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ne suppose pas même la possibilité d'un refus, l'empereur a dicté ses volontés à la Porte, et la Porte obéit. La Russie profite habilement de tous les avantages que lui donnent dans ces transactions sa position géographique, la fixité de ses desseins, le secret de ses délibérations, la persévérance de sa politique. Qui pourrait s'opposer efficacement à ses empiètemens, à ce travail souterrain qui fera un jour déboucher la puissance russe au cœur même du sérail? L'Autriche vieillit; la Prusse a peu d'intérêt dans la question, la France et l'Angleterre ont mille choses sur les bras. Plus elles avancent dans les voies de la nouvelle civilisation, plus leurs intérêts s'étendent et se compliquent, plus par leur prospérité naissante elles offrent de prise à la mauvaise fortune, et plus la paix leur devient une impérieuse nécessité. La Russie n'est certes pas la plus puissante des nations: on a exagéré ses forces, ses moyens; mais elle est sans contredit l'état qui, par ses institutions, redoute le moins les souffrances de la guerre. Il est telle guerre où elle aurait beaucoup à gagner et fort peu de chose à perdre. Ajoutons à ces conditions sa prudence, sa lenteur, le soin qu'elle a de préparer son terrain, d'accoutumer les esprits à son influence, et de se procurer partout des adhérens ou des serviteurs; tenons compte aussi de la rare habileté avec laquelle elle a su relâcher les liens qui unissaient l'Angleterre et la France, et affaiblir ainsi la seule alliance qui soit redoutable pour elle, et nous n'aurons pas de peine à comprendre que la Russie prépare à la Turquie un sort analogue à celui de la Pologne. Seulement, la part de la Russie sera encore plus considérable; elle comptera avec les autres puissances moins qu'elle ne fut obligée de compter avec la Prusse et l'Autriche. Des évènemens de cette importance n'ont pas de jour fixe; les éventualités les plus imprévues les accélèrent ou les retardent. Mais malgré le calme apparent qui règne, si on peut parler ainsi, à la surface de cette grande question, il est visible pour tout observateur attentif que le cabinet russe avance tous les jours dans son œuvre, que c'est là sa pensée constante et principale, qu'il ne laisse échapper aucune occasion de progrès, qu'il en fait naître au besoin. Le gouvernement russe joue son rôle, il obéit aux lois de sa situation et de son histoire. Il serait aussi injuste que ridicule de lui en faire un reproche. C'est bien le cas de répéter avec M. Dupin : « Chacun pour soi. » Reste seulement à savoir si l'Autriche, l'Angleterre et la France n'oublient pas trop ce principe pour elles-mêmes à l'endroit de l'Orient.

Après la tragédie, la petite pièce. M. Ponsard n'a pas voulu manquer à ce programme. Comme s'il avait craint de nous laisser trop long-temps sous l'impression d'une œuvre grave, il s'est hâté de nous distraire, en se jetant bien vite dans ce fossé fatal qui, comme on sait, côtoie de si près le sublime, dans le ridicule. En effet, le nouveau poète viennois a eu, pour tout ce qu'il a écrit depuis Lucrèce, la main étrangement malheureuse. Au lieu de renier si obstinément les essais variés et modestes par lesquels il lui a été permis de préluder à sa tragédie dans le Viennois et la Revue de Vienne, M. Ponsard devrait bien plutôt, à notre avis, désavouer tout ce qui est sorti de sa plume depuis l'enivrement que lui ont causé les fumées du

