. Une seule citation peut suffire à justifier de la façon la plus complète ce qu'il paraîtrait peutêtre y avoir de trop sévère dans notre jugement. Un jeune gentilhomme, le vicomte Victor de Perdignan, un des prétendus de la marquise d'Houdailles, prie son oncle de lui épargner des plaisanteries sur une maladresse qu'il vient de commettre à l'égard de la belle veuve. En définitive, s'écrie-t-il, je suis bien sûr de triompher de mes rivaux. Ceci est une traduction préalable; citons maintenant dans son langage l'auteur que nous voulons faire connaître. « Ah! mon oncle, dit Victor, ne m'asticotez pas... Je vous le répète, je les enfoncerai tous dans le dix-septième dessous. Quelles réflexions ajouter après une semblable phrase! Si M. Soulié n'y prend point garde, son nom pourra s'entourer peut-être d'une popularité semblable à celle qui environne certains noms qu'on ne doit point écrire dans ce recueil, mais, comme eux, il devra pour toujours être effacé de la liste des noms littéraires.

M. de Balzac, quoique son talent soit certainement d'un ordre beaucoup plus élevé que celui de M. Frédéric Soulié, a, parmi le bagage de romans nouveaux avec lequel il se présente en ce moment au public, une œuvre qui s'adresse à peu près aux mêmes instincts que le Château des Pyrénées. Le Château des Pyrénées est un mélodrame des boulevards, la Ténébreuse affaire est un procès de cours d'assises. L'un de ces livres nous fait songer aux chaînes de carton, aux cachots de toile, aux brigands à longue barbe et vêtus de rouge; l'autre, plus hideux parce qu'il est plus vrai, nous fait respirer l'air échauffé des salles d'audience et prendre le honteux, plaisir que les passions auxquelles manquent les luttes du cirque viennent, dans les sociétés modernes, demander à l'asile de la justice. M. de Balzac, qui récemment nous a découvert, dans une préface, le rôle de législateur qu'il jouait à l'insu de son siècle en publiant César Birotteau, l'Illustre Gaudissart, et tant d'autres ouvrages où se trouveront écrites, à ce qu'il nous assure, les lois d'une société à venir; M. de Balzac a toujours en avec le code et les tribunaux une querelle personnelle. Sa joie est de nous montrer tout ce qu'ont fait de victimes les institutions sociales qu'il aspire à réformer. La Ténébreuse affaire n'est pas autre chose qu'une de ces funestes erreurs dont aucune mesure législative ne pourra jamais préserver la justice des hommes, mais que rendent heureusement fort rares des précautions intelligentes et nombreuses. Dans une préface très longue et très obscure, l'auteur de la Comédie humaine nous insinue que son livre repose tout entier sur des faits réels. Celui qui remplit le personnage de traître dans ce drame judiciaire en trois volumes, l'ancien intendant Malin, devenu, par la grace de Bonaparte, sénateur et comte de Gondreville, aurait passé, il y a quelques années, au repos de la vie éternelle d'un repos provisoire au fond d'un des fauteuils du Luxembourg. L'auteur de la Ténébreuse affaire aurait reçu des lettres de différens per

sonnages saisis d'étonnement aux révélations contenues dans son œuvre, il aurait même soutenu une discussion qui nous eût semblé fort désagréable avec des amis ou parens de l'ancien sénateur accusant ses récits d'être mensongers. Cette préface est-elle un artifice de romancier, ou bien se lie-t-elle, pour quelques hommes instruits de secrets que nous n'avons nulle envie de connaître, à un véritable scandale? Malgré les efforts de l'auteur pour donner à ses ouvertures un air de vérité, les idées que nous nous sommes formées sur la dignité de l'écrivain nous font pencher pour la première hypothèse. Au reste, qu'il soit entièrement tiré de la vie réelle ou qu'il ait pris naissance au pays de l'imagination, le roman de M. de Balzac éveille un intérêt d'une nature exactement semblable à celui qu'excitent toutes les causes renfermées dans les fastes criminels. La critique littéraire doit donc se borner à blâmer l'ensemble de cet ouvrage, dont les détails ne sont point de sa compétence.

