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Ce jeudi matin.

BONJOUR, mon Panpichon; je ne me porte pas si bien aujourd'hui que je me vantais hier. Je ne sais si ce sont tes lettres non reçues qui m'ont donné des vapeurs, mais enfin j'en ai eu hier soir, quoique le souper fût fort gai. Je demandais du fin amour; Voltaire, qui l'aime aussi, mais qui n'en ose guère boire, dit: <<< Oui, buvons en commémoration de Panpan!» C'est que je lui ai dit que tu trouvais fort mauvais qu'il n'en eût pas parlé dans son Mondain (1) il but à ta santé, et me promit d'en parler. Après souper il nous donna la lanterne magique, avec des propos mourir de rire. Il y a fourré la coterie de M. le duc de Richelieu, l'histoire de l'abbé Desfontaines (2), et toutes sortes de contes, toujours sur le ton savoyard. Non, il n'y avait

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(1) Jolie pièce en vers de Voltaire, qui lui attira des persé

cutions.

(2) L'histoire de l'abbé Desfontaines était celle d'un homme qui, ayant un doux penchant pour les plaisirs de Sodôme et de Gomorrhe, avait été condamné au supplice pour avoir séduit de pauvres petits ramoneurs, et qui ne fut arraché des mains du

rien de si drôle! Mais à force de tripoter le goupillon de sa lanterne, qui était rempli d'esprit de vin, il le renverse sur sa main, le feu y prend, et la voilà enflammée. Ah! dame, il fallait voir comme elle était belle! Mais ce qui n'est pas beau, c'est qu'elle est brûlée : cela troubla un peu le divertissement qu'il recontinua un moment après.

Je t'écris à toutes les heures du jour, mon bien bon ami, car il est trois heures après midi; c'est que j'ai peur de n'avoir pas le temps ce soir de te dire ce que j'ai entendu ce matin, parce que l'abbé de Breteuil (1) arrive, et qu'on fera assemblée pour lui. Je te dis donc que Voltaire est encore meilleur dans ses épîtres qu'il ne l'est dans l'épique et dans le dramatique. Il m'en a lu une ce matin sur la modération; elle est admirable pour la morale et pour les agrémens : elle est imprimée en feuille; et je lui ai chanté pouille de ne me l'avoir pas donnée pour te l'envoyer: il la

bourreau que par le zèle ardent, infatigable, et les soins généreux de Voltaire. Pour prix d'un tel service vous croyez que Desfontaines ne fut qu'ingrat? bagatelle ! il colomnia son libérateur.

(1) Frère de Mm• du Châtelet; grand-vicaire à Sens.

retravaille en ce moment. Il m'en a lu une autre sur le plaisir, qui est sur le métier : Elle a besoin d'être travaillée; mais elle sera belle aussi. Il a pris une tournure charmante selon moi; car il prouve le Créateur par le plaisir et la volupté. La morale est qu'il faut louer Dieu et l'aimer en jouissant. Cela est a des traits de sa façon qui en pur, mais il y empêcheront l'impression.

On vient de m'apporter à étudier un rôle pour une pièce que l'on jouera dès que je le saurai, pour divertir M. de Breteuil. Je viens de le parcourir, et je n'en veux point : c'est une jeune personne qui crie qu'elle veut être mariée, et qui demande s'il n'y a pas une reine à Paris. Ils se moquent de moi; je le leur reporterai ce soir. C'est cette pièce dont Coutricou fils nous parla: elle s'appelle Boursouffle (1). Il me paraît que ce n'est qu'une bouffonnerie; je t'en rendrai compte.

(1) Cette pièce vient de paraître pour la première fois dans l'édition de M. Desoër: il y en a une seconde sous le même nom, que Voltaire nommait son Boursouffle aîné, qui n'a point encore paru, mais qui paraîtra plus tard. Elle fait partie de la riche collection de vers et de prose inédite qu'à M. Decroix, collaborateur de Beaumarchais dans l'édition de Kehl.

vrai

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Maintenant je veux un peu te parler de Louis XIV: j'en suis toujours plus contente. En lisant le passage du Rhin le préjugé me répugnait ; mais il met cette affaire au net, et ce n'est rien. Les premières campagnes sont traitées de voyages de plaisir; car les villes se rendaient par négociation enfin, il dit ce que personne n'a dit et que tout le monde a pensé. J'ai peur que quelque partialité ne l'empêche de continuer sur le même ton; mais il lui rend justice par la suite comme au commencement, en le louant comme il méritait de l'être. Je dis toujours que je n'ai rien vu de si beau. Si Desmarets vient, je crois qu'il lui rendra justice comme moi. J'ai pleuré hier la mort de Turenne; il en parle sans prévention; il dit ses défauts et fait pleurer sa mort. Je pensais à toi en la lisant : j'aurais bien voulu que nous fussions ensemble.

Hier à souper, Voltaire était d'une gaieté charmante; il fit des contes qui ne sont bons que dans sa bouche. Il m'a conté des anecdotes de Boileau, qui ne sont nulle part ce sont des vers impromptus; s'il veut me les dicter, je te les enverrai. Adieu, je ne sais plus rien. Je te laisse faire le commentaire du

plaisir qu'il y a à vivre avec de pareilles gens. Si fait, j'ai encore quelque chose à te dire : c'est que, ce matin, la dame de céans a lu un calcul géométrique d'un rêveur anglais, qui prétend démontrer que les habitans de Jupiter sont de la même taille qu'était le roi G...... dont l'Écriture parle.

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Voici à peu près les raisonnemens de l'Anglais Les yeux sont en proportion du corps; il fait un calcul de l'étendue de la prunelle de nos yeux; autre calcul de la quantité de lumière que nos yeux sont propres à recevoir, ayant égard à la distance du soleil à la terre; ensuite il calcule les proportions de la distance de l'éloignement du soleil à Jupiter. Tu sens bien où il en veut venir pour connaître la grandeur des hommes dans Jupiter. Il dit qu'avec un peu d'attention on pourrait connaître de même les proportions des habitans des autres planètes. Je ne sais si cela t'amusera, mais nous nous en sommes fort divertis en admirant la folie d'un homme qui emploie tant de temps et de travail pour apprendre une chose si inutile. Mais j'ai admiré bien autre chose, quand j'ai vu que le livre était écrit en latin, et qu'elle le lisait en fran

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