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qui caufoit tant de troubles dans Juda.... Jean, le coeur plein d'amertume & d'inquiétude, le fuivoit triftement de loin. Mais comme il vit qu'il entroit chez Anne, qu'il favoit n'être pas cruel comme Caïphe, il renferma un moment fa douleur, entra dans la falle d'audience, & vit le Meffie comme il étoit devant Anne qui lui dit :

»Tu vas paroître devant Caïphe qui » te jugera. Si tu es auffi innocent, en » effet, que les prodiges qu'on t'attribue » font devenu publics, non-feulement » tous les peuples de la terre t'admireront » mais le Dieu d'Abraham & de fa pofté» rité te protégera. Inftruis-moi toi-même » de ta doctrine. Qui font tes difciples? » As-tu enfeigné la loi de Moïfe? La pratiquois-tu? Tes difciples la pratiquoient» ils? »

Ainfi Anne parla à Jefus dont il admiroit intérieurement le maintien augufte,. & l'air de modeftie & de grandeur, également éloigné de la crainte & de l'oftentation. L'Homme-Dieu daigna lui répondre en ces termes : J'ai enfeigné dans » le temple; j'ai parlé librement devant » le peuple & les docteurs, & vous me » demandez ce que j'ai enfeigné? Deman»dez-le à ceux qui m'ont écouté. »

Il parloit encore lorfque Philon entra

On fe leva précipitamment dès qu'on le vit paroître. Sa fureur & fon audace fembloient fe communiquer aux ames les pluts abjectes. Un valet eut, dans ce moment, l'impudence de faire un affront fi fanglant au Meffie, qu'on dut bien preffentir de-là les cruautés qu'on projettoit exercer fur lui, Philon ordonna qu'on s'en faifit, & qu'on le traîrât au tribunal où il devoit recevoir fon arrêt de mort. Il fut obéi. A peine Jean eut vu fon maître au pouvoir de Philon, qu'un faififfement univerfel s'empara de lui, & il refta quelque temps fans connoiffance. Cependant il fortit du palais, en fe foutenant à peine, & vit de loin la clarté des flambeaux que le vent agitoit. » Je ne te fuis pas, dit-il, ô le » meilleur de tous les hommes! Non, je » ne te fuis pas ; je vais pleurer fur ton »fort déplorable. Mais fi les décrets de ton » Pere ordonnent que tu meures, permets que je meure avec toi, & que mon »ame qui t'eft fi tendrement unie, ne » foit pas féparée de la tienne. Fais feu»lement que mes yeux ne voient pas les » tiens fe fermer, & que tes derniers » foupirs ne fe faffent pas entendre à »mes oreilles. Quoi! la terre & les cieux » l'abandonnent à fes bourreaux? Quoi! » vous auffi qui chantates des hymnes a

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»fon honneur, quand fa Mere le mit au » monde vous le laiffez fans fecours? »Mere infortunée, aurois-tu pensé alors » qu'il étoit deftiné à mourir d'une mort » auffi épouvantable?... O toi! le feul >> appui des malheureux, le véritable pere » & le protecteur des vivants & des » morts, aye compaffion de ma douleur, & fauve du trépas le plus parfait des » enfants d'Adam. Fais defcendre l'huma» nité dans le coeur de fes meurtriers ; » amollis leurs ames farouches... Mais » ne le vois plus! L'éclat des flambeaux » difparoît à mes yeux. Ah! fans doute, »on le juge. Puiffent fes perfécuteurs » cruels frémir à l'afpect de la vertu fouf» frante! Puiffe l'idée du jugement dernier » fe préfenter à leur efprit ! Mais qui vois» je marcher là-bas dans les ténebres? » N'eft-ce pas Pierre? Sauroit-il déja qu'ils » l'ont condamné à la mort? Avec quelle » rapidité il court! Il s'arrête à préfent! » Qu'ai-je vu? Je n'entends plus perfon» ne! Quel défert! Quel filence regne » dans cette nuit affreufe! Mais quel bruit » fe fait entendre? Quelle' eft cette multi»tude que je vois s'agiter? Elle fe hâte, » fans doute, de le traîner à la mort, à la » faveur des ombres de la nuit 2 pour » que le peuple ne le fauve pas, afin qu'il

» n'y ait que les anges qui voient les » pierres ou le glaive dégouttant de fon fang. Miféricorde, ô mon Dieu! mifericorde! Ne fouffrez pas qu'il meure, »ô mon Pere! »

En parlant ainfi à mots entrecoupés, il s'avança d'un pied chancelant vers le palais du grand-prêtre, & s'arrêta au milieu des ténebres.

Cependant Philon, ayant devancé les foldats qui conduifoient Jefus, fe fit jour à travers la multitude, & arriva à l'affemblée. A fon air triomphant, à la joie qui brilloit dans fes regards, on devina aifément qu'il étoit maître de celui qui reffufcitoit les morts, & qu'il alloit paroître. Les prêtres n'avoient pas encore eu le temps de s'en applaudir avec lui, lorfque P'Homme-Dieu entra. Dans l'excès de leur raviffement ils en croyoient à peine leurs yeux. Pour lui, ayant dépofé toute espece de grandeur, même celle qui diftingue le fage mortel, il monta les degrés & fe préfenta devant le tribunal. Son maintien étoit fi tranquille, qu'on auroit dit, à le voir, qu'il s'amusoit à confidérer la chute des eaux d'une fontaine, ou que, fatigué par des réflexions profondes, il s'en délaffoit en s'occupant de penfées agréables. Il n'avoit confervé de la Divinité qu'une

empreinte légere, mais telle cependant qu'aucun ange n'oferoit afpirer à s'en voir revêtu. Les anges feuls auffi pouvoient diftinguer ces traits auguftes, & en démêler les différentes expreffions. Caïphe & Philon fixoient leurs regards furieux fur la terre. L'un, par fa qualité de grandprêtre, & l'autre par la fougue de fon zele, avoient droit de parler les premiers : cependant ils gardoient encore le filence P'un & l'autre..

Sous cette aile du palais, une galerie circulaire, éclairée par la foible lueur de quelques lampes, étoit pratiquée dans la falle d'audience. La jeune & belle Porcie époufe de Pilate, s'y étoit rendue avec d'autres femmes, & appuyée fur la baluftrade de marbre, regardoit ce qui fe paffoit dans l'affemblée. Cette généreufe Romaine, quoique dans la fleur des ans, femblable à la mere des Gracques, montroit déja un courage capable de rappeller à la vertu fes concitoyens dégénérés. Mais il avoit été réfolu dans les décrets de la

Providence, que Rome feroit détruite & n'auroit point de fauveur. Entraînée par la curiofité de voir ce Prophete, dont elle avoit fi fouvent entendu parler, Porcie étoit accourue à la hâte, accompagnée de quelques. efclaves. Elle avoit

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