succès. D'abord le sonnet vertueux dont il a fait hommage à Mme Dorval, a paru généralement manquer de tact et d'esprit. Ces vers martelés ne rappellent en rien le jet gracieux des stances que Voltaire, après les succès de Zaïre, adressait à M1le Gaussin. La correspondance en prose de M. Ponsard avec quelques journaux nous semble encore moins heureuse. Placé dans une situation délicate, par les hasards de la polémique, entre ses opinions littéraires d'il y a trois ans et sa reconnaissance d'aujourd'hui, M. Ponsard n'a trouvé, pour panser les blessures d'un célèbre académicien froissé dans la bagarre, que des excuses étranges, accompagnées d'injustes récriminations contre la critique. Nous ne voulons pas venir ici en aide à l'auteur de l'article sur Lucrèce. Il a repoussé sans peine, et comme il le devait, un blâme immérité. Au reproche d'avoir indiscrètement cherché sous de simples initiales le nom de M. Ponsard, il a répondu que ce mode de signature au bas d'articles littéraires équivalait au nom entier, et personne assurément ne le démentira. Mais, en vérité, notre collaborateur aurait pu faire à M. Ponsard une réponse tout autrement catégorique. Il n'y avait rien à chercher, rien à deviner. Nous avons ouvert à l'endroit cité la Revue de Vienne, et nous avons reconnu que les plaintes élevées par l'auteur de Lucrèce portent complètement à faux. Si son nom ne figure pas en toutes lettres à la page 494, au-dessous de l'article dans lequel Arbogaste est si cavalièrement jugé, on lit, six feuillets plus loin, dans la table du troisième volume, page 500, que l'article intitulé De Mademoiselle Rachel, de Corneille, de Racine et de Shakspeare est.... de M. F. PONSARD, tout au long. De quoi donc se plaint le poète viennois? Est-il bien loyal, pour parler comme lui, de se retrancher derrière les initiales de la page 494, quand le prétendu anonyme se trouve levé six pages plus loin? Est-il surtout bien loyal, quand on a écrit, en 1840, l'article que nous rappelons, et quand on a conçu et composé une pièce dans la forme et dans le mètre assouplis par la nouvelle école, de se jeter à corps perdu dans les bras de ceux dont on a traité les œuvres de friperie dédorée et hors de mode? En outre, la lettre de M. Ponsard à M. Viennet contient des hérésies plus graves, que la critique ne peut laisser passer sans réclamation: « Je n'ai fait que Lucrèce, je n'ai produit au jour que Lucrèce; je ne veux être jugé que sur Lucrèce, » s'écrie incessamment M. Ponsard. C'est-à-dire qu'il serait loisible à un écrivain de soustraire au contrôle de l'opinion publique ce qu'il a livré antérieurement à l'impression! Nous convenons que ce procédé serait, en bien des circonstances, extrêmement commode. Il offrirait surtout de précieux avantages à ceux qui ont professé des opinions de circonstance; on ne pourrait plus les mettre en contradiction avec leur passé, ni discuter leurs variations; il ne serait plus permis de demander à un nouvel écrivain d'où il vient et où il va! C'est là, en vérité, une prétention exorbitante et un inconcevable mépris du droit d'examen. Dès ses premiers pas dans la carrière, M. Ponsard se montre plus intolérant, plus superbe, plus impatient de la contradiction que les maîtres de l'école aujourd'hui régnante. Ceux-ci contestent, il est vrai, la compétence de la critique contemporaine; mais ils ne limitent pas du moins, au gré de leurs caprices ou de leurs intérêts, le champ

où elle doit humblement se renfermer : ils n'ont pas encore essayé de lui faire sa part avec un sans-façon aussi despotique.

