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avec vraisemblance. Au contraire le Poëte Comique dépeint nos amis, & les perfonnes avec qui nous vivons tous les jours. Le théâtre, fuivant Platon (a), ne fubfifte, pour ainfi dire, que des fautes où tombent les hommes parce qu'ils ne fe connoiffent pas bien eux-mêmes. Les uns s'imaginent être plus puiffans qu'ils ne font, d'autres plus éclairés, & d'autres enfin plus aimables.

Le Poëte Tragique nous expofe les inconvéniens dont l'ignorance de foimême eft caufe parmi les Souverains, & les autres perfonnes indépendantes qui peuvent fe venger avec éclat, dont le reffentiment eft naturellement violent, & dont les paffions propres à être traitées fur la fcéne, peuvent donner lieu à de grands événemens. Le Poëte Comique nous expofe qu'elles font les fuites. de cette ignorance de foi-même parmi le commun des hommes, dont le reffentiment eft affervi aux loix, & dont les paffions propres au théâtre ne fçauroient produire que des brouilleries, en un mot des projets & des événemens ordinaires.

(a) In Phil. p. 48.

Le Poëte Comique nous entretient 'donc des avantures de nos égaux, & il nous préfente des portraits dont nous voyons tous les jours les originaux. Qu'on me pardonne l'expreffion: il fait monter le parterre même fur la fcéne. Les hommes toujours avides de démêler le ridicule d'autrui, & naturellement défireux d'acquérir toutes les lumieres qui peuvent les autorifer à moins eftimer les autres, devroient donc trouver mieux leur compte avec Thalie qu'avec Melpomêne : Thalie eft encore plus fertile que Melpomêne en leçons à notre ufage. Si la Comédie ne corrige pas tous les défauts qu'elle jouë, elle enfeigne du moins comment il faut vivre avec les hommes qui font fujets à ces défauts, & comment il faut s'y prendre pour éviter avec eux la dureté qui les irrite, & la baffe complaifance qui les flatte. Au contraire la Tragédie représente des Héros à qui notre fituation ne nous permet guéres de vouloir reffembler & fes leçons & fes exemples roulent fur des événemens fi peu femblables à ceux qui nous peuvent arriver, que les applications que nous en voudrions faire, feroient toujours

bien vagues & bien imparfaites.

Mais la Comédie, fuivant la défini tion d'Ariftote (a) eft l'imitation du ridicule des hommes : & la Tragédie, fuivant la fignification qu'on donnoit à ce mot (b), eft l'imitation de la vie & du difcours des Héros, ou des hommes fujets par leur élévation aux paffions les plus violentes. Elle eft l'imitation des crimes & des malheurs des grands hommes; comme des vertus les plus fublimes dont ils foient capables. Le Poëte Tragique nous fait voir les hommes en proie aux paffions les plus emportées & dans les plus grandes agitations. Ce font des Dieux injuftes, mais tout-puiffans, qui demandent qu'on égorge aux pieds de leurs autels une jeune Princeffe innocente. C'est le grand Pompée, le vainqueur de tant de Nations, & la terreur des Rois de l'Orient, maffacré par de vils efclaves. Nous ne reconnoiffons pas nos amis dans les perfonnages du Poëte Tragique, mais leurs paffions font plus impétueufes ; & comme les loix ne font pour ces paffions qu'un frein trèsfoible, elles ont bien d'autres fuites que

(a) Poëtic. chap. s. (a) Vit. Etym. Grac

les paffions des perfonnages du Poëte Comique. Ainfi la terreur & la pitié que la peinture des événemens tragiques excite dans notre ame, nous occupent plus que le lire & le mépris que les incidens des Comédies excitent en nous.

SECTION VII I.

Des différens genres de la Poëfie & de leur caractére.

Len

IL en eft de même de tous les genres de Poëfie, & chaque genre nous touche à proportion que l'objet, lequel il eft de fon effence de peindre & d'imiter, eft capable de nous émouvoir. Voilà pourquoi le genre Elégiaque & le genre Bucolique ont plus d'attrait pour nous, que le genre Dogmatique. Ainfi les vers que foupiroit Tibulle & que l'amour lui dictoit, pour me fervir de l'expreffion de l'Auteur de l'Art poëtique, nous plaifent infiniment toutes les fois que nous les relifons. Ovide nous charme dans celles de fes Elégies où il n'a pas fubftitué fon efprit au langage de la nature. Perfonne ne quitta jamais par ce dégoût

qui vient de fatiété la lecture des Eglo gues de Virgile. Elles font encore un plaifir fenfible, quand elles n'ont plus rien de nouveau pour nous, & quand la mémoire devance les yeux dans cette lecture. Ces deux genres de Poëfie nous font entendre des hommes touchés, & qui nous rendroient très-fenfibles à leurs peines comme à leurs plaisirs, s'ils nous entretenoient eux-mêmes.

Les Epigrammes, dont le mérite confifte en jeux de mots, ou dans une allufion ingénieuse, ne nous plaifent guéres que lorfqu'elles font nouvelles pour nous. C'eft la premiere furprise qui nous frappe. Le trait eft émouffé, dès que nous en avons retenu le fens : mais les Epigrammes qui peignent des objets capables de nous attendrir, ou de s'attirer une grande attention en quelque maniere que ce foit, font toujours impreffion fur nous. On les relit plufieurs fois, & bien des perfonnes les retiennent fans avoir jamais penfé à les apprendre. Pour ne point mettre en jeu les Poëtes modernes, les Epigrammes de Martial qu'on fçait communément, ne font point celles où il a joué fur le mot, mais bien les Epigrammes où il a dépeint un

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