>> reconnoiffance. Mais fi, dans les horreurs » du carnage, il s'eft fouvenu qu'il étoit » homme, alors, nous allons nous-mêmes » célébrer fes vertus devant l'Eternel,... » Ce vieillard vénérable, blanchi par » les années, que vous voyez de ce côté, interrompit le féraphin Siona, c'eft » Barthelemi, un des difciples confié à » mes foins. La vertu même femble avoir » établi fa réfidence fur fon front ouvert » & plein de candeur. Elle paroîtra moins » auftere, & deviendra plus aimable aux » mortels, quand il la pratiquera fous leurs » yeux. Ó combien d'ames tu vas gagner » au Sauveur, lorfque, faifies d'étonne»ment & d'admiration, elles te verront » fourire à tes bourreaux au milieu » des horreurs de la mort ! Ah! mes » céleftes amis, lorfqu'il fera prêt d'ex» pirer, hâtez-vous d'effuyer le fang de »fon vifage: découvrez à tous les fpec»tateurs ce fourire touchant, qui y fera » répandu, au moment même où il pren» dra congé d'eux pour jamais, afin qu'ils » fe convertiffent au Fils de l'Eternel.... 2 » Ce jeune homme pâle & mélancoli» que, dit enfuite Elim, eft mon élu » Lebbée. Peu d'ames ont été créées auffi » fenfibles, auffi tendres que celle du » paisible Lebbée. Lorfque je la tirai de «< ces régions où, fans fe connoître, les » ames des hommes errent avant la créa» tion des corps, je la trouvai qui pouf» foit des gémiffements plaintifs auprès de » cette fontaine, où les anges difent que » jadis le trifte Abbadona, en revenant » d'Eden, pleura la perte de l'innocence » de la mere du genre humain. C'eft-là » auffi, vous le favez, que les féraphins >> viennent déplorer le fort des malheu» reux, & la fin déplorable des ames » confiées à leurs foins, qui, ayant paflé » leur premiere jeuneffe dans l'exercice de » la vertu, achevent dans le crime les »reftes de leur vie. Ils répandent déja fur » elles des larmes fraternelles avant les » temps éloignés, auxquels elles doivent » paroître à la lumiere; larmes céleftes, » que les hommes ne connoiffent pas ! » C'eft fur cette fontaine, que je trouvai » l'ame de mon cher Lebbée. Enveloppée » dans un nuage tranquille, elle étoit >> attentive aux accents douloureux dont » fes bords retentiffcient. Les impreffions » foibles que les ames éprouvent dans cet » état, fe diffipent, lorfqu'elles éprouvent » les impreffions plus fortes qui leur font » tranfmifes par les organes du corps; >> mais, cependant, ces premieres impref» fions fubfiftent toujours, & le fouvenir » s'en renouvelle, lorfque revêtue de lu» miere, l'ame s'envole en fe dégageant » des liens de la matiere. Le fentiment » des gémiffements qu'avoit entendu l'ame » de Lebbće, fut affez puiffant fur elle, » pour déterminer la nature de fon carac» tere, & la rendre acceffible à la compaf» fion. Je la recueillis & je la portai douce»ment dans des nuages légers du matin, » vers l'enveloppe mortelle qui lui étoit » deftinée. Sa mere le mit au monde fous » des palmiers. Je defcendis invifiblement » de la cime de ces arbres, & j'agitai » mollement les airs, pour rafraîchir cet » enfant précieux. Il verfa plus de larmes, » en naiffant, que n'en verfent commu» nément les hommes, lorfque, par un » instinct confus, ils éprouvent déja le » fentiment de leur mort, quoiqu'encore » éloignée. Toute fa jeuneffe n'a été qu'un » enchaînement d'affections triftes & dou»loureufes. Aucun de fes amis n'a eu » occafion de répandre des pleurs, qu'il » n'y ait mêlé les fiens: il n'a pas ceffé » de gémir fur tous les maux qui affligent » la nature humaine. Depuis qu'il s'eft atta» ché au Meffie, il eft encore le même. » O mon cher Lebbée ! que deviendras»tu, lorfque le Rédempteur périra? Helas! » tu vas être anéanti fous le poids de ta » douleur! Ah! divin Médiateur, Sauveur » des hommes, daigne le fortifier contre » un coup fi accablant; fais qu'il ne fuc» combe pas à l'excès de fon défefpoir! » Regarde-le, féraphin, s'avancer vers » nous d'un air penfif & incertain. Tu » peux, d'ici, le confidérer & voir en » face le plus fenfible des humains. » Le féraphin n'avoit pas achevé de parler, que le pieux Lebbée étoit déja parvenu à l'endroit où les anges gardiens étoient affemblés. La troupe celefte s'ouvrit pour lui faire place. C'eft ainfi, que les zéphyrs du prin-. tems laiffent un paffage libre aux accents du roffignol qui remplit les airs de fes gémiffements. Lebbée penetre au milieu d'eux, & ils forment, à l'inftant, un cercle autour de lui. Le difciple qui croit n'être entendu d'aucune créature, éleve fes mains vers le ciel, & s'écrie, en les frapant violemment l'une contre l'autre : « Hélas! je >> ne le découvre nulle part! Déja, un trifte » jour, déja deux longues nuits fe font » écoulées, fans que nous l'ayons vu. » Ah! fans doute, fes déteftables perfé» cuteurs fe feront emparés de lui ! & » moi, malheureux, être ifolé fur la terre » je vis encore, & Jefus eft mort! Ó » mon Maître ! tu as tombé fous le fer » des impies, & je ne t'ai pas vu mourir, » & je ne t'ai pas fermé les yeux! Parlez, » fcélérats, parlez: dans quel champ l'avez» vous égorgé dans quel défert inconnu » l'avez-vous traîné? dans quel tombeau » l'avez-vous caché? Dans quel lieu, repo» fes-tu, Homme divin? Ah! tes farou»ches meurtriers t'auront jetté parmi les » morts, pâle & défiguré : ils ont détruit » ces traits touchants du fourire célefte » du fentiment de miféricorde, qui brilloient» fur ton vifage; & les tiens n'ont pas » recueilli tes derniers foupirs? Ah! pour» quoi mon trifle coeur, ce cœur brifé » par la douleur, bat-il encore dans mon » fein? Pourquoi mon ame deftinée à tant » de calamités, ne fe perd-elle pas comme » un fombre nuage, dans la profonde nuit » du trépas? Je ferois étendu fans fenti» ment, enfeveli dans le fommeil.... En exhalant ainfi fes plaintes, Lebbée toniba évanoui. Elim le couvrit de rameaux d'oliviers fraîchement éclos, ranima en lui la chaleur prefque éteinte & répandit fur lui le fouffle de la vie, & le calme du repos. Il s'endormit, & l'ange bienfaifant hui fit voir en fonge le Médiateur vivant, qui paffoit devant lui, Sélia étoit penché fur Lebbée; & plein de vénération & d'attendriffement pour ce difciple vertueux, il le contemploit avec |