Puisque nous avons été conduits à nous occuper de nouveau de la Revue de Vienne, nous témoignerons toute notre surprise de la manière dédaigneuse et dénigrante dont M. Ponsard a parlé, dans sa lettre à M. Viennet, de cette ville et de cette revue. L'auteur de l'article inséré dans le dernier numéro de la Revue des Deux Mondes avait félicité M. Ponsard d'avoir foulé dès l'enfance cette terre à demi romaine, où la majesté du peuple-roi est empreinte dans d'impérissables ruines; il l'avait félicité d'avoir passé sa jeunesse dans cette atmosphère érudite, au sein d'une petite colonie laborieuse et lettrée. Moins courtois envers sa patrie qu'un étranger, M. Ponsard, pour atténuer le tort de son irrévérencieuse appréciation d'Arbogaste, a sacrifié non-seulement sa prose, ce qui lui était bien permis, mais encore la ville et la Revue de Vienne. A l'entendre, ce qui l'absout, c'est qu'il n'a déposé son malen contreux jugement sur les poètes de l'empire que dans une petite revue d'une petite ville de province. Comment donc! Vienne, une petite ville de province! Vienne, cette ancienne métropole, riche de tant de monumens romains et du moyen-âge! Vienne, qui a fourni les matériaux du magnifique ouvrage pittoresque de MM. Rey et Vietti (1)! Vienne, si recommandable par son ardeur archéologique et littéraire! Vienne, qui a déjà donné à la scène française un poète tragique distingué, M. Pichat, traitée de cette façon cavalière par un de ses enfans! Et cette petite revue qui, suivant M. Ponsard, ne comptait pas cinquante abonnés, cette revue, dont on fait si lestement les honneurs, il est bon qu'on sache qu'elle ne renferme pas seulement des proverbes et des contes persans signés F. P.; on y trouve encore d'intéressans articles de biographie et d'histoire dus à MM. Colomb de Batines, Vital Berthin, Victor Teste, etc., et enfin et surtout de nombreuses et savantes dissertations archéologiques de M. Delorme, conservateur de la bibliothèque et du musée. Sans doute, M. Ponsard pouvait, s'il le trouvait convenable, se déclarer l'humble admirateur de la littérature impériale, et le reconnaissant serviteur des éloquens burgraves du Constitutionnel, à qui Lucrèce a rendu tout à coup la parole; mais était-il nécessaire, pour prendre cette position peu enviable, de décrier le modeste et estimable recueil où l'on a fait ses premières armes, et de repousser si dédaigneusement ses collaborateurs qu'on vient de dépasser? Pour nous, nous ne regretterons pas d'avoir fait connaissance avec la Revue de Vienne; nous y avons trouvé de sérieux et utiles travaux. Et, afin de prouver à M. Ponsard que nous sommes bien éloignés de vouloir fouiller dans cette mine ouverte à tous, seulement pour y chercher matière à des critiques, nous extrairons du numéro de mars 1839 les vers que M. Ch. Magnin avait indiqués avec éloge dans son article sur Lucrèce. Le poète, dans cette épître à M. Delorme, parle de Vienne et de ses monumens avec un respect filial qu'il aurait dû se rappeler davantage en écrivant sa lettre à M. Viennet:

(1) Monumens romains et gothiques de Vienne en France.

On ne doit pas, non plus, aux colonnes antiques
Clouer, comme un affront, quelques blanches boutiques.
Un pareil assemblage attriste le regard,

Comme un hochet d'enfant sur le cou d'un vieillard.
Jadis la main d'un dieu vengea la maison sainte
Des tables de marchands qui salissaient l'enceinte.
Eh bien! vengeons aussi le prétoire (1) insulté,
Car les siècles lui font une divinité.

Que l'artiste étranger qui vient dans ses décombres
D'Auguste et de Livie interroger les ombres,
Puisse, se détachant des choses d'aujourd'hui,
Évoquer longuement ces grands noms devant lui,
Et rêver des Romains, sans que sa rêverie
Heurte désenchantée une conciergerie.
Profaner à ce point ces débris imposans,

Ce serait nous montrer plus cruels que les ans.
Les ans n'insultent pas quand ils font leurs ravages.
Et pendant que l'on voit les peuplades sauvages
Entourer de respect et d'un culte pieux,
Comme un objet sacré, les os de leurs aïeux,
Nous, fils dénaturés, nous, la moderne Vienne,
Devons-nous outrager les restes de l'ancienne!
Ah! sachons respecter dans les vieux monumens,
D'un siècle enseveli les sacrés ossemens!
Où le peuple ne voit que pierres dégradées
Le philosophe trouve un symbole d'idées,
Hiéroglyphe écrit par nos prédécesseurs,
Pétrifiant ainsi l'histoire de leurs mœurs.
L'artiste y reconnaît le chef-d'œuvre d'un maître,
L'antiquaire un trésor et la ville un ancêtre.
Le trafic a chez nous une assez large part;
Laissons-y quelque coin pour y cultiver l'art.
C'est ainsi qu'on verra notre Vienne nouvelle
Reconquérir un nom qui fut perdu par elle,
Et marcher dans l'espoir et dans le souvenir,
Les pieds dans le passé, le front dans l'avenir.