Honorine n'a rien de commun avec ce premier roman. C'est un livre éclos tout entier, au contraire, d'une soudaine aspiration vers l'idéal. «Idéal, idéal, fleur bleue dont les racines fibreuses plongent au fond de notre ame... on ne peut t'arracher sans faire saigner le cœur, sans que de ta tige brisée suintent des gouttes rouges.... » M. de Balzac a cela de singulier, qu'avec un fonds d'idées naturellement rabelaisiennes, il a toujours éprouvé un faible pour le langage et quelquefois pour les sentimens des filles de Gorgibus. Un jour cette invocation, dont il a fait une épigraphe placée en tête d'Honorine, s'est présentée à son esprit, et il a revêtu de son style le plus maniéré l'étrange histoire que voici un conseiller d'état, désigné seulement sous le nom du comte Octave et appartenant à la famille de ces grands hommes politiques qui, dans les romans de M. de Balzac, exercent une influence occulte sur les destinées de la France, a pris pour femme une jeune fille, belle, spirituelle et bien née, qu'il met tous ses soins à rendre heureuse. Or, un jour la comtesse Octave disparaît en adressant à son mari la moins consolante des lettres d'adieu, car elle lui apprend qu'elle vient de livrer son corps à un séducteur qui, depuis long-temps, s'était emparé de son ame. En pareil cas, le plus débonnaire des époux ne peut s'empêcher de ressentir quelque dépit contre sa femme. Le comte Octave, qui est un homme tout exceptionnel, se borne à faire un examen de conscience, c'est-à-dire à se demander, en repassant tous les actes de sa vie, comment il a pu mériter la disgrace que le ciel lui envoie. Cet examen lui apprend qu'il est sans reproche. Vous pensez peut-être alors qu'il va se venger par le dédain, ou du moins par l'oubli de celle qui l'a si cruellement outragé. Point du tout; le comte, il est vrai, n'a jamais eu aucun de ces torts que les lois de la société, ou même les règles du monde, peuvent prévoir et réprouver, il a toujours été galant, empressé, tendre; mais, après bien des réflexions, il découvre qu'il ne possède pas ce qui pouvait seul faire le bonheur d'une femme passionnée et rêveuse.

Le malheureux manquait d'idéal. Il n'avait pas au fond du cœur la feur bleue d'où suintent des gouttes rouges. Comment s'étonner après cela de ne pas avoir été aimé? Pénétré dès-lors d'une profonde humilité en songeant à

ce qu'il y a eu jusqu'à cet instant d'insuffisant dans son amour, et d'une fougueuse admiration en pensant aux instincts d'enthousiasme impatient qui ont entraîné sa femme, il sent naître en lui, pour celle dont il a été abandonné, le plus aveugle des dévouemens. La comtesse Octave s'était enfuie avec un homme dont l'ame cachait peut-être une fleur bleue, mais renfermait à coup sûr des sentimens infiniment moins solides que celle du conseiller d'état. Ce triste personnage abandonne sa maîtresse parce qu'elle n'a pas eu la précaution d'emporter, ainsi que cela se pratique dans un enlèvement sagement médité, une cassette pleine de pierreries. « Le misérable, dit le comte dans un transport d'indignation à un honnête jeune homme auquel il raconte ses mésaventures, le misérable laisse la chère créature enceinte et sans un sou! » Heureusement le mari est là pour servir de providence à la femme que délaisse l'amant. Sans se faire connaître, en employant les moyens secrets que sa haute position dans l'état met à son service, il entoure de soins de toute sorte la chère créature. Il obtient à prix d'or, de l'un des plus habiles accoucheurs de Paris, qu'il se déguise, pour aller la délivrer, en petit chirurgien de faubourg. La comtesse, après avoir mis au monde un enfant qui ne vit pas, veut, malgré les propositions de secours que le comte lui fait faire par des intermédiaires, soutenir son existence à l'aide d'un travail manuel. Cependant, comme on se l'imagine, une femme qui a quitté son mari par amour de l'idéal ne peut se livrer qu'à un travail choisi et délicat. Elle prendra l'état de prédilection de tous les romanciers qui se décident à rendre actives les blanches mains de leurs héroïnes, elle sera fleuriste. Le comte Octave n'a pas plutôt appris cette résolution que les commandes viennent en foule trouver la belle comtesse. Il n'est pas de jours où on ne lui demande des fleurs, et toutes ses fleurs lui sont payées aussi cher que si ses doigts les avaient cueillies dans le jardin des fées. L'amant Sylphe, de Marmontel, n'est qu'un ignorant et un lourdaud, en matière d'attentions galantes, à côté de ce mari invisible. Des revendeuses à la toilette vont proposer pour quelques louis, à la comtesse Octave, des cachemires qui, offerts par un amant ou par un époux, pourraient rétablir ou troubler la paix d'un ménage. La sollicitude du conseiller d'état s'étend jusqu'aux plus petits détails de cette existence, qu'il occupe toutes les facultés de son esprit à embellir. Il entend que les jouissances gastronomiques ne fassent pas plus défaut à sa femme que celles de la parure. Pendant de l'accoucheur dont nous venons de parler, une émule féminine de Vatel, qu'on a déterminée à cacher sous le voile de l'incognito une célébrité appréciée par tous ceux qui connaissent les annales des dîners politiques, a été attachée à la fleuriste. Faut-il parler maintenant de la maison qu'habite la noble ouvrière ? C'est un charmant pavillon auprès d'un jardin avec des boudoirs tendus de soie et des salons dorés. Rien ne manque à cette féerie qu'un beau prince sortant tout à coup d'un buisson de roses pour se déclarer l'auteur de toutes ces merveilles. Malheureusement le conseiller d'état se rend la justice qu'il ne peut pas jouer le rôle d'un beau prince, surtout visà-vis de sa femme. Il est bien dur cependant d'appliquer le principe évangé

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