Ce sont là des vers qui, malgré quelques taches, ne manquent pas d'une certaine beauté, et M. Ponsard ne nous paraît pas encore assez riche de pareils morceaux pour les désavouer comme il fait, avec tant de hauteur et de dédain. Somme toute, nous aimons à croire que, dans le cas présent, c'est une vertu de M. Ponsard qui a nui à sa prudence et à ses autres qualités. On ne gagne jamais rien à se mettre du parti des sots. M. Ponsard nous aurait donné ici une trop triste idée de son goût, s'il ne nous en avait donné une bien haute de sa reconnaissance.

(1) Prétoire est le nom qu'on donne vulgairement à Vienne aux restes d'un monument qu'on croit avec plus de raison avoir été le temple d'Auguste et de Livie.

AFFAIRES D'IRLANDE.

Monsieur, vous avez déjà parlé de l'Irlande, mais les affaires de ce pays ont pris, dans ces derniers temps, un tel caractère de gravité, qu'il ne peut être superflu d'en parler encore. La question irlandaise paraît dominer en ce moment les autres préoccupations de l'Angleterre; cette plaie séculaire, qui semblait se fermer peu à peu, s'est ouverte tout à coup plus large et plus vive que jamais. Les difficultés ont l'air de naître les unes des autres sous les pas du gouvernement anglais. Aux embarras extérieurs succèdent les embarras intérieurs, dont l'état de l'Irlande constitue sans contredit le plus sérieux. Il est facile de voir que l'Angleterre commence à douter de sir Robert Peel. Il a beaucoup mieux résolu les questions extérieures qu'il ne paraît devoir aplanir les difficultés intérieures. Il a mis fin à la guerre dans l'Inde, à la guerre dans la Chine, aux chances de guerre en Amérique et même en Europe, mais il n'a pas eu le même bonheur quand il s'est trouvé aux prises avec les complications domestiques. Jamais peut-être homme d'état ne s'était vu placé dans une position plus magnifique, mais aussi plus périlleuse. Son pays avait en lui une confiance sans bornes; il avait mis toute sa foi, tout son espoir dans son expérience, dans son esprit de ressources. Le vaisseau de l'état, et nul pays ne peut mieux que l'Angleterre justifier l'emploi de cette locution un peu banale, le vaisseau de l'état allait droit sur les brisans, et il fallait une main ferme et sûre pour l'arrêter dans cette course précipitée. Quelqu'opinion qu'on pût avoir de sir Robert Peel, tout le monde néanmoins s'accordait à reconnaître qu'il était l'homme désigné par la voix publique. Il arriva donc au pouvoir en maître, en dictateur, porté par la nécessité, et il en usa sans réserve. On se souvient encore de ces séances solennelles où, au milieu d'un silence de mort et de l'anxiété universelle, le chef du gouvernement exposait ses plans dans un superbe langage. C'était le beau temps de sir Robert Peel; ç'a été un moment unique dans sa vie, moment d'audace et de triomphe qui ne se voit pas deux fois.

Il n'a fallu que quelques mois pour retourner la médaille. Le premier ministre avait taillé dans le vif sans s'inquiéter de blesser ses amis plus encore que ses ennemis; il avait remanié de fond en comble toute l'économie politique de l'Angleterre, parce qu'à de grands maux il fallait de grands remèdes. On a attendu le résultat, puis il s'est trouvé que, malgré des ressources extraordinaires, les ressources des temps de guerre, le budget n'était pas mieux portant qu'autrefois. L'insuccès de ses mesures financières a été le premier échec de sir Robert Peel, la première atteinte portée à sa renommée d'infaillibilité. Populaire, il ne l'a jamais été, il ne l'est pas, il ne le sera jamais, parce que son caractère, public et privé, n'y prête pas. Mais on comptait sur lui comme sur un homme inépuisable en expédiens; on l'attendait à l'œuvre avec une sécurité qui avait quelque chose de très alarmant pour lui. Aussi, qu'est-il arrivé? Il n'y a pas deux ans qu'il est au pouvoir